Les jurés ont récompensé un livre qui raconte avec un humour noir le combat d’une femme pour que sa mère âgée termine ses jours dans la dignité.
Le Prix Médicis a l’heureuse idée cette année de récompenser une écrivaine française, Julia Deck, qui manie parfaitement l’humour noir et l’ironie, sans doute grâce à ses origines maternelles britanniques. Elle a commencé à publier en 2012, à trente-six ans, aux Editions de Minuit, et s’est fait un nom en tant qu’auteure de comédies sociales féroces et hilarantes. Ses deux romans précédents, Propriété privée, dans un écoquartier de bobos, e Monument national, où s’affrontent nouveaux riches propriétaires de villas et personnages délicieusement sarcastiques issus des quartiers populaires.
Anne d’Angleterrepublié dans Le Seuil, distingué par le jury Médicis, est d’un style différent, même si le fort tempérament de l’auteur est bien reconnu. Dans ce livre où elle se met en scène, Julia Deck déclare d’emblée qu’elle dira la vérité, toute la vérité, s’il y a vérité, sur sa mère et le secret qui entoure cette femme au destin étonnant, Ann, née en 1937 dans un milieu ouvrier en Angleterre.
Ce qui a précipité l’écriture de cette histoire, c’est ce qui s’est passé dans la soirée du dimanche 24 avril 2022. Julia Deck a retrouvé sa mère effondrée sur le carrelage de sa salle de bain parisienne, vingt-huit heures après l’avoir grondée alors qu’elle sortait du pressing. Un événement qu’il redoutait depuis l’adolescence, mais avec une sorte de curiosité mêlée de ” espoir troublé ». Comment aurait-elle survécu à la disparition de quelqu’un dont – jusqu’à preuve du contraire – elle était l’enfant unique ?
C’est une histoire en deux parties. Il est composé d’un côté du journal de bord de Julia, 47 ans, qui se bat comme une lionne avec les médecins pour que sa mère ne soit pas traitée comme une carcasse mais reçoive une rééducation adéquate et puisse finir ses jours dans un endroit digne d’elle. Parce qu’Ann a défié les prédictions des médecins urgentistes qui la condamnaient à une mort imminente. L’accident vasculaire cérébral l’a laissée hémiplégique, avec une mémoire et une parole altérées et déconnectées, mais cela ne l’a pas tuée. Ce journal de combat, plein de colère refoulée et d’humour noir, est jonché de questions. Pourquoi, se demande Julia Deck, faire autant d’efforts pour s’assurer que sa mère échappe au sort de la plupart des patients dans les services gériatriques dévastés et désastreux ? « C’est une construction morale d’imaginer qu’après tout ce qu’une personne a vécu, nous devons lui offrir une fin digne d’elle », écrit-il. Et encore : « C’est une construction inutilement mélancolique que de voir dans la personne actuelle la personne qu’il était. »
Urgence vitale
Cependant, contre un certain utilitarisme à la mode, Julia Deck choisit la moralité et la mélancolie. C’est pour cette raison qu’il entreprend, et c’est le deuxième niveau du récit, d’écrire une chronique qui racontera la vie de sa mère. Sans en avoir l’air, cela souligne l’intelligence, le courage et la ténacité dont Ann a fait preuve en s’échappant de son milieu d’origine, en étudiant à Paris et en s’y installant. Ann qui a élevé sa fille presque seule, occupant quatre emplois, choisissant de continuer à travailler jusqu’à 80 ans… Dieu sait que Julia est horrifiée par cette étrange mère, mais Dieu l’admire ! Les deux histoires, celle dans laquelle l’auteur dit « moi » et « ma mère », et celle dans laquelle elle dit « Ann » et « Julia » finiront évidemment par converger.
C’est une histoire écrite avec vivacité, dans une urgence vitale, qui soulève une série de questions. Sur le sort réservé aux personnes âgées lorsque l’hôpital les accueille dans des structures qui signifient : “Vous ne méritez pas d’exister, et encore moins de recevoir des soins aux dépens de la société”. Sur l’ambivalence de la relation entre une mère et sa fille, fondement de leur rivalité. Sur le vieillissement, auquel Ann refusait d’affronter, et sa fille encore plus : « Qu’est-ce que cela m’aurait coûté de la voir vieillir ? » Qu’est-ce que cela m’aurait coûté d’avoir été plus patient ? »
Je ne suis pas sûr que Julia Deck saura résoudre l’énigme de sa « mère inconnue ». En revanche, une chose est sûre, le récit a un pouvoir prophétique : « J’ai longtemps observé que mes romans révélaient le passé et prédisaient l’avenir. » Voici comment l’auteur de Monument national aura la consolation de voir sa mère vivre ses derniers jours dans un château… Anne d’Angleterreun titre qui lui va beaucoup.
IL Prix des médecins étrangers revient à l’excellent écrivain guatémaltèque Eduardo Halfon pour son roman Tarentule (Quai Voltaire/Table Ronde), salué par Eric Neuhoff Figaro littéraire du 12 septembre la prose « d’une clarté presque aveuglante ».
Et le Essai sur le prix Médicis Le tome 3 de l’immense biographie qu’il a consacré à Kafka a été attribué à Reiner Stach Les années de jeunesse (Cherche-Midi).
Le jury Médicis, présidé cette année par Anne F. Garréta, est composé de Marianne Alphant, Michel Braudeau, Marie Darrieussecq, Patrick Grainville, Dominique Fernandez, Andreï Makine, Pascale Roze et Alain Veinstein.
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