Le contexte d’urgence climatique nous impose de rechercher toutes les solutions exploitables pour réduire l’empreinte carbone de toute mobilité. Parmi les énergies alternatives au diesel non routier (NGR), le bioGNC présente un potentiel intéressant et ne doit pas être négligé en France pour le transport de passagers et de marchandises par navigation fluviale et maritime côtière. C’est ce qui ressort d’une étude menée conjointement par GRDF et l’Ademe, avec la participation des Voies navigables de France (VNF).
Concernant la navigation fluviale et maritime côtière, il est possible de remplacer le GNR par du HVO obtenu à partir d’huiles végétales et de déchets retraités, du carburant de synthèse (BTL issu de la biomasse, CTL issu du charbon, GTL issu du gaz naturel), de l’hydrogène, du méthanol, de l’électricité à stocker dans des batteries. , et du bioGNV produit à partir de la biomasse.
Intitulée « Potentiel du bioGNV en navigation fluviale et maritime côtière », l’étude de l’Ademe et GRDF se concentre sur le bioGNV qui permet d’obtenir du puits à l’hélice une réduction jusqu’à 88 % des émissions de gaz à effet de serre. Les gains sont également intéressants concernant les rejets d’hydrocarbures (de -84 à -92%), d’oxydes d’azote (-62 à -95%) et de particules fines (-92 à -97%).
Blocages réglementaires
Contrairement à la navigation maritime, il n’existe actuellement aucun cadre réglementaire clair autorisant le GNV pour le transport fluvial et côtier. Cela freine les armateurs, les motoristes et les bureaux d’études qui espèrent une évolution de la législation au plus vite.
S’appuyant sur la réglementation EMNR (Engins Mobiles Non Routiers) et les exigences de l’ES-TRIN, la réglementation n’autorise pas, sauf dérogation, les carburants ayant un point éclair inférieur à 55°C. Ce qui exclut le cas général GNC/bioGNC ( -188°C) mais pas le diesel (70°C). Une situation qui pourrait évoluer favorablement en 2026.
Pousseurs, barges et ferries
Au global, le bioGNC apparaît « particulièrement bien adapté aux flottes captives ou semi-captives qui évoluent à des vitesses régulières et modérées », souligne l’étude. Face à la grande hétérogénéité des bateaux utilisés dans ces cadres, les éditeurs ont choisi de ne retenir que les trois types les plus représentatifs. Déjà en raison d’une taille minimale nécessaire pour accueillir le stockage du bioCNG à bord.
Deux concernent le fret. Ce sont les pousseurs de barges et automoteur (barges). À cela s’ajoutent les ferries fluviaux et maritimes conçu principalement pour transporter des personnes et des véhicules entre deux rives.
Les ferries fluviaux et maritimes font partie des trois catégories ciblées par l’étude réalisée par l’Ademe et GRDF
Dans le rapport de 101 pages, sont répertoriées les architectures de moteurs fonctionnant au biométhane et déjà incluses dans les projets. Le moteur au gaz naturel avec un circuit d’allumage contrôlé proche d’une unité à essence a déjà été sélectionné pour le remotorisation des ferries fluviaux et des pousseurs Aries.
Hybridation et marinisation
Plus complexe est l’hybridation où c’est un moteur électrique qui permet la propulsion, un générateur avec réservoir bioCNG utilisé pour l’alimenter et maintenir le niveau de charge dans une batterie tampon.
Cette architecture est recommandée pour les unités neuves pour trois raisons. Déjà pour l’optimisation du rendement thermique et la possibilité de changer de sources d’énergie en fonction de l’évolution des contraintes réglementaires. Mais aussi parce qu’il permet d’installer plusieurs groupes électrogènes en fonction des besoins des bateaux. Fonctionnant alors sur les meilleures plages de rendement, ils peuvent être éteints les uns après les autres en fonction de la demande énergétique. Avec toutefois l’inconvénient d’une baisse de rendement plus rapide sur un moteur à essence que sur un moteur diesel. Ce qui conduit à travailler sur des groupes à vitesse variable. L’hybridation série GNV/électrique a été retenue dans un nouveau projet de pousseur et trois remotorisations (Green Deliriver, Andromeda et Grand Pavois).
Dernière possibilité : la marinisation. Derrière ce mot inconnu des dictionnaires généralistes se cache la technologie par laquelle un moteur routier est adapté à la propulsion des bateaux. Il existe déjà un candidat conforme à la directive européenne 2016/1629 et approuvé Stage V. Il s’agit du bloc V MAN E2862 de 495 kW à 12 cylindres, utilisable uniquement comme générateur. Deux autres pourraient suivre. Ils sont aux catalogues d’Europe Service (92 kW, AV MAG R756) et NGV Powertrain (230 kW, FP087), tous deux en configuration 6 cylindres en ligne.
Coût d’une remotorisation bioCNG
Quelle que soit la solution de propulsion bioGNC choisie, hors aléas, un surcoût important est à prendre en compte par rapport au diesel. C’est entre 545 000 et 1 065 000 euros pour une motorisation thermique classique, et entre 670 000 et 2 090 000 euros avec une hybridation GNV/électrique. Ces sommes sont réparties en 5 postes : R&D incluant l’agrément, autres études, motorisation, stockage de gaz et batteries neuves ou recyclées, autres équipements.
Notez que des pertes économiques peuvent éventuellement être causées par l’espace occupé pour le stockage de l’énergie. Ce qu’une révision du plan opérationnel peut parfois plus ou moins compenser. Des entretiens menés par GRDF et l’Ademe auprès d’acteurs pionniers ont montré que les coûts pouvaient être modérés à l’usage en abaissant seulement la vitesse de navigation de 1 ou 2 km/h, mais aussi en amont en évitant de surdimensionner les moteurs.
Aide et fournitures
Si l’hybridation GNV-électrique apparaît plus coûteuse, la plus grande flexibilité qu’elle apporte dans son exploitation la place comme une solution de transition progressive. A ce titre, il bénéficie d’une part spécifique de financement pour les études dans le cadre du plan d’aide à la modernisation et à l’innovation de la flotte (PAMI).
Vouloir passer au bioCNG peut permettre d’obtenir d’autres aides, comme celle du système Gate du programme CEE Remove pour le verdissement des flottes, ou du fonds européen FEDER et de la région. Décorréler le prix du bioGNV de celui des autres énergies et l’exonérer de droits d’accises constitueraient deux autres leviers incitatifs modérateurs.
S’il n’existe pas de station publique accessible ni de ravitaillement possible par camion, il faudra en prévoir une au moins dimensionnée pour les besoins d’exploitation, plus légère financièrement pour les parties si elle est partagée.
Dans une configuration simple, pour une capacité de 40 Nm3/h, cela coûterait environ 100 000 euros HT. Pour deux distributeurs de 120 Nm3/h chacun, la facture serait comprise entre 250 000 et 280 000 euros sans stockage, mais elle passerait à 330 000-380 000 euros s’il y en a un. On grimpe à 1,3-2 millions d’euros avec une capacité de 1 500 à 2 000 Nm3/h. Il faudrait également prévoir un budget de 90 000 à 300 000 euros pour l’aménagement le long de la voie navigable de la station d’amarrage.
Perspectives : trois scénarios envisagés
GRDF et l’Ademe ont imaginé trois scénarios (prudent, intermédiaire et élevé) vers 2050 pour le développement du bioGNV pour pousseurs et barges avec des étapes à 2030, 2035 et 2040. A l’échéance définitive, sur un nombre total de 147 pousseurs, des modèles en marche sur bioCNG pourraient représenter respectivement 39, 68 ou 85 unités. Du côté des barges, l’écart entre les extrêmes est plus grand, entre respectivement 52 et 235 bateaux bioGNC sur 457 et 672 automoteurs.
Ces perspectives se traduiraient en 2050 par une consommation annuelle de bioGNV pour le fret de 58, 118 ou 256 GWh selon les scénarios, dont 38, 83 ou 209 GWh pour les véhicules automoteurs et 20, 35 et 47 GWh pour les pousseurs.
S’en tenant à un potentiel moyen de 130 TWh de biométhane produits annuellement en 25 ans, la part que consommeraient ces bateaux apparaît anecdotique : 0,04 % (prudent), 0,09 % (intermédiaire) ou 0, 19 % (élevé). Le manque de données numériques n’a pas permis aux éditeurs de faire des projections précises concernant les ferries pour le transport de passagers et de véhicules.
Une énergie inconnue des acteurs
L’étude souligne que la propulsion bioGNC n’est souvent pas envisagée dans le contexte de nouvelles constructions ou de remotorisation pour la navigation fluviale et maritime côtière. Et cela est dû à un manque de connaissance des acteurs du secteur, des vertus environnementales, des expérimentations en cours, des moteurs disponibles, etc.
Il existe également un phénomène similaire à l’éternel problème de la poule et de l’œuf. D’un côté, les armateurs, motoristes et bureaux d’études attendent un cadre réglementaire favorable pour se lancer avec l’assurance d’arriver à une solution qu’ils pourront exploiter. En revanche, les autorités en charge des textes semblent attendre que les manifestants élaborent des normes pérennes spécifiques à la propulsion bioGNC.
C’est pourquoi GRDF et l’Ademe soulignent l’importance de la communication et de la collaboration entre toutes les parties prenantes impactées. Les responsables de l’exploitation des bateaux doivent tenir compte du fait que l’utilisation de ce carburant alternatif nécessite des espaces de stockage à bord plus importants pour les gammes inférieures. D’où quelques questions à se poser concernant des arrêts de ravitaillement plus fréquents et/ou plus longs, l’amélioration du rendement de la chaîne de propulsion, la modification de l’équilibre des unités, etc. Quoi qu’il en soit, avant de se décider pour une énergie alternative plutôt qu’une autre pour remplacer le diesel, ils doivent être comparés pour les besoins de chaque exploitation. Une fois adoptée, la propulsion bioGNC nécessitera une formation des équipages.
Recommandations
Après avoir étudié les possibilités, les projections et observé les obstacles potentiels, les rapporteurs ont formulé plusieurs recommandations. Certaines ont déjà été balayées, comme l’évolution du cadre réglementaire qui pourrait inclure la création d’un système d’expérimentation plus flexible pour les premiers modèles afin de limiter les délais d’homologation.
Le biométhane devrait également être reconnu comme carburant bas carbone au niveau européen pour l’attribution des aides au financement. Concernant l’aspect communication, le bioCNG devrait être présent dans les différentes feuilles de route de décarbonation de la navigation fluviale et maritime.
L’Ademe et GRDF comptent également sur la pérennité des appels à projets, la création de cahiers des charges avec « description des modifications techniques à apporter aux moteurs lors de la marinisation », et la mise à jour des carnets VNF pour les bateliers.
Le dernier point concerne le ravitaillement avec des solutions d’urgence basées sur l’acheminement du gaz par camion-citerne ou conteneurs en attendant un réseau accessible. Pour la rentabilité économique de ces dernières, une mutualisation (fluviale, routière, ferroviaire) avec d’autres acteurs territoriaux est recommandée. Les terrains destinés à l’implantation des stations devraient être sécurisés le plus rapidement possible pour éviter ou atténuer les tensions déjà constatées.
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