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le centre ville est-il dangereux ?

Cette question posée par un internaute sur une page Reddit dédiée à la ville de Sherbrooke, il y a quelques mois, a généré des commentaires négatifs sur le centre-ville.

«Vérifier une carte. Dessinez un carré sur les rues Bowen et Alexandre, entre Galt et King. Ce n’est pas mal, taches qu’on veut éviter”, écrit un internaute, parmi la trentaine de commentaires. « Personnellement, en tant que femme, j’éviterais Bowen Street, Alexander et Wellington. Je ne m’y promènerais pas seul la nuit », a ajouté un deuxième.

Ancré dans l’imaginaire collectif, ce sentiment d’insécurité donne au centre-ville une réputation peu flatteuse. Un sondage Léger commandé par la Ville de Sherbrooke dévoilé mardi suggère que 91 % des répondants se sentent en sécurité à Sherbrooke… sauf au centre-ville, où seulement 67 % des répondants expriment une perception de sécurité. Méritée ou pas cette réputation ? La Tribune couvre la question.

“Je ne peux pas compter les fois où j’ai dû appeler la police.”

Pendant trois ans, Mélanie, qui préfère taire son nom de famille, a habité la rue Bowen Sud, près de l’intersection avec la rue King Est. « Avec le recul, c’est fou comme je me rends compte que je supportais des choses qui n’avaient pas de sens », exprime la couturière de 40 ans.

« Si je vais voir un spectacle au Théâtre Granada, j’ai peur de revenir en arrière. Le petit parc à l’angle des rues Bowen South et King East, on ne passe pas par là quand la nuit tombe», insiste-t-elle, ajoutant qu’elle a déjà été suivie tardivement à proximité de cet endroit.

Mélanie raconte avoir également vu à plusieurs reprises des personnes consommant des substances dans la rue, ce qui l’a secouée. Pour elle, cette cohabitation avec une population plus marginalisée était difficile. «J’ai souvent, souvent appelé la police [pour des gens en crise]», se souvient-elle.

Mélanie a vécu trois ans au centre-ville, dans le quartier de la rue Bowen Sud. (Maxime Picard/La Tribune)

Selon elle, les vols et le vandalisme étaient également fréquents dans son quartier. « Mon voisin a même eu son char détruit », se souvient-elle.

Il n’était pas rare que Mélanie croise dans la rue des personnes qu’elle qualifie de « très agressives ». « Nous essayons de rester à l’écart. Nous les laissons vivre. Ils ont tous une histoire, ces gens-là. Je ne veux pas qu’ils bougent. Je veux juste me sentir en sécurité », dit-elle.

Allyson souhaite également ne donner que son prénom. Elle vit au centre-ville de Sherbrooke depuis plusieurs années. Même si son appartement se trouvait à moins d’un kilomètre de l’ancienne résidence de Mélanie, son expérience a été différente.

Pour l’étudiant de 25 ans, le centre-ville de Sherbrooke possède un esprit communautaire comparable à celui d’un village. « Quand je sors de chez moi, je peux traverser la rue King Ouest et voir mes amis me saluer à la vitrine du restaurant Louis. Et quand je vais sur la rue Wellington, je rencontre toujours au moins deux personnes [que je connais]», se réjouit Allyson.

Allyson et son chat André ont élu domicile dans l’ouest du centre-ville.
(Maxime Picard/La Tribune)

Même si son expérience a été globalement positive, Allyson a rapidement développé un malaise lorsqu’elle a traversé la rue King pour se rapprocher de la rue Alexandre. Elle se retrouve également plus aux aguets lorsqu’elle doit déménager de l’autre côté de la rivière Saint-François, vers la rue Bowen.

Allyson confie même qu’elle a choisi son appartement en fonction de son emplacement, afin d’éviter certaines rues, comme la rue Gillepsie. « Je me voyais descendre du bus tard dans la soirée et devoir marcher dans le noir. je n’étais pas jeu…” se souvient-elle, précisant qu’elle n’a jamais vraiment été en danger.

Que disent les statistiques ?

Y a-t-il plus de délinquance en centre-ville ? Quel portrait peut-on dresser des statistiques de sécurité publique disponibles sur le site Internet de la Ville de Sherbrooke ?

Entre le 1er juillet 2021 et le 30 juin 2024, la Ville de Sherbrooke a enregistré 12 421 crimes, répartis dans 14 arrondissements. Nous avons sélectionné cinq crimes, que nous avons regroupés sous trois catégories : vols et effractions, agressions et menaces et méfaits. Les trois quartiers qui touchent le plus le centre-ville, soit Pin-Solitaire, Hôtel-Dieu et Lac-des-Nations, présentent des statistiques élevées, le quartier Hôtel-Dieu étant le théâtre de moins de crimes que les deux autres.

Le district du Lac-des-Nations se classe au sommet des trois classements, regroupant ainsi près du cinquième de tous les méfaits, menaces et agressions, ainsi que les vols et effractions commis sur le territoire de Sherbrooke.

Les chiffres sont aussi particulièrement élevés pour Pin-Solitaire et Ascot, qui ont vu respectivement 11,7 % et 14,3 % des agressions et menaces commises à Sherbrooke au cours des trois dernières années.

Près de 13,5 % des méfaits de Sherbrooke ont été perpétrés dans le quartier Pin-Solitaire, alors qu’Ascot en représente près de 11 %.

Le quartier de l’Hôtel-Dieu n’est jamais loin du haut du classement, avec 9 % des vols et effractions, 11,9 % des menaces et agressions et 7,9 % des méfaits.

Notamment, en termes de vols et d’effractions, la deuxième position revient au quartier Carrefour, qui abrite une grande partie des commerces les plus fréquentés de la ville.

Une réputation qui ne date pas d’hier

L’historien Harold Bérubé explique que le centre-ville de Sherbrooke a toujours été perçu comme ayant une mauvaise réputation. À tel point qu’à partir de la fin du XIXe siècle, les élites les plus aisées commencent à s’éloigner du centre-ville. «Ils auront envie de se retrouver, alors ils se dirigeront vers le Vieux Nord. C’est comme le quartier de l’élite. Les ouvriers n’ont pas ce luxe ; ils doivent être proches du travail », précise l’historien.

Le centre-ville de Sherbrooke n’a pas toujours joui d’une bonne réputation. (Maxime Picard/Archives La Tribune)

Plus tard, dans les années 1960 et 1970, le centre-ville fut déserté avec l’avènement des centres commerciaux. Les commerces de la rue Wellington sont progressivement remplacés par des bars et autres établissements axés sur le divertissement. « Le centre-ville a l’air démodé, démodé, en ruine. C’est très difficile de démêler cela une fois que cela s’est installé dans l’esprit des gens », a déclaré Harold Bérubé.

Aujourd’hui, le terme couramment utilisé est plutôt « dangereux ».

Une peur de l’inconnu

Catherine Blais, technicienne en travail social et coordonnatrice à Ma Cabane, centre de jour et lieu de répit pour personnes isolées ou à risque d’itinérance, affirme qu’il n’est pas rare que les gens dévisagent les travailleurs ou les usagers qui se tiennent debout l’entrée du centre de jour, au coin des rues Bowen et King. “C’est comme si c’était un spectacle anormal», déplore-t-elle.

Elle explique que ce coin de rue attire des populations marginalisées puisqu’il est à proximité de certaines ressources importantes, dont Ma Cabane, La Chaudronnée et Partage St-François. Ma Cabane accueille près d’une centaine de personnes par jour.

Catherine Blais travaille comme coordonnatrice au centre de jour Ma Cabane. (Maxime Picard/Archives, La Tribune)

Interrogée sur les enjeux de sécurité ressentis par les citoyens du centre-ville, Catherine Blais affirme qu’il faut d’abord faire la différence entre se sentir perturbé et se sentir réellement en danger. « Bien sûr, si vous voyez quelqu’un que vous ne connaissez pas, qui est un peu en difficulté, qui se parle très fort, je comprends. [que ça peut être dérangeant]. Mais en général, si on s’arrête un peu, c’est facile de voir [qu’il n’est pas dangereux]vraiment juste dans sa bulle », explique-t-elle.

Selon la coordonnatrice, il n’existe pas de solution miracle pour faciliter la cohabitation. « Nous vivons dans une société hyper-intolérante envers nous-mêmes et envers les autres. C’est un idéal d’essayer d’atteindre la diversité sociale sans passer par le simple vivre ensemble », estime-t-elle.

Sébastien Ouimette, responsable de l’EMIP. (Maxime Picard/Archives La Tribune)

L’équipe mobile d’intervention psychosociale (EMIP) du Service de police de Sherbrooke (SPS) travaille également en étroite collaboration avec les populations marginalisées du centre-ville. «On s’assure qu’ils n’ont pas de besoins immédiats, ni pour leur santé mentale, ni pour leur sécurité», explique Sébastien Ouimette, le patron de l’EMIP, qui ajoute que des tournées sont régulièrement faites pour maintenir le contact.

L’EMIP peut recevoir des appels concernant une personne qui erre sans commettre d’infraction, mais dont la présence inquiète un citoyen. « On leur explique que leur présence n’est pas forcément dangereuse. Souvent, les gens finissent par comprendre que ce n’est pas automatiquement une personne qu’il faut traduire en justice », explique-t-il.

Sébastien Ouimette précise qu’il peut arriver que certaines interventions se terminent devant les tribunaux, mais qu’elles demeurent occasionnelles. Selon lui, la hausse de l’itinérance en Estrie est un phénomène avec lequel la population doit encore apprendre à composer.

 
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