Récemment, la Communauté métropolitaine de Montréal a dévoilé sa nouvelle cartographie des zones inondables : environ 19 000 logements de son territoire y sont désormais implantés.
L’impact sur les propriétaires fonciers et les municipalités sera considérable. On s’attend à une perte importante de la valeur des terrains et à des difficultés pour assurer ces propriétés. Sans surprise, les demandes commencent à se faire sentir.
En réalité, la CMM ne fait que suivre les principes adoptés par le gouvernement du Québec pour moderniser la réglementation des zones inondables.
Présentées comme une adaptation au changement climatique, les nouvelles cartes classent les zones inondables en quatre catégories de risque (faible, modéré, élevé et très élevé) et intègrent beaucoup plus de données que les précédentes.
La majorité des Québécois habitent près de l’eau
Cette modernisation est certainement nécessaire compte tenu des dégâts causés par les inondations. Au Québec, les inondations sont fréquentes et coûteuses. La majorité de la population vit près de l’eau, ce qui rend environ 80 % des communes vulnérables. Les inondations de 2017 et 2019 ont forcé l’évacuation de milliers de personnes et causé plus d’un milliard de dollars de dégâts.
En 2023, près de 300 propriétés dans Charlevoix ont été touchées. Cette année, les précipitations associées à la tempête Debby ont inondé des milliers de sous-sols, entraînant environ 70 000 réclamations d’assurance.
Lire la suite : Nouvelle cartographie des zones inondables : quatre solutions pour mieux accompagner les habitants et les communes
Nos travaux au sein de l’Observatoire universitaire de la vulnérabilité, de la résilience et de la reconstruction durable et du Réseau Intersectoriel Inondations du Québec nous permettent de mieux comprendre les causes et les conséquences de ces changements réglementaires.
La mise en place d’un régime transitoire pose des problèmes
En attendant de finaliser le nouveau cadre normatif permanent, la gestion des risques d’inondation s’appuie sur un régime transitoire, en vigueur depuis mars 2022.
Ce cadre remplace les anciennes politiques de protection des berges et des zones inondables et fait partie intégrante du Plan Territorial de Protection contre les Inondations, élaboré après les catastrophes de 2017 et 2019.
Cependant, ce régime transitoire se heurte à plusieurs défis. Elle impose un cadre uniforme à toutes les communes, interdisant les rénovations ainsi que toute nouvelle construction dans les zones à risques.
Certains spécialistes suggèrent cependant que plusieurs rénovations pourraient, en effet, accroître la résilience des résidences aux inondations.
D’autres observateurs ont critiqué le manque de clarté des procédures juridiques. La Fédération québécoise des municipalités a souligné la nécessité de préciser les aspects où le régime transitoire remplace la réglementation municipale. De nombreuses municipalités restent incertaines quant à leurs rôles et responsabilités. L’Union des producteurs agricoles s’inquiète à son tour des restrictions sur les terres agricoles, notamment des « zones tampons », qui réduisent les terres cultivables et augmentent les coûts de production pour les agriculteurs.
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En mars 2023, le gouvernement du Québec a annoncé des ajustements pour accorder plus d’autonomie aux municipalités. Ils peuvent désormais délivrer des permis pour rénover ou démolir des bâtiments dans des zones inondables sans l’approbation ministérielle, clarifiant ainsi leurs responsabilités et simplifiant les processus.
Malgré ces ajustements, des inquiétudes persistent quant à la clarté des mesures, à leur application dans divers contextes, aux conflits avec les réglementations existantes et à la prise en compte des particularités locales.
Les habitants sur la corde raide
On s’inquiète également de l’impact sur les résidents et des restrictions imposées aux propriétaires. L’incertitude quant à la réponse des compagnies d’assurance demeure. Déjà cette année, le Mouvement Desjardins annonçait son intention de restreindre les services hypothécaires pour les résidences situées en zone inondable.
En réponse à tous ces problèmes, certains chercheurs proposent l’instauration de certificats de résilience pour les bâtiments, la mise en place d’un programme de relocalisation des logements dans les zones à risque, ainsi que des compensations pour les communes touchées par la perte de recettes fiscales. L’organisation Architectes sans frontières recommande également l’adoption de mesures adaptatives, promouvant une architecture résiliente et des pratiques de construction plus innovantes.
Au Québec, diverses stratégies ont été mises en œuvre pour éviter les relocalisations forcées. Le gouvernement du Québec offre aux résidents la possibilité de réparer leur maison avec une aide financière ou d’accepter une indemnisation pour la démolition et la relocalisation.
On ne déménage pas en criant des ciseaux
Cependant, cette approche pose également certains problèmes. En effet, de nombreux résidents, notamment les aînés et ceux qui ont hérité de propriétés familiales, entretiennent des liens profonds avec leur territoire, leur communauté et leurs modes de vie.
En outre, la reconstruction peut à son tour entraîner de nouveaux impacts environnementaux, notamment en termes d’émissions de gaz à effet de serre et d’étalement urbain si les habitants sont relocalisés vers la périphérie des villes (où, souvent, les terrains sont moins chers et disponibles).
Enfin, le manque de logements récemment accentué au Québec rend plus difficile la relocalisation des résidents vers des logements abordables, non situés en zone inondable.
Que faire des sites patrimoniaux ?
Il convient également de noter que plusieurs zones inondées comprennent des sites patrimoniaux. En Beauce, la réponse aux inondations de 2019 a inclus la démolition de plusieurs propriétés, dont certaines à caractère patrimonial. L’organisation de protection du patrimoine (GIRAM) et d’autres opposants ont accusé le gouvernement d’agir trop rapidement sans envisager d’autres solutions comme surélever les maisons ou construire des digues.
La période transitoire permet au gouvernement de comprendre les risques et d’évaluer les stratégies à mettre en place. Il permet aux chercheurs de produire des connaissances pertinentes. Certains d’entre eux estiment que ce régime, à la fois strict et flexible, facilite la coordination entre ministères et avec d’autres institutions.
Cependant, plusieurs défis subsistent, tels que l’intégration de nouvelles données climatiques, les lacunes en matière de cartographie, l’accès limité à l’information, la répartition inefficace des responsabilités et le manque de ressources entre les autorités locales.
Apprendre des leçons
Des lois temporaires ont également été utilisées dans d’autres pays pour la gestion des risques et des catastrophes. Mais ailleurs, comme ici, elles posent des problèmes de mise en œuvre. Un chercheur de l’Université Harvard, par exemple, note que les lois temporaires permettent des réponses rapides et flexibles, mais qu’elles peuvent également entraîner des coûts de transaction plus élevés, des charges administratives accrues et des contradictions politiques.
Alors que le Québec met à jour son cadre de gestion des risques d’inondation, il est essentiel de tirer les leçons de la période de transition pour bâtir un meilleur cadre permanent. Il sera essentiel d’évaluer les implications politiques et les ressources qui seront nécessaires pour réaliser les changements souhaités.
Des enjeux environnementaux, mais aussi éthiques
Le succès dépendra de la capacité à surmonter les difficultés pratiques et à répondre aux besoins des communautés locales, tout en révisant les normes et pratiques de construction actuelles. Une réflexion sur l’utilisation des sous-sols et leur construction dans de nouveaux projets par exemple devient de plus en plus indispensable. Avec les changements climatiques et l’augmentation des catastrophes qui y sont associées au Canada et dans le monde, de nouvelles approches sont nécessaires.
Bien souvent, les pratiques actuelles ne prennent pas suffisamment en compte les coûts environnementaux et sociaux, ainsi que la dimension morale de nos décisions. Le problème des inondations est, au Québec comme ailleurs, un problème politique. Elle doit donc passer par une réflexion sur la justice sociale, sur les gagnants et les perdants des décisions prises, ainsi que sur la dimension éthique de nos actions individuelles et collectives.
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