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« L’OPEP doit se préparer à changer de cap »

Dans cette interview, Nordine Ait Laoussine, expert international et ancien ministre de l’Energie, analyse la situation du marché pétrolier. Une situation qu’il qualifie de « confuse et très incertaine ». Il estime que les facteurs géopolitiques n’ont plus le même impact sur les prix du pétrole dans un contexte différent.

  • Comment évaluez-vous la situation actuelle du marché pétrolier ?

Elle est confuse, très incertaine et particulièrement volatile. Le marché pétrolier prend en effet depuis plusieurs mois une tournure défavorable aux pays producteurs. Le baril s’échange aujourd’hui à un niveau d’environ 20 dollars, inférieur au prix moyen qui prévalait au milieu de l’année. Cette baisse significative résulte essentiellement d’une profonde dégradation des fondamentaux des marchés. Les perspectives de demande de pétrole sont systématiquement revues à la baisse avec la stagnation de la consommation pétrolière dans les pays de l’OCDE et l’effondrement des importations chinoises. Les perspectives d’offre sont en revanche revues à la hausse, notamment en dehors des pays de l’Alliance OPEP+.

  • Les analyses se contredisent en termes notamment de perspectives liées à la progression de la demande mondiale de pétrole pour 2024/2025, au vu des derniers rapports mensuels de l’OPEP et de l’AIE. Qu’en penses-tu?

Nous sommes habitués aux divergences de vues entre l’OPEP et l’AIE sur la situation pétrolière : elles sont congénitales. Il faut cependant reconnaître que les analyses du secrétariat de l’OPEP sont en contradiction non seulement avec celles de l’AIE, mais aussi avec la plupart des études prospectives publiées par les institutions internationales et les médias pétroliers spécialisés.

Pour l’année en cours, le Secrétariat de l’OPEP s’attend toujours à ce que la demande augmente de près de 2 millions de barils par jour (mmbj), alors que l’industrie se prépare à clôturer l’année fiscale avec une augmentation inférieure à 1 mmbj.
Quant aux perspectives de la demande mondiale en 2025, le secrétariat de l’OPEP s’attend à une augmentation d’environ 1,6 Mbj, soit près du double de ce qui est projeté aujourd’hui par la majorité des pays. analystes pétroliers.

  • Les facteurs géopolitiques ne semblent plus représenter un facteur de hausse des prix de l’or noir, comme c’était le cas il y a quelques années. Quelle analyse faites-vous de la situation actuelle, compte tenu des évolutions dans la région du Moyen-Orient et de leur impact sur les prix ?

Il est vrai que des facteurs géopolitiques ont, dans le passé, influencé temporairement la trajectoire des prix du pétrole, à la hausse comme à la baisse, sous l’effet de l’activisme des spéculateurs. Cette influence a été significative lors de risques liés à une éventuelle interruption d’approvisionnement survenant ou coïncidant avec un marché tendu.

Ce n’est pas le cas aujourd’hui, car le contexte est différent : le marché est suffisamment approvisionné avec une demande quasiment stagnante dans l’OCDE, des stocks confortables, des capacités de production excédentaires au sein de l’Alliance OPEP+ et la perspective d’un assouplissement des mesures de réduction de production envisagé par les membres. de cette alliance.

Cela dit, une escalade significative des tensions au Moyen-Orient pourrait provoquer un choc pétrolier susceptible de déstabiliser davantage le marché en attendant une résolution de la crise palestinienne et de l’invasion du Liban.

  • L’OPEP a récemment réfuté les informations rapportées par le Wall Street Journal (WSJ)selon lequel le ministre saoudien de l’Énergie a averti les membres de l’OPEP+ d’une baisse potentielle du prix du pétrole, à 50 dollars le baril, s’ils ne respectaient pas les réductions de production convenues. Quelle lecture faites-vous de cette information et d’autres misant sur la volonté de l’Arabie Saoudite de s’écarter de la stratégie OPEP+ pour privilégier ses parts de marché ?

Le déni de l’OPEP constitue une réponse à cette question. J’ajouterais que le non-respect des réductions de production convenues, auquel fait allusion l’article du Wall Street Journal, est exagéré. Elle ne concerne que 3 membres de l’alliance : l’Irak, le Kazakhstan et la Russie à des degrés divers. Ces dépassements ont été identifiés et ont fait l’objet d’un accord de compensation, actuellement en application, en vue d’absorber le surplus à fin 2025. Selon moi, le dispositif mis en place par l’alliance en 2023 a permis une amélioration notable dans la discipline de production.

Cela dit, l’OPEP se trouve confrontée à une question plus fondamentale : l’effort de stabilisation du marché, à un prix relativement élevé, a conduit depuis un certain temps à la stagnation sinon au déclin de la demande de pétrole de l’OPEP, c’est-à-dire à dit le niveau résiduel attendu de sa production pour assurer l’équilibre du marché et donc la défense de son prix de référence.

Après la crise sanitaire du Covid-19, la demande de pétrole de l’OPEP a rebondi en 2021 pour atteindre 27,5 Mbj (hors Angola). Il s’est maintenu à ce niveau en 2022 et 2023. A l’exception du secrétariat de l’Organisation, la majorité des analystes s’attendent à une baisse marginale cette année et sans doute substantielle l’année prochaine autour de 26 Mbj (selon les dernières perspectives de l’AIE ou des Etats-Unis). Ministère de l’Énergie).

Parallèlement, les pays membres non soumis à des décisions de réduction (Iran, Libye et Venezuela) ont globalement augmenté leur production de 1,2 Mbj depuis 2021. Autrement dit, la demande de pétrole des 9 membres de l’OPEP (engagés dans des mesures de réduction) est désormais clairement en baisse. par rapport à 2021.

À plus long terme, la situation est susceptible de s’aggraver car les analystes s’attendent à ce que l’augmentation de la demande mondiale se stabilise à environ 1 million de barils par jour et à une augmentation continue de la production d’hydrocarbures liquides des pays non membres de l’OPEP. de 1,5 à 2 mmbj. En s’efforçant de stabiliser le marché avec un Brent à 80 dollars le baril, l’OPEP encourage en fait les majors à augmenter leur production.

Depuis l’Accord de Paris, les producteurs de l’OCDE ont augmenté leur production d’environ 7,2 millions de barils, tandis que pendant la même période, l’OPEP a connu une baisse d’environ 3,2 millions de barils, période pendant laquelle la demande mondiale a augmenté de 5 millions de barils. En d’autres termes, pour chaque baril que l’OPEP a intentionnellement laissé dans le sol, près de 3 barils supplémentaires de production non-OPEP ont alimenté le marché.

Les analystes s’inquiètent davantage aujourd’hui de l’horizon du « pic de demande pétrolière », alors que le « pic » de la demande pétrolière de l’OPEP est déjà là. À mon avis, l’OPEP doit se préparer à changer de cap : son rôle de « producteur d’appoint » ou de producteur de secours risque, à long terme, de devenir intenable dans un marché en déclin.

 
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