Quel que soit le vainqueur de l’élection présidentielle américaine, une chose ne changera pas : les États-Unis devraient rester le premier producteur mondial de pétrole et de gaz, devant l’Arabie saoudite et la Russie. Jamais dans l’histoire ils n’ont produit autant, au point d’être devenus exportateurs nets de ces énergies fossiles pendant cinq ans.
« Beaucoup de gens en Europe ne comprennent pas l’impact de ce qui se passe là-bas. Aujourd’hui, les États-Unis disposent d’un niveau de réserves d’hydrocarbures similaire à celui de l’OPEP. explique Anna Creti, directrice de la chaire d’économie du climat et de la chaire d’économie du gaz à l’université Paris Dauphine.
La révolution du gaz et du pétrole de schiste
À la mi-octobre, le taux d’extraction de pétrole a atteint un niveau record de 13,4 millions de barils par jour, selon les statistiques du ministère américain de l’Énergie. C’est près de 5 millions de plus qu’il y a cinq ans, soit une augmentation de près de 60 %…
La croissance est tout aussi spectaculaire pour le gaz. Jusqu’en 2016, les États-Unis n’exportaient pas de gaz naturel liquéfié (GNL). Ils sont devenus l’année dernière le premier exportateur mondial, devant l’Australie et le Qatar.
Fracturation hydraulique et forage horizontal
Dans les deux cas, ce résultat est lié à l’exploitation du gaz et du pétrole de schiste, aussi appelés non conventionnels. Les molécules sont intégrées directement dans la roche plutôt que logées en couches. L’aventure a commencé il y a à peine vingt ans et est liée à une double révolution technologique.
Il y a d’abord la fracturation hydraulique, critiquée par les défenseurs de l’environnement pour les produits chimiques utilisés, puis le développement des forages horizontaux, dont certains dépassent désormais les dix kilomètres de longueur. « La fracturation hydraulique n’est pas vraiment débattue ici, même s’il y a quelques protestations » souligne Anne-Sophie Corbeau, chercheuse au Center on Global Energy Policy de l’Université Columbia à New York.
L’explosion du gaz de schiste
Entre 2007 et aujourd’hui, la production annuelle de gaz de schiste (80 % du gaz naturel américain) est passée de 1 300 milliards de mètres cubes à près de 30 000 milliards de mètres cubes. Elle est concentrée principalement dans les plaines du Texas et dans le bassin des Appalaches.
Avec ses 13 000 puits actifs, la Pennsylvanie produit désormais plus de gaz que le Qatar. Et c’est un État clé dans la course à la Maison Blanche. C’est pourquoi Kamala Harris se déclare aujourd’hui favorable à la fracturation hydraulique, alors qu’en 2019, lors de la primaire démocrate, elle réclamait son interdiction.
Selon les experts, le bassin de Marcellus, situé sous la Pennsylvanie et la Virginie occidentale, disposerait de suffisamment de réserves pour produire jusqu’en 2075, voire 2100. Sans oublier l’exploitation du pétrole de schiste qui permet aussi de récupérer beaucoup de gaz.
Consensus social autour d’une énergie bon marché
“Les Américains ont découvert sous leurs pieds une nouvelle ressource et ne sont pas près de s’en passer, car dans un pays aussi énergivore, disposer d’une énergie bon marché constitue la base d’un compromis social, pour les ménages comme pour les entreprises”, souligne Laurent Carroué, directeur de recherche à l’Institut français de géopolitique (IFG). Selon lui, que le vainqueur de l’élection présidentielle soit Kamala Harris ou Donald Trump n’aura aucun effet sur la politique énergétique, qui a permis aux États-Unis de s’affranchir de leur dépendance aux ressources du golfe Persique et de l’Arabie saoudite.
«Si elle est élue, la candidate démocrate devrait poursuivre le soutien aux énergies renouvelables initié dans l’Inflation Reduction Act (IRA) de Joe Biden, mais elle ne devrait pas remettre en question le modèle de croissance basé sur les énergies fossiles, même si l’on commence à voir un changement dans opinion sur les questions climatiques », pensez à Anne de Crète
Maintenir les prix de l’essence aussi bas que possible
Mais pour l’instant, maintenir le prix du gallon d’essence (3,785 litres) aussi bas que possible est un impératif, voire une obsession, pour tout président américain. Et pour cela il faut continuer à forer, comme le rappelait Joe Biden en 2022, en abandonnant le moratoire sur les nouveaux projets d’hydrocarbures sur les terres fédérales (environ 28 % du territoire) qui était pourtant une des promesses phares de la campagne.
“Aujourd’hui, les goulots d’étranglement pour produire davantage ne sont pas liés aux préoccupations environnementales, mais résident uniquement dans la capacité à produire et à installer suffisamment de tubes pour acheminer le gaz vers la côte afin qu’il puisse être exporté”, rappelle Laurent Carroué.
Dépendance européenne au gaz américain
Début 2024, le président américain Joe Biden a néanmoins annoncé un moratoire sur la construction de nouveaux terminaux d’exportation de GNL, invoquant le « menace » climatique, mais sans remettre en cause les projets déjà lancés. Et ils sont nombreux. Sept terminaux sont actuellement en service et cinq autres devraient voir le jour.
« Entre 2022 et 2026, la capacité d’exportation américaine de GNL augmentera de 60 % » rappelle Olivier Appert, conseiller au Centre énergie et climat de l’Institut français des relations internationales (Ifri). Un point important pour l’Europe, qui a déjà largement remplacé ses livraisons de gaz russe par des cargaisons de gaz américain, au point que certains y voient le remplacement d’une dépendance par une autre.
Selon le locataire de la Maison Blanche, l’administration pourrait ainsi se montrer plus ou moins exigeante, notamment sur les volumes d’exportation de GNL, réservés aux pays ayant signé un accord de libre-échange avec les Etats-Unis. Il ne fait aucun doute non plus que cela entraînera une augmentation des prix pour les consommateurs américains.
“Si Kamala Harris est élue, elle devrait sans doute aussi imposer des normes plus restrictives en matière d’émissions de méthane, liées notamment aux fuites des installations, qui représentent le principal problème”, believes Anne-Sophie Corbeau.
Un atout pour la compétitivité des entreprises américaines
Disposer d’une énergie abondante et bon marché est en tout cas un facteur clé pour la compétitivité des entreprises américaines. Au grand désarroi de l’Europe avec laquelle l’écart se creuse, au point que des pans d’activité entiers tirent la sonnette d’alarme. C’est le cas de la chimie. En France, le secteur multiplie les plans de licenciements et craint de perdre 15 000 emplois d’ici trois ans, soit 8 % de ses effectifs.
L’abandon du secteur s’explique d’abord par “le coût de l’énergie”incluant un prix de l’électricité “deux fois plus élevé en France qu’aux Etats-Unis”et un prix du gaz « cinq fois plus élevé »rappelle Magali Smets, la directrice générale de France Chimie.
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