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Un or du Rhin brillant et complexe par Tobias Kratzer et Vladimir Jurowski à Munich

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Munich. Théâtre National. 3-XI-2024. Richard Wagner (1813-1881) : L’Or du Rhin. Avec : Nicholas Brownlee (Wotan), Milan Siljanov (Donner), Ian Koziara (Froh), Sean Panikkar (Loge), Markus Brück (Alberich), Matthias Klink (Mime), Matthew Rose (Fasolt), Timo Riihonen (Fafner), Ekaterina Gubanova (Fricka), Mirjam Mesak (Freia), Wiebke Lehmkuhl (Erda), Sarah Brady, Verity Wingate, Yajie Zhang (Filles du Rhin). Orchestre d’État de Bavière, direction : Vladimir Jurowski

Avec un casting homogène, les deux maîtres proposent une soirée d’une grande intelligence musicale et scénique.

Pour l’Opéra de Munich, le Anneau est une affaire cruciale mais complexe : certes, les deux premières parties du cycle ont été créées au Nationaltheater, mais les deux dernières productions depuis le début du siècle n’ont pas connu un sort très heureux : en 2002, L’Ou du Rhin réalisé par Herbert Wernicke est très prometteur, mais le réalisateur meurt avant les répétitions de La Walkyrieà tel point que le cycle bouclé dans l’urgence par David Alden, malgré ses grandes qualités, ne fut donné que jusqu’en 2006. En 2012, la mise en scène d’Andreas Kriegenburg faisait pâle figure aux côtés de l’interprétation musicale des deux directeurs musicaux successifs, Kent Nagano et Kirill Petrenko. , et il a trop vite disparu du programme. Le choix de Tobias Kratzer pour ce nouveau cycle apparaît évident : après un Crépuscule isolé à Karlsruhe, puis son brillant Tannhäuser originaire de Bayreuth, il est sans aucun doute l’homme de la situation. Et les spectateurs, tout comme certainement la direction de la maison, peuvent pousser un soupir de soulagement après la représentation : non, les attentes que nous avions tous placées en lui n’ont pas été déçues.

Mais la mise en scène ne fait pas tout : commençons par la musique. Pour presque tous les rôles, on pourra trouver des titulaires plus anciens ou récents plus brillants, plus marquants individuellement (y compris sur une même scène), mais la cohérence et la qualité de la préparation du casting n’en sont pas moins remarquables. Et on sent, ce qu’il y a de plus précieux, que le travail commun sur la partition va de pair avec le travail théâtral, l’un se nourrissant de l’autre. On pourrait ainsi trouver un peu limité ce que Wotan de Nicholas Brownlee propose en termes de couleurs et de complexité d’interprétation, mais il est ainsi en pleine conformité avec son caractère scénique d’arriviste un peu paresseux, moins figure tutélaire que Never. La soirée est largement dominée par la Loge de Sean Panikkar, Dieu du feu qui n’hésite pas à jouer avec la moindre flamme : son personnage agaçant de manipulateur trop confiant est très juste, et sa voix acérée sait appuyer là où il faut. ça fait mal.

Vladimir Jurowski n’avait jamais dirigé Wagner à Munich, l’enjeu n’était donc pas minime pour lui ; on ne dira pas qu’il égale la profondeur métaphysique de son prédécesseur Petrenko, mais sa direction vivante est celle d’un conteur maîtrisant sans cesse ses effets, avec un goût marqué pour les profondeurs et un sens de la dynamique qui rend toujours juste, sans jamais oublier pour soutenir les chanteurs. L’intelligibilité du texte est spectaculaire, même si tous les chanteurs sont loin d’avoir un allemand idiomatique. On ne s’ennuie jamais une seconde, grâce à son souci du détail qui laisse toujours quelque chose à découvrir, sans oublier la longue durée de la soirée. L’orchestre montre toute sa souplesse dans cette interaction avec son directeur musical, capable d’un coup de prendre du volume, de plonger dans une basse fuligineuse, de retrouver soudain de la transparence : un véritable orchestre de théâtre.

Le décor de la plupart des scènes est celui d’une église néo-gothique, dont les hauts piliers structurent l’espace ; on aperçoit une grande forme recouverte d’une bâche. La soirée s’ouvre avec Alberich (Markus Bruck) qui, après avoir tagué “Dieu est mort”essaie en vain de mettre fin à ses jours ; il est dérangé par les trois filles rhénanes, jeunes femmes d’aujourd’hui, fortes et libres, et même un peu sorcières, pas du tout timides face aux entreprises d’Alberich : nul doute que Kratzer n’oubliera pas les personnages ainsi créés.

C’est aussi dans cette église encore en construction que dorment les dieux : ceux qui la construisent pour eux, bien sûr, sont les géants, costume noir et col romain (et Matthew Rose comme Timo Riihonen chantent conformément à cette interprétation, ni maladroite, ni maladroite, ni brutal) : ce qu’ils fournissent aux dieux n’est pas tant une forteresse qu’une légitimation, d’abord présentée simplement comme le slogan bêta « Son Valhalla, son Wotan » ; tel est le sens de ce cadre ecclésial, non la promesse d’une quelconque transcendance, mais le moyen pour les pouvoirs traditionnels d’ancrer leur supériorité dans un discours sacré. Les dieux sont alors en costumes pseudo-médiévaux, un peu à la manière des personnages des fresques des Nibelungen situées dans la Résidence à quelques mètres du Théâtre National.

Pour descendre jusqu’aux Nibelungen, Wotan et Loge doivent parcourir une distance bien plus grande : un court film irrésistiblement comique les montre prendre l’avion pour retrouver Alberich de l’autre côté de l’Atlantique, dans sa maison au garage transformée en bunker de survie. : armes de guerre au mur, écrans de surveillance multiples alimentant un rapport hystérique au monde, valises renforcées pour se préparer au pire. Alberich peut y ressasser sa haine en échangeant à distance avec ses pairs. Durant le voyage, Wotan abandonne ses atours médiévaux pour un costume moderne : aussi attaché qu’il soit au passé, il doit faire des concessions au présent, sur les méthodes et non sur les objectifs.

Il ne reste plus aux dieux qu’à se glisser dans le retable, telles des statues vivantes, sous le regard de la foule qui envahit l’église et vient les vénérer : il n’y a pas de trahison, pas de mensonges, pas d’égoïsme que combine l’éclat du pouvoir suprême. avec la transcendance ne peut pas racheter (il n’y a pas que dans l’opéra qu’on voit cela). La gourmandise narrative de Kratzer, la qualité du travail des acteurs, sa capacité à analyser ce qui est au cœur de l’œuvre, une fois de plus, font des merveilles.

En fin de soirée, il ne reste plus qu’une frustration, celle d’attendre : la suite du cycle devra attendre, puisque La Walkyrie n’est même pas au programme de la saison en cours, sans parler des cycles complets qui ne suivront qu’en 2027. Il faut espérer, à en juger par ce début, que cette fois l’Opéra bavarois maintiendra longtemps son répertoire une production qui a de quoi renforcer l’identité aujourd’hui quelque peu fragile de la maison.

Crédit photo : © Wilfried Hösl

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