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huit mois après l’accident mortel sur l’A8, cette jeune gendarme raconte comment elle a sauvé son collègue blessé

Huit mois se sont écoulés, mais les souvenirs sont indélébiles. Le 3 mars, alors qu’une pluie torrentielle s’abattait sur l’A8, un jeune conducteur perdait le contrôle de son Audi à La Turbie. Elle a touché les secours mobilisés suite à un premier accident. Un patrouilleur d’Escota, Tony Nellec, est tué à l’âge de 54 ans. Son collègue est grièvement blessé. Le réparateur et deux policiers sont également sur le terrain.

Le bilan aurait pu être encore plus lourd sans la réaction exceptionnelle de Cloé Simon. Alors âgée de 19 ans, cette adjointe gendarmerie volontaire du peloton autoroutier de Saint-Isidore est venue en aide à son frère d’armes blessé, bravant la douleur et le danger.

Elle a reçu la Médaille Nationale de la Gendarmerie avec Silver Star des mains du général d’armée Christian Rodriguez. Et le préfet des Alpes-Maritimes Hugues Moutouh l’a décorée pour un acte de courage et de dévouement.

A 20 ans, cette Aveyronnaise quitte Nice pour l’école des sous-officiers de la gendarmerie de Dijon. Elle espère rejoindre une unité de recherche, spécialisée dans les enquêtes criminelles. Avec un sens du sacrifice fidèle à ses valeurs et à son uniforme.

Que signifie avoir été distingué pour un acte de courage et de dévouement ?

Beaucoup d’émotions. Cela m’a rappelé beaucoup de souvenirs, pas forcément de bons… C’est une grande fierté d’être décoré par le préfet des Alpes-Maritimes.

Que vous ont dit le préfet Moutouh et le colonel Taponat ?

Ils m’ont dit que j’avais été très courageux. Et que c’était pour eux une immense fierté de m’avoir dans leurs rangs.

Est-ce important de voir des gendarmes ainsi honorés pour leur engagement ?

C’est très important pour moi. Nous mettons nos vies en danger chaque jour. Cela permet de reconnaître l’engagement de tous les gendarmes.

Le préfet des Alpes-Maritimes, Hugues Moutouh, a remis les insignes pour actes de courage et de dévouement à Cloé Simon, distinguée avec quatre autres gendarmes. Lionel Barrios / gendarmerie nationale 06 / Nice Matin.

Comment comptez-vous intervenir sur l’A8 le 3 mars ?

Le CORG [centre d’opérations et de renseignement de la gendarmerie, ndlr] nous a appelé vers 12h25 pour un accident matériel suite à un aquaplaning. A notre arrivée, Vinci Autoroutes avait déjà neutralisé les voies express et médianes. La dépanneuse avait commencé à réparer la Porsche endommagée. Nous nous sommes garés derrière elle. Nous sommes descendus pour procéder aux constatations, nous assurer qu’il n’y a pas eu de blessés et récupérer l’identité des personnes présentes sur place.

Etes-vous sur vos gardes alors ?

Il pleut, on ne voit presque rien sur la route. Tout d’abord, nous ne tournons jamais le dos à la route. Tout se passe très vite sur l’autoroute. Encore plus dans ces conditions.

Comment êtes-vous touché ?

Je suis allé voir le propriétaire de la Porsche qui était dans le stand de la dépanneuse. À mon retour, mon collègue m’informe que l’assurance est en règle. C’est alors que l’on ressent une percussion. Le corps me frappe sur le côté gauche. Heureusement, j’avais demandé que la Porsche reste au fond de la dépanneuse pendant que nous cherchions les papiers. Cela nous a servi un peu de bouclier. Sous la violence du choc, la Porsche grimpe sur la dépanneuse…

Avez-vous vu l’Audi arriver ?

Nous ne l’avons vraiment pas vu venir. Je ne retiens que le contact avec la carrosserie et le bruit du choc, énorme ! C’est comme s’il y avait un énorme trou noir. Je me sens me retourner et glisser sur la route une vingtaine de mètres plus loin. J’avais l’impression que c’était un film. En me levant, je me suis dit : « Que vient-il de nous arriver ? C’est l’adrénaline qui m’a fait tenir le coup.

Quelle scène découvrez-vous ?

La première chose que je vois, c’est Tony Nellec sous la voiture… Je ne voyais pas son visage. Mais je savais que c’était lui.

Avez-vous pu lui parler juste avant ?

Nous avons dit bonjour. C’est arrivé si vite… Nous avons travaillé au quotidien avec Vinci Autoroutes. Il était comme d’habitude : toujours souriant, malgré la pluie. Solaire. Il fait son travail à 100%. C’était un peu le policier de Vinci Autoroutes.

Où étaient les blessés ?

Nous avons tous été jetés. Le réparateur était au sol de l’autre côté du toboggan. Il hurlait de douleur. Le deuxième patrouilleur ne répondait pas. Mon ami avait été jeté sur la voie lente de la chaussée sud. Les voitures arrivaient… C’était irréaliste.

Comment réagissez-vous alors ?

J’enjambe les garde-corps. Puis je fais un geste en écartant les bras, pour arrêter les voitures comme si j’allais les contrôler.

Au risque qu’ils ne s’arrêtent pas ?

Je n’y ai même pas pensé. À ce moment-là, ma priorité n’était pas moi mais mon collègue.

Le 14 mars, les deux gendarmes blessés étaient présents aux obsèques du patrouilleur Tony Nellec, au crématorium de Nice. Photo Sébastien Botella.

Dans quel état le trouve-t-on ?

Je vois qu’il respire. Sa tête saigne, ses yeux sont grands ouverts et des bruits sourds sortent de sa bouche. Il bouge à peine. Je lui crie de rester avec moi. Je ne le touche pas car il risque d’être polytraumatisé. Et là, heureusement, des gendarmes mobiles étaient dans le bouchon.

Ils vous aident à votre tour ?

J’ai crié à tout le monde d’avertir mon commandement. Ensuite, deux gendarmes mobiles m’ont soutenu et m’ont forcé à marcher pour ne pas m’évanouir. Je ne sentais plus rien dans mon corps. Comme si j’étais en train de mourir, comme si tout disparaissait. Tout ce que j’entendais, c’était des bruits étouffés. J’entendis le jeune conducteur s’exclamer : “J’ai tué quelqu’un!”

Votre intervention a sans aucun doute sauvé la vie de votre camarade.

Cela revenait à très peu de choses. Il y a beaucoup de circulation sur cette route…

Considérez-vous avoir accompli un acte héroïque ?

Je ne considère pas cela comme un acte héroïque, même si tout le monde me le dit. Pour ma part, j’ai juste agi instinctivement.

Comment avez-vous vécu les funérailles de Tony Nellec ?

C’était très compliqué. Je voulais être présent. Les paroles de sa fille m’ont beaucoup touché. Ceux d’Eric Ciotti aussi. Si Vinci Autoroutes n’est pas là, on ne travaille pas. Et vice versa.

Comment vous et votre collègue avez-vous vécu les conséquences ?

J’ai quitté l’hôpital dans la soirée. Je ne me sentais pas bien là-bas. J’avais besoin de réaliser ce qui m’était arrivé… Je suis allée voir mon collègue dans sa chambre. Il entretient la joie de vivre malgré tout. Aujourd’hui, il retrouve le peloton autoroutier.

Vous aussi, avant de partir vous entraîner à Dijon ?

J’ai été arrêté pendant un mois et demi. J’avais envie de rester dans le peloton autoroutier car j’ai reçu beaucoup de soutien de la part de mes camarades, dont j’étais très proche. Ils étaient super. Sans eux, je ne serais pas là.

Votre abnégation et votre courage reflètent les valeurs de la gendarmerie ?

On sait que la gendarmerie est le sacrifice ultime. Je sais à quoi je m’inscris. Ce sont totalement les valeurs qui me représentent. Nous savons que tout peut arriver. Ce jour-là encore plus, je savais que j’irais jusqu’au sacrifice ultime.

Êtes-vous devenu policier pour aider?

Pour moi, c’est une vocation. J’ai toujours voulu être policier. Aider les autres au risque de mettre ma vie en danger est tout à fait normal. Les gens voient moins souvent quand on leur sauve la vie que quand on leur impose des amendes. Mais quand on empêche un conducteur ivre de reprendre le volant, il ne se rend pas forcément compte que nous sauvons peut-être des vies !

Ce 3 mars 2024 vous servira-t-il tout au long de votre carrière ?

Cela restera toujours dans un coin de mon esprit. Quelle que soit la situation, nous ne contrôlons jamais totalement ce qui va se passer. Je serai encore plus prudent.

Avez-vous un message pour les usagers de la route ?

Il est important de rappeler aux gens que nous mettons nos vies en danger. Si cela peut permettre aux utilisateurs de lever le pied de l’accélérateur et d’être plus attentifs sur la route, j’en serais très heureux !

 
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