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Le droit collectif québécois maintient le cap

MONTRÉAL — Droits collectifs Québec (DCQ) n’entend pas baisser les bras contre la Cour suprême, qui a cherché à contourner la Loi sur les langues officielles en annonçant vendredi dernier qu’elle retirera de son site Internet les quelque 6 000 des phrases non linguistiques prononcées avant 1969 au lieu de les traduire.

«Notre intention est de poursuivre les procédures qui, à nos yeux, sont toujours d’actualité, malgré ce geste un peu désespéré de la Cour suprême», a confirmé le directeur général de la DCQ, Étienne-Alexis Boucher, en entrevue à La Presse canadienne. Lundi.

«Il y a quelque chose de vraiment inacceptable à entreprendre cette action sans en aviser la Cour fédérale elle-même, sans même en parler à nous, les plaignants», a déploré le président de la DCQ, Daniel Turp.

« Une certaine arrogance »

«Cette réaction de la Cour suprême démontre une certaine arrogance de sa part, comme si elle n’avait pas appris. À deux reprises, le commissaire aux langues officielles lui a fait des reproches et maintenant nous la traînons devant la Cour fédérale et du coup elle donne cette réponse très insatisfaisante à nos demandes», a-t-il poursuivi.

DCQ a en effet initié, le 1er novembre, une procédure en Cour fédérale contre le greffe de la Cour suprême visant à l’obliger à traduire toutes les décisions rendues par la Cour suprême avant l’entrée en vigueur de la Loi sur les langues officielles en 1969. Les décisions antérieures à cette date ont été rendues uniquement dans la langue dans laquelle elles ont été prononcées, la plupart en anglais.

En plus de l’obligation de traduire ces décisions, la DCQ demande également à la Cour fédérale d’obliger le Chancelier à présenter des excuses officielles et à verser 1 million de dollars en dommages aux organismes qui promeuvent et défendent la langue française.

L’organisation a également demandé au tribunal de déclarer que le Bureau du Registraire viole la loi, mais après le retrait, nous allons maintenant demander confirmation qu’il y a eu une violation avant le retrait.

Blâmé deux fois

La cause de la DCQ s’appuyait sur deux rapports du commissaire aux langues officielles qui concluaient que même si la loi n’était pas rétroactive et n’obligeait pas la Cour suprême à traduire ses décisions avant 1969, leur mise en ligne dans une seule langue constituait un crime en lui-même.

En supprimant ces décisions de son site Internet, la Cour suprême se soustrait ainsi à l’obligation imposée par la loi, mais se retrouve également en contradiction avec elle-même. Le rapport du commissaire aux langues officielles indique que la Cour suprême « a expliqué que le retrait des décisions disponibles dans une seule langue signifierait qu’il n’y aurait plus de manquement à la Loi sur les langues officielles (la Loi) dans le contexte de la enquête. Toutefois, l’institution n’entend pas poursuivre cette option, car elle va à l’encontre des efforts du SCC pour améliorer l’accès à la justice et permettre à la population canadienne d’avoir accès à toutes ses décisions.

Un geste « cynique et méprisant ».

Étienne-Alexis Boucher n’a pas manqué de soulever la contradiction. «On peut remettre en cause ce geste qui est, dans un certain sens, très cynique et méprisant envers l’ensemble de la population canadienne. (…) La Cour suprême va à l’encontre des recommandations du commissaire aux langues officielles et de l’esprit de la loi, qui n’est pas de cacher la jurisprudence sur la Constitution du Canada, mais de la traduire pour qu’elle soit disponible dans les deux langues. langues officielles du pays ».

Par ailleurs, l’argument de la Chancellerie selon lequel ces anciennes décisions seraient encore accessibles sur des sites Internet qui ne sont pas sous son contrôle, en l’occurrence la base de données juridique CanLII, irrite profondément Daniel Turp. « Ce qui nous préoccupe avec CanLII, c’est qu’il s’agit avant tout d’une entreprise privée. La Cour suprême s’appuie donc désormais sur une entreprise privée pour diffuser ses arrêts », déplore-t-il.

Juge et partie

Droits collectifs Québec n’accepte même pas l’annonce de la Chancellerie de commencer à traduire dès 2025 certaines phrases qu’elle considère importantes d’un point de vue jurisprudentiel et historique. « La Cour suprême est juge et plaideur dans ce dossier », affirme Daniel Turp. Elle choisira elle-même, selon ses propres critères, quelles phrases ont une valeur historique ou jurisprudentielle. Il doit s’agir d’un tiers ou d’experts constitutionnels renommés. Aura-t-il ou voudra-t-il avoir le monopole de cette décision ?

Les deux hommes se disent également extrêmement surpris par la déclaration de la Chancellerie selon laquelle ces éventuelles traductions ne seront pas officielles car les juges qui les ont réalisées sont décédés et ne les auront pas approuvées.

«Nous avons consulté l’Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec et jamais, dans le processus de traduction des phrases actuelles, l’auteur de ces phrases n’a été consulté pour approuver la version finale. L’argument de la Cour suprême selon lequel il ne s’agit pas de versions officielles ne tient pas la route», affirme Étienne-Alexis Boucher.

Néanmoins, la DCQ estime que la décision de la Cour suprême de retirer toutes ses décisions monolingues démontre le bien-fondé de son approche, mais « de la pire des manières possibles », écrit l’organisation dans son communiqué de réaction publié lundi matin.

Rappelons que le recours de la DCQ en Cour fédérale ne vise pas la Cour suprême en tant que telle, puisqu’elle est protégée contre un tel appel en vertu du principe de l’indépendance judiciaire. L’organisation a plutôt choisi de cibler le Bureau du greffier de la Cour suprême, une institution de service public fédéral.

Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne

 
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