Pendant sept ans, Clément Sénéchal a été porte-parole de Greenpeace. L’envie de s’impliquer et les souvenirs de l’attaque contre le Rainbow Warrior le poussent à s’impliquer dans ce mouvement en 2015. « Quand nous y arrivons, nous sommes éblouis par la structure et les moyens financiers dont nous disposons. On a l’impression d’accéder à un monde privilégié où l’on est payé pour faire campagne. Nous avons l’impression d’être du bon côté de l’histoire, proche des forces du bien. » dit-il.
Et puis, petit à petit, celui qui a notamment participé à introduire l’idée d’un FSI climatique dans le débat public a commencé à déchanter. « Assez vite, je me suis heurté à des plafonds de verre à la fois sociologiques et idéologiques. » confie-t-il, jusqu’à avoir l’impression de devenir “hamster dans une roue”. Il quitte Greenpeace en 2022.
Alors que la Cop29 débutait, lundi 11 novembre à Bakou, en Azerbaïdjan, Clément Sénéchal explique les raisons de l’échec actuel de l’écologie politique, dans son ouvrage en Pourquoi l’écologie perd toujours (Le Seuil, 220 pages, €19). Interview.
Clément Sénéchal was a spokesperson for Greenpeace for seven years. Manon Jalibert
L’écologie doit être un thème fédérateur. Nous voulons tous garder une planète habitable. Pourtant, elle fait face à de plus en plus de méfiance, elle est reléguée au second plan. Comment l’expliquez-vous ?
Clément Sénéchal: L’écologie a aujourd’hui deux problèmes. Premièrement, des adversaires extrêmement puissants. Les pouvoirs – sociaux, économiques, culturels – sont concentrés entre les mains d’une petite classe sociale qui n’a aucun intérêt à la bifurcation écologique. La crise écologique introduit une tension majeure dans le système d’accumulation capitaliste. Nos écosystèmes ne sont pas capables de répondre aux besoins d’une économie basée sur une croissance perpétuelle, comme on le sait depuis le rapport Meadows en 1972.
Ensuite, nous avons les professionnels de l’écologie qui ont pris une posture inoffensive en la privant de tout horizon révolutionnaire. Les scientifiques et les ONG ne critiquent jamais le capitalisme. Dans les années 1970 apparaît un environnementalisme compatissant et œcuménique, fondé sur la défense de quelques espèces symboliques, ignorant complètement la question sociale. C’était une manière de rendre consensuelle la lutte environnementale.
La célèbre antienne qui dit que l’écologie n’est ni de droite ni de gauche…
Absolument. Cela a longtemps régi le positionnement des partis verts en Europe. L’écologie est devenue une cause fragmentable et négociable qui a donné naissance à toute une affaire de bonne conscience, depuis les ONG comme Greenpeace et le WWF, jusqu’à la RSE (responsabilité sociale des entreprises) dans l’économie privée. Ils proposent une forme de procuration à ceux qui ne souhaitent pas vraiment s’impliquer. Tout cela a fini par s’institutionnaliser, devenir pourvoyeur de carrières, Source de postes qui n’ont plus aucun intérêt au changement social. Ils auraient trop à perdre.
Nous avons désormais une écologie très éloignée de la lutte des classes, qui ne comprend pas les rouages sociaux. Une écologie du spectacle, symbolique, sans aucune influence sur la société. C’est aussi une écologie symbolique. Par exemple, toutes les certifications, labels, systèmes qui donnent l’impression que les multinationales prennent en main la question environnementale. Le folklore institutionnel des promesses vides, comme le Grenelle, le One Ocean Summit. Ou encore les banderoles suréquipées de Greenpeace pour la photo…
Vous dénoncez l’écologie du spectacle, mais les nouvelles formes de lutte qui émergent, comme Extinction Rebellion ou Last Renovation, ne s’appuient-elles pas également sur ce modèle ?
A leurs débuts, ils étaient marqués par ces codes. La dernière rénovation, avec peu de ressources, a réussi à faire parler de ses causes. Mais ils avaient un problème de ciblage. Lorsqu’ils bloquent le périphérique, ils bloquent les pauvres qui ont besoin de leur voiture pour travailler.
Les actions de désobéissance civile pertinentes sont celles qui font obstacle aux catégories qui ont une responsabilité majeure dans l’inaction climatique ou aux sites de production qui entretiennent la crise environnementale. Extinction Rebellion a évolué pour se rapprocher, en lien avec les Soulèvements de la Terre, des luttes locales. Les Soulèvements de la Terre sont une écologie de l’anti-spectacle. La couverture médiatique est un moyen et non une fin en soi. Ce sont des actions ancrées dans le territoire, qui défendront des écosystèmes spécifiques : l’A69, les méga bassins, etc.
La seule issue serait la désobéissance civile ?
Ce n’est pas seulement ça. L’écologie doit se recentrer sur le territoire, au contact des dévastations écologiques. Il y a les voies du blocage, de la mobilisation, des outils juridiques. Sur l’A69, cela a été très utile : les grands projets inutiles sont souvent en proie à l’illégalité. Dans ce type de bataille, des groupes antagonistes comme les naturalistes et les chasseurs peuvent se rassembler pour éviter par exemple de voir une forêt disparaître. Ainsi, l’écologie peut devenir quelque chose de plus intéressant pour des catégories de population qui, jusqu’à présent, pouvaient se sentir attaquées sur le plan moral et symbolique. Des alliances sont possibles entre une bourgeoisie culturelle qui a abandonné le capitalisme et des classes ouvrières conscientes qui ne supportent plus d’être emportées par ce système. Il nous faut une écologie qui prenne parti, qui lutte contre le capitalisme et se mette au service des classes populaires.
Mais l’écologie ne parle plus aux milieux populaires, elle les hérisse même…
En effet, elle s’est construite sur une forme de mépris de classe. Ses revendications sont solubles dans une société libérale sans aucune forme de souci de justice sociale. Ce qui est au centre de l’écologie dominante et du Grenelle de l’environnement, c’est le principe du « pollueur-payeur » : la taxe carbone, les quotas carbone, la compensation carbone, etc. Au fond, qu’est-ce que cela signifie ? Que si vous avez de l’argent, vous avez le droit de polluer. C’est écologiquement inefficace, mais en plus, cela punit économiquement et moralement les classes populaires qui souffrent déjà de la pollution et de la crise. Si l’on a peu d’argent, la taxe carbone est bien plus lourde à payer. Cela a évidemment provoqué un rejet tout à fait légitime, notamment lors du mouvement des Gilets jaunes. C’est la même chose avec les gestes écolos. Cela prend du temps et de l’argent. Nous individualisons les injonctions morales pour la transition écologique sans nous soucier des conditions sociales réelles. Cela crée une violence symbolique parmi les populations vulnérables.
Mais ces gestes écoresponsables ne peuvent-ils pas aussi produire des effets bénéfiques ?
Le problème est qu’elles ont eu pour effet pervers de dépolitiser le sujet. L’État s’est exonéré en rejetant la responsabilité sur le citoyen. Cela crée le désarroi. A mon niveau individuel, ai-je l’impression de maîtriser le désastre écologique en triant mes déchets ? Certainement pas ! Ce qui prédomine, ce sont les modes de vie, l’habitat, les transports, l’énergie. Cela rend invisibles les structures économiques, le rôle des multinationales, des banques, des fonds de pension.
Comment convaincre les plus démunis des bénéfices d’une bifurcation écologique ?
Il faut libérer des pans entiers de l’économie de la loi du profit, ce qui passe par l’organisation d’un mode de production plus démocratique et par un rééquilibrage général des ressources matérielles. Les groupes les plus démunis augmenteront leur niveau de vie tandis que les groupes privilégiés, qui bénéficient aujourd’hui d’inégalités vraiment folles et sans précédent dans l’histoire de l’humanité, devront diminuer. Le discours écologique doit s’attaquer directement aux classes supérieures en leur disant que non, leur mode de vie ne peut pas être universalisé. Nous sommes dans une civilisation suicidaire avec des niveaux d’accumulation que la planète ne peut supporter. Nous pouvons choisir de continuer dans une démocratie libérale de plus en plus autoritaire. Mais si nous faisons de l’écologie, nous ne pouvons ignorer une critique frontale du capitalisme.
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