Quoi de plus français qu’une académie littéraire installée dans un restaurant ? Chaque année, le lauréat du Goncourt est dévoilé chez Drouant, à Paris. Nous avons visité les coulisses de cette institution.
Par Jean-Jacques Le Gall, Inès Zarrouk
Publié le 3 novembre 2024 à 11h56
Mis à jour le 3 novembre 2024 à 14h29
CCe n’est pas tous les jours qu’on signe une clause de confidentialité en entrant dans un restaurant. On gardera donc le silence sur le menu qui sera servi lundi 4 novembre au jury Goncourt, au lauréat, à son éditeur et aux clients, à la table Drouant, au 2e quartier de Paris. Nous respecterons la tradition et le protocole qui régissent les coulisses du plus important prix littéraire français.
« Ici, on a même une boîte aux lettres au nom du jury » confie James Ney, trentenaire enthousiaste et actuel directeur de cette institution qui accueille ses clients dans une décoration Art-déco élégante et modernisée. La phrase est connue : à l’Académie française, nous avons un fauteuil ; à l’académie Goncourt, on a un endroit pour manger ! Et pas n’importe quels couverts : depuis 1961, les noms des propriétaires jurés récipiendaires sont gravés en italique sur leurs manches en vermeil. Sur le numéro 1 (il y en a dix, parmi le nombre d’Académiciens) figurent les noms de Colette, Jean Giono, Bernard Clavel, André Stil, Bernard Pivot, illustres prédécesseurs de Pascal Bruckner.
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Mais revenons en arrière. L’aventure de Charles Drouant commence en 1880. Au début de la Belle Époque, il ouvre un bar-tabac au cœur de Paris, à proximité de l’Opéra, des magasins et de la presse. Drouant, comme beaucoup de restaurateurs (Weppler, Lipp, Bofinger…) est alsacien. Son beau-frère, un Breton nommé Madec, assure son approvisionnement en huîtres. Il est le premier à placer une balance à l’extérieur du restaurant, ce qui apporte le succès. Et les frères Goncourt font partie de « l’artistocratie », avec Monet, Rodin, Octave Mirbeau et même Clemenceau, le président du conseil, qui fréquente les lieux. Trente ans plus tard, en 1914, les exécuteurs testamentaires d’Edmond et Jules, qui cherchaient un lieu pour remettre le Prix après la faillite de l’Hôtel de la Paix, pensèrent naturellement à ce bistrot.
Un « boudoir » hors du monde
Très vite, quelques règles ont été mises en place. Le Prix est remis en novembre, avant le déjeuner et non plus le dîner. Il y a dix jurés. Ils se retrouvent pour peaufiner leur sélection chaque premier mardi du mois – avec une pause en août – dans le salon qui leur est attribué. Celui-ci, situé au 1est étage, offre une vue sur la petite place Gaillon. Loin de l’agitation des cuisines et du restaurant, l’ambiance est cosy et la moquette est épaisse. On se croirait dans un club anglais. « L’acoustique est remarquable »souligne James Ney ; on peut se parler sans élever la voix d’un bout à l’autre d’une belle table ovale. Dans ce « boudoir » hors du monde, la confidentialité est reine. Personne ne peut entrer sauf pour le service. L’édition de 1958 a également laissé des traces, lorsqu’un jeune reporter, qui avait réussi à placer des microphones dans le lustre, a été découvert caché dans un placard. Le journaliste n’était autre qu’Alain Ayache, qui deviendra plus tard patron de la presse.
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Paradoxe du succès du Goncourt, qui surplombe de son prestige les quelque deux cents autres prix littéraires français, il a donné naissance à un autre, qui se veut plus anarchiste. Un groupe de journalistes et critiques, en attente de la nomination du prix en 1925, décident de créer le leur, le Renaudot, qui siège… dans le petit salon jouxtant celui de leurs confrères. Naît ainsi un autre rituel, déterminant dans le monde de l’édition : après délibération, un représentant du Goncourt fait part à un membre du Renaudot de son choix pour ne pas faire de doublons. Cela se fait dans le couloir et dure quelques secondes.
Le thème de cette année ? « Paris, capitale gourmande »
Il y a quelques années, au cours de longues délibérations, Frédéric Beigbeder, membre du Renaudot, atteint d’un accident vasculaire cérébral, tentait de pénétrer dans le salon Goncourt. Il en fut physiquement empêché par la déléguée générale de l’Académie, Françoise Rossinot qui, bien que charmante, n’en était pas moins intraitable sur le protocole… Dès 1932, et le sacre par Renaudot de l’Académie Voyage de Céline (le Goncourt a été attribué à un inconnu, Guy Mazeline), le Prix a trouvé sa place dans le paysage littéraire. Il est également annoncé sur le mythique escalier Ruhlmann, dans le même souffle, et dans l’ombre de son grand frère.
Et la cuisine, alors ? Depuis l’arrivée de James Ney à la direction et du chef Romain Van Thienen aux fourneaux, le duo fait preuve d’audace et d’inventivité pour bousculer la tradition. Cela impose de servir en entrée des coquillages (tradition instaurée par Colette) puis du gibier (à plumes, années paires, à fourrure, années impaires). Les deux jeunes hommes puisaient même leurs idées dans la littérature. Ainsi, en référence à En arrière, d’Huysmans, un repas noir fut servi. Avec de l’encre de seiche en entrée, de la soupe de tortue, et des figues et cassis pour accompagner le chevreuil… Cette année, le thème qui les a inspirés est « Paris, capitale gourmande », on n’en saura guère plus car la carte surprise ne peut être dévoilée. avant lundi, 14h30
Le menu du Goncourt
Produits nobles et locaux : jusqu’au 15 décembre, il sera possible de déguster le déjeuner qui sera servi au jury le 4 novembre. En menu six plats (190 euros) ou trois plats (130 euros), c’est l’occasion pour découvrir la créativité de Romain Van Thienen, le chef formé auprès de Yannick Alléno et Cyril Lignac. Prévoyez 120 euros supplémentaires pour un accord mets et vins et réservez 72 heures à l’avance. Tel. 01 42 65 15 16.
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