Commentaires recueillis par Manon Bernard
Publié le 14 novembre 2024 à 7h00
Facebook Gazouillement E-mail Copier le lien
Envoyer
Accès gratuit
Entretien A l’approche du match de football entre la France et Israël dont la tenue est contestée, le géopolitologue et spécialiste du sport du Moyen-Orient Raphaël Le Magoariec répond au « Nouvel Obs » sur les questions de politisation des stades.
Après les violences à Amsterdam, en marge du match de Ligue Europa, jeudi soir, entre l’Ajax Amsterdam et le Maccabi Tel-Aviv, tous les regards se tournent vers le Stade de France où se déroule la rencontre de Ligue des nations entre la France et Israël. Ces derniers temps, le soutien à la Palestine se multiplie dans les tribunes, comme le tifo des supporters du PSG lors du match au Parc des Princes contre l’Atletico Madrid ou les actions des supporters de la Real Sociedad, entièrement vêtus d’une combinaison rouge, comme tachés de sang, en Espagne. Raphaël Le Magoariec, géopolitologue et spécialiste du sport au Moyen-Orient, explique au « Nouvel Obs » les implications de la guerre au Moyen-Orient dans les stades européens.
Tifo « Palestine libre » à Paris, procès sanglants à la Real Sociedad, violences à Amsterdam… Le conflit israélo-palestinien entre-t-il dans les tribunes des stades ?
Raphaël Le Magoariec Le conflit israélo-palestinien a toujours été bien présent dans les stades. La symbolique palestinienne a fortement structuré les mouvements ultras dans certains pays européens. Il y a différentes affiliations à ce conflit, il ne s’inscrit pas dans les mêmes réalités selon chaque ville.
Par exemple, dans les tribunes de l’Olympique de Marseille, on retrouve régulièrement des drapeaux de la Palestine car il y a un ensemble de références culturelles qui font le lien entre cette ville méditerranéenne et la Palestine. Il y a aussi la question de la colonisation en Algérie qui entre en jeu. C’est vraiment une référence à l’émancipation.
Lire aussi
France-Israël : des députés LFI réclament l’annulation du match de football craignant un risque de « troubles très forts »
Accès gratuit
Lire plus tard
En Espagne, la question palestinienne a toujours été fortement revendiquée et perçue à travers ces questions d’émancipation et d’indépendance. Il n’est pas anodin que des actions de protestation aient lieu au Pays basque espagnol où existe une volonté d’émancipation de l’État espagnol.
A Paris, il fait partie d’un club en même temps [le PSG] qui est détenue par le Qatar, un Etat qui démontre de manière symbolique mais aussi diplomatique sa solidarité avec le peuple palestinien. Mais il y a aussi une socialisation autour de ce club venu de la banlieue parisienne, avec un groupe de populations d’origine maghrébine. Et la solidarité est perceptible autour de cette question palestinienne du Golfe arabo-persique au Maroc.
Et à Amsterdam, que s’est-il passé ?
Pour Amsterdam, c’est une toute autre question, elle s’inscrit dans le présent. Il y a un mélange de faits qui se heurtent. D’un côté, une offensive préméditée avec des petits groupes qui s’en sont pris aux partisans israéliens. De l’autre, un club israélien où certains groupes de supporters sont réputés proches de l’extrême droite israélienne.
Lire aussi
Narratif Violences à Amsterdam : retour sur une nuit de haine
Abonné
Lire plus tard
Il y a un contexte également propre au football israélien qui est trop peu évoqué, notamment en France. On oublie à quel point le football au Moyen-Orient est politisé.
Y a-t-il un soutien à Israël de la part des partisans d’extrême droite dans les tribunes ?
Non, il n’y a pas d’inversion. Les différents mouvements d’extrême droite en Europe perçoivent l’Israël de Netanyahu comme un allié. Ils ont la même perception de la question de l’ordre et d’un ennemi commun un peu flou : l’Arabe, le musulman…
C’est là qu’il y aura un rapprochement. Mais il n’y a pas de manifestations marquées avec Israël car nombre de ces petits groupes sont eux-mêmes antisémites.
Lire aussi
Match France-Israël : après Amsterdam, les autorités israéliennes conseillent à ses citoyens d’éviter le match
Accès gratuit
Lire plus tard
Les discours des dirigeants sur la « neutralité du sport » encouragent-ils finalement cette politisation des stades ?
Oui, en quelque sorte. Ces questions sociales émergent à travers la plateforme. C’est en fait plutôt bénéfique car cela permet de canaliser les questions et débats politiques dans l’enceinte d’un stade. Quand cela rentre dans le cadre légal, bien entendu. L’irruption autour de la question du tifo parisien est très problématique car elle implique de créer des problèmes autour d’un tifo. Cela fait partie du mouvement ultra et un peu de tolérance serait bien.
C’est un débat complètement hystérique où tout s’entrechoque. Entre le tifo de la tribune parisienne et ce qui s’est passé à Amsterdam, on ne parle pas du tout des mêmes faits. D’un côté, il n’y a pas de violence, c’est juste, en fin de compte, la mise en lumière d’un sujet très grave et de crimes de guerre qui devraient interroger toutes les sociétés. De l’autre, nous voyons des actes d’antisémitisme prémédités et des groupes israéliens qui entraînent avec eux un ensemble de problèmes spécifiques à la société israélienne.
La tenue du match France-Israël au Stade de France fait débat. La pression croissante autour de cette rencontre est-elle justifiée ?
De nombreuses entreprises du Golfe ou des personnes du Moyen-Orient que je rencontre dans le cadre de mon travail constatent qu’il existe deux poids, deux mesures entre le sort réservé à la Russie – une exclusion des différentes institutions sportives internationales et des différentes compétitions internationales – et celui réservé aux Israël, avec notamment aux JO de Paris plusieurs athlètes israéliens qui ont pleinement soutenu ce qui se passe à Gaza. C’est ce double standard qui ressort à nouveau pour un match, qui ne présente d’ailleurs pas d’enjeux majeurs d’un point de vue sportif.
Lire aussi
Tribune Après Amsterdam : « Il est temps de sortir du coma face à la situation au Moyen-Orient »
Accès gratuit
Lire plus tard
Si un État est condamné par la justice internationale, il doit être géré par un organisme objectif et indépendant de tous les enjeux de pouvoir qui se jouent autour du sport.
Déjà, le fait qu’Israël soit rattaché à l’UEFA démontre un problème de fond : les sociétés arabes voisines ne souhaitent pas jouer au football contre les Israéliens. Et cela montre à quel point cet État a du mal à s’insérer dans le territoire dans lequel il est né.
Le sport est un révélateur, un thermomètre social mais derrière lui il y a la vraie vie. Ce débat autour du match France-Israël nous amène à complètement oublier ce qui se passe sur les différents théâtres de guerre du Moyen-Orient. Il met beaucoup d’huile sur le feu mais ne fait finalement pas grand-chose. Il suffit de laisser la police et les services de renseignement français gérer tout cela.
Historiquement, quelles sont les positions de la FIFA et de l’UEFA sur le conflit israélo-palestinien ?
La Fédération palestinienne de football, tout comme le Comité olympique palestinien, a été créée par l’OLP dans les années 1970. Ils percevaient alors le sport comme un moyen d’émancipation et de reconnaissance par la communauté internationale. Et une manière de mettre sur le devant de la scène leur combat pour la reconnaissance et leur lutte armée. Même chose pour les Israéliens. À partir des années 1930-1940, ils se sont emparés du sport pour se faire reconnaître et finalement s’ériger en État.
Lire aussi
Bruno Retailleau condamne la banderole dévoilée par des supporters parisiens en soutien à Gaza, avant le match PSG-Atlético Madrid
Accès gratuit
Lire plus tard
La Fifa est très peu active sur ce sujet. Il reconnaît l’État palestinien comme fédération de football. Ce dernier a également participé à la dernière Coupe d’Asie des Nations. Même si de nombreux joueurs souffrent de ce qui se passe à Gaza et que plusieurs sont morts.
Mais, hormis la reconnaissance des deux fédérations, la Fifa, comme l’UEFA, sont impuissantes. On sent à quel point la Fifa, comme l’UEFA, ont cette crainte que le sport, s’il est trop politisé, puisse nuire à leur finalité commerciale.
Commentaires recueillis par Manon Bernard
Related News :