En septembre dernier, l’engagement du Premier ministre israélien dans un conflit militaire de haute intensité sur le sol libanais prenait pour prétexte la volonté « d’isoler Gaza du Liban ». Cependant, la poursuite de la guerre, de l’aveu même de Benjamin Netanyahu, vise aujourd’hui à modifier l’équilibre des forces régionales pour transformer la réalité stratégique du Moyen-Orient.
Depuis le 23 septembre, les affrontements entre le Hezbollah et l’armée israélienne se sont intensifiés. Le conflit a pris une tournure avec l’intensification des frappes dans le sud du Liban et dans la banlieue sud de Beyrouth après que Netanyahu a fermement rejeté l’option d’un cessez-le-feu. Les développements récents et la rhétorique officielle israélienne donnent du crédit à l’idée selon laquelle Tel Aviv ne cherche plus simplement à mettre en œuvre une politique d’élimination du Hezbollah, mais plutôt à modifier le statu quo régional.
Faisant écho à la rhétorique des néoconservateurs américains, le Premier ministre israélien a dévoilé son plan ambitieux pour un « nouveau Moyen-Orient ». Comme l’observe lucidement Ghassan Salamé, ancien ministre libanais et ancien diplomate de l’ONU :
« L’appétit vient en mangeant. […] Au départ, l’objectif était peut-être simplement de dégrader autant que possible les stocks d’armes du Hezbollah – en particulier les 600 à 700 missiles à longue portée que les Israéliens pensaient avoir en leur possession – et de rapatrier les habitants de la Haute Galilée. . [Mais forts de leurs succès tactiques et de l’inexistence d’une pression internationale ou arabe]les Israéliens sont encouragés.
Désir de reconfigurer les alliances stratégiques
En effet, il ne s’agit plus pour Israël de réduire drastiquement les capacités du Hezbollah avant de l’expulser du sud-Liban, mais de démanteler le réseau d’alliances tissé par l’Iran pour construire un nouveau Moyen-Orient libéré de l’influence de Téhéran.
De ce point de vue, Israël cherche également à imposer des conditions politiques qui sapent tout projet d’État palestinien. Plusieurs ministres ont appelé à une recolonisation de Gaza, certains appelant même à l’expulsion des Palestiniens hors des frontières israéliennes.
Cette nouvelle configuration régionale, dans laquelle Israël apparaîtrait comme la puissance dominante, nécessite également la construction d’alliances régionales avec les pays arabes, notamment les États du Golfe, dont l’Arabie saoudite, dans une sorte de prolongement des accords d’Abraham (traités de reconnaissance mutuelle). et normalisation des relations signée en 2020 entre Israël et plusieurs États arabes, notamment les Émirats arabes unis et Bahreïn).
Enfin, comme le soulignent certains commentateurs, pour renforcer considérablement sa position de dissuasion, Israël pourrait envisager de « redessiner les frontières ou de les sécuriser de manière à prévenir les menaces directes, qu’elles viennent de Gaza, du Liban ou de la Syrie ».
Une ambition qui remettrait en cause le soutien américain ?
Pour réaliser ce projet de « Nouveau Moyen-Orient », Tel-Aviv compte sur le soutien des États-Unis, qui maintiennent jusqu’à présent un engagement important à ses côtés. En effet, pendant des années, Washington a limité les moyens de défense de l’armée libanaise, entravant la capacité du Pays du Cèdre à décourager les attaques directes contre son intégrité territoriale.
Par ailleurs, les États-Unis ont apporté un soutien militaire constant à Israël depuis le début de la guerre à Gaza, puis au Liban. La récente décision américaine de fournir un système antimissile avancé capable de contenir la menace balistique iranienne – et d’envoyer une centaine de soldats sur le terrain chargés de le faire fonctionner – est un nouvel exemple convaincant de cet engagement. Cependant, s’il n’existe actuellement pas de découplage stratégique entre les intérêts de Washington au Moyen-Orient et ceux d’Israël, soutenir Benjamin Netanyahu dans sa volonté de remodeler la région pourrait être un pari risqué. Pour plusieurs raisons.
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Éradiquer le Hezbollah : un objectif voué à l’échec ?
D’abord, si certains observateurs, comme Olivier Roy, soulignent « un effondrement des capacités militaires de la coalition anti-israélienne », notamment du Hezbollah, en raison de succès tactiques israéliens qui auraient « brisé la chaîne de commandement de haut en bas ». faible, obéissant à la capacité de faire la guerre », la dureté des combats terrestres dans le Sud indique qu’une telle analyse doit être largement nuancée.
Pour saper les capacités militaires du Hezbollah, la campagne de frappes en profondeur a été combinée à des actions au sol. Toutefois, à cet égard, il convient de noter que jusqu’à présent, l’armée israélienne n’a pas réussi à réaliser une véritable percée dans le sud du Liban. Les raids visant à éliminer les combattants prêts à affronter les contraintes d’une guerre d’usure prolongée restent limités et sont souvent suivis d’un retrait. En outre, le Hezbollah a récemment démontré que l’élimination d’une partie de ses dirigeants ne compromettait pas sa capacité à lancer des missiles sur le nord d’Israël.
Pour Olivier Dujardin, chercheur associé au Centre de recherche sur le renseignement et expert militaire :
«Si la direction unifiée du Hezbollah est affaiblie, la capacité tactique des cellules reste intacte. »
Il souligne également que les Israéliens sont confrontés à un problème sérieux :
« Leurs troupes ne sont pas en nombre infini. Ils ont mobilisé des forces à Gaza et en Cisjordanie et, avec les troupes restantes, ils mènent l’offensive au Liban : ils ont donc un problème de volume. Plus vous agrandissez le territoire conquis, plus vous diluez vos forces jusqu’à ce que la balance penche. C’est à dire que la densité de force devient insuffisante par rapport à l’adversaire. »
N’oubliez pas non plus que tout objectif d’éradication du Hezbollah est irréaliste.
« Nous ne pouvons pas détruire une organisation comme le Hezbollah. Même l’élimination de tous ses membres n’entraînerait pas sa disparition car la raison et les conditions qui régissent son existence sont toujours d’actualité. Quand vous êtes face à une organisation comme le Hezbollah, qui peut compter 50 000 ou 100 000 combattants selon les sources, et que vous leur décapitez la tête, vous vous retrouvez soudain face à une myriade de cellules qui mettront du temps à se réunifier, mais cela finira par arriver. […]. Les Israéliens ne gagnent du temps que pour quelques semaines ou quelques mois. »
Les risques d’un conflit ouvert avec l’Iran
Deuxièmement, l’hypothèse défendue par Olivier Roy selon laquelle le régime iranien est actuellement dans une impasse car « il peut lancer une campagne terroriste à l’étranger, mais cela ne fera que renforcer le soutien occidental à Israël ». [et que sa bombe nucléaire] heureusement, il n’est pas opérationnel », s’interrogent d’autres, comme Arash Reisinezhad, qui estiment plutôt que les attaques de représailles lancées par l’Iran le 1er octobre ouvrent une nouvelle ère, car elles illustrent à la fois le développement et la modernisation des capacités balistiques iraniennes et introduisent une nouvelle ère. une équation de pouvoir aux conséquences stratégiques importantes.
Téhéran, en frappant directement le territoire israélien et en ciblant un État doté de l’arme nucléaire, a clairement affiché sa politique de dissuasion. La réponse israélienne du 26 octobre a également été relativement modérée, sous la pression de Washington, ce qui pourrait indiquer que Tel-Aviv n’a pas l’intention de s’engager dans une confrontation à grande échelle avec la République islamique, du moins dans l’immédiat.
La reconfiguration du Moyen-Orient n’est pas dans l’intérêt direct de Washington
Ainsi, en adoptant une rhétorique remontant aux années George W. Bush sur la reconfiguration du Moyen-Orient, Benjamin Netanyahu s’inscrit dans la démarche des néoconservateurs américains qui, depuis une certaine période, caressaient l’espoir de remodeler la région.
Le Premier ministre israélien oublie que les États-Unis étaient alors au sommet de leur puissance… et ont pourtant échoué dans cette tentative. De plus, soutenir cette approche maximaliste ne ferait que détourner Washington de sa principale préoccupation stratégique, à savoir la Chine.
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Pour le colonel Olivier Passot, chercheur associé à l’Institut de recherches stratégiques de l’École militaire (IRSEM), les Etats-Unis seraient plutôt prudents à l’idée de s’engager dans un tel projet :
«Donald Trump est certes un grand partisan de Netanyahu mais, en principe, il n’est pas favorable aux interventions américaines à l’étranger. Même Kamala Harris ne me semble pas partager l’idée de réhabiliter les Etats-Unis dans leur rôle de gendarme mondial. Il existe aujourd’hui certainement une majorité américaine sensible à la cause israélienne qui souhaite que les Etats-Unis participent à cette défense. Mais je ne pense pas que l’idée de remodeler le Moyen-Orient soit pour eux un leitmotiv. Après l’expérience désastreuse dans la région, ils ont compris que c’était une mauvaise idée d’essayer de changer de régime. »
En résumé, l’extension de la guerre contre Gaza sur le sol libanais, qui a commencé par une longue campagne de frappes aériennes, prend désormais une dimension régionale. Malgré l’asymétrie conventionnelle et nucléaire, l’Iran a démontré, lors de l’attaque du 1er octobre, sa capacité à saturer sa défense anti-aérienne en utilisant seulement une partie minime de ses missiles. Et une éventuelle réponse israélienne plus intense que celle du 26 octobre pourrait aussi accélérer le projet iranien de se doter d’une force de dissuasion nucléaire.
Le risque d’escalade du conflit est donc bien réel. Si les États-Unis soutenaient le projet de Benjamin Netanyahu visant à remodeler la région, ils entreraient dans une spirale irréversible.
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