« Le temps s’est arrêté le 12 octobre à 10h30 »» lance Samba Gadiaga, figé au milieu de sa propriété dévastée. A Ballou, comme dans une vingtaine d’autres villages du département de Bakel, à l’est du Sénégal, ce fut comme un long et lent raz-de-marée. Près de 56 000 personnes ont perdu leur logement, leurs terres, souvent les deux à la fois, selon un bilan officiel rendu le 31 octobre et encore provisoire. Des centaines de milliers d’hectares ont été recouverts d’eau et le sont toujours.
Les dégâts se concentrent sur une bande de terre longue de plusieurs centaines de kilomètres sur la rive gauche du fleuve Sénégal. En toute hâte, une digue a été construite dans la grande ville côtière de Saint-Louis pour tenter d’éviter les inondations, alors que les inondations continuaient de se déplacer vers le nord-est, plus en aval de la plaine du Sénégal. ou encore les régions agricoles de Matam et Podor, également fortement touchées.
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Depuis le toit-terrasse qui est devenu l’arche de Noé pour quarante-quatre enfants, Samba Gadiaga se souvient de ces dix jours où les charrettes flottaient et les ânes avaient disparu des rues ; des canots étaient alors nécessaires pour s’approvisionner. Aujourd’hui, il ne reste plus à cet agriculteur vêtu d’un boubou bleu que de contempler ses rizières ravagées par les eaux de la Falémé, un des affluents du fleuve Sénégal.
Les maisons se sont effondrées comme des châteaux de cartes
« Cette succession de pointes de crues, entre fin août et mi-octobre, a saturé les sols, » déclare Andrew Ogilvie, chercheur en hydrologie à l’Institut de recherche pour le développement, à Montpellier. Le bassin du fleuve Sénégal ne pouvait plus rien absorber. Ce n’est pas la violence des inondations urbaines dans la région de Valencia [qui ont fait plus de 200 morts en Espagne]mais l’effet est cataclysmique pour les centaines de milliers de Sénégalais vivant sur cette terre ».
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Après ces pluies torrentielles de fin de saison – un des effets du réchauffement climatique – la puissance du fleuve Sénégal a été décuplée par les lâchers d’eau du barrage saturé de Manantali, un de ses affluents au Mali. Le cours d’eau a quitté son lit, les pistes en latérite sont alors devenues inaccessibles. Des pylônes électriques, des antennes-relais téléphoniques, des épiceries, des machines agricoles, des écoles et des milliers de maisons en banco – un matériau composé d’argile et de paille – ont été endommagés ou, le plus souvent, se sont effondrés comme des châteaux de cartes.
Très vite, les secours s’organisent : des bénévoles, des voisins, des canoéistes de Bakel, des entreprises et même des habitants de Dakar, à 700 km de là, se mobilisent et de nombreuses caravanes de solidarité sont lancées. Un bilan humain plus lourd a ainsi été évité, même si une fillette de 7 ans a été retrouvée noyée à Kidira, à la frontière avec le Mali. L’État n’est pas resté inactif, mais, s’il tente aujourd’hui de gérer l’aide, son réveil a été tardif et encore insuffisant : seules huit grandes tentes pour réfugiés ont été installées le 18 octobre, soit six jours après la catastrophe, selon un document officiel. consulté par Le Monde.
Trois semaines après le début des inondations, l’étonnement et un sentiment d’abandon restaient largement partagés sur cette bande de terre limitrophe de la Mauritanie et du Mali. Rencontré mercredi 30 octobre, un vieil homme au keffieh rouge était assis dans la cour d’une mairie dont le toit avait été arraché, attendant depuis deux heures un improbable renouvellement de l’acte d’état civil.
La visite de Bassirou Diomaye Faye critiquée
Après les aides exceptionnelles des premiers jours, la mobilisation des autorités peine à soulager les besoins. « Il me faudrait 3 millions de francs CFA [4 596 euros], ou le travail de plusieurs années, pour reconstruire”explique, truelle à la main, Boubacar Marega, seul, face à sa maison en ruines. Le gouvernement sénégalais a promis le 16 octobre de débloquer 12 millions d’euros, mais cela semble insuffisant compte tenu de l’ampleur des projets.
Pire, l’arrivée le 19 octobre du chef de l’Etat, Bassirou Diomaye Faye, en treillis et lunettes noires, a alimenté la colère des sinistrés en se rendant uniquement dans les deux sites de relogement et non là où les habitants étaient les plus durement touchés. A Golmy, épicentre du désastre, l’amertume d’Ahmed Traoré a été décuplée après sa rencontre avec le président. “Je lui ai dit que c’était dommage de vivre si isolé, » dit le retraité d’un hypermarché en France, rentrant dans son village natal pour passer, pensait-il, quelques jours tranquilles. Son attitude est incompréhensible, il est resté uniquement sur la terre ferme, pour repartir aussi vite en hélicoptère et ne survoler que les zones inondées.»
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Cheikhna Camara, le maire de la commune voisine de Ballou, ne cache pas non plus sa colère envers les nouvelles autorités – « nuls et incapables » – et s’insurge contre leur manque d’anticipation. « Lors de la réunion interministérielle du 26 août, j’ai dit au Premier ministre [Ousmane Sonko] que le niveau d’alerte avait été dépassé et que le plan Orsec devait être déclenchéprécise M. Camara, invité à la réunion en tant que vice-président de l’association des maires du Sénégal. Mais rien n’a été fait ! Les lumières étaient rouges et ils regardaient ailleurs.
Pour l’heure, lui et tous ses voisins continuent de nettoyer, de déblayer, de frotter ce qui peut l’être, alors que plane le spectre d’une catastrophe sanitaire. Dans les marigots occupant la moitié du village de Golmy, des ânes paissent dans la boue d’une décharge à ciel ouvert mêlée d’eau stagnante. Les inondations ont couvert les puits d’eau douce et aucun arrêté n’a été émis pour interdire leur consommation ou leur usage domestique.
“Nous avons perdu le sentiment du danger”
« Comprimés d’eau de Javel pour désinfecter l’eau » ont été distribués, précise Yassine Gueye, l’infirmier en chef. En quelle quantité ? Les données fournies par la préfecture de Bakel ne le précisent pas. Seul “une dizaine de cas de diarrhée” ont été enregistrées par le seul et unique soignant pour 10 000 habitants. « Sans être alarmant, ce sont des signaux faibles que nous surveillons », a-t-elle déclaré.
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Dépêchés sur place, les pompiers n’avaient toujours pas pompé, au 31 octobre, les milliers d’hectares encore inondés, faisant naître des risques de propagation de maladies comme le choléra. Conscient du risque, le préfet de Bakel estime que le « 80 000 litres d’eau potable » envoyés dès les premiers jours ont permis d’éviter une catastrophe d’une toute autre ampleur pour les 35 000 victimes les plus touchées.
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Piégés par les eaux, les habitants voient désormais leur avenir entravé sur ces terres marquées par des décennies de sécheresse, autre effet du réchauffement climatique. « Contrairement au inondations de 1974 [qui avaient fait moins de dégâts], nous avons perdu le sentiment du danger en construisant dans des zones inondables, souligne Boubou Lasana Camara, le chef du village de Golmy. Ce fut une erreur fatale. » A Golmy et Ballou, les parties hautes, construites avant les années 1970, ont été épargnées. Perché sur une montagne, construit avec la sueur et le sang de milliers de travailleurs forcés au XIXe sièclee siècle, le fort colonial de Bakel, aujourd’hui occupé par le préfet, n’a jamais été menacé par les inondations.
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