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Ce que Safiya Sinclair doit à Jah

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L’écrivaine jamaïcaine Safiya Sinclair, à Paris, en septembre 2024. JEAN-LUC BERTINI/PASCO

« Toujours ma vie – arme chargée ». Safiya Sinclair a placé ce vers d’Emily Dickinson comme le point culminant de Dire Babylone – l’histoire d’un jeune sous l’emprise d’un père violent, partisan d’une approche stricte du rastafarisme – comme pour annoncer au lecteur qu’une femme va réagir à quelque chose qui l’en empêche ou la tue à petit feu. Comment va-t-elle s’y prendre ? Alors que nous traversons Paris pour la rencontrer, l’image d’un poète armé nous vient à l’esprit.

Vêtue de noir et d’or, Safiya Sinclair nous attend sur la terrasse d’un célèbre palais, rue de la Paix. Du coup, l’écrivaine jamaïcaine a publié une autobiographie à l’aube de ses 40 ans. Dire Babylone a été salué par Barack Obama et Salman Rushdie. Pas mal pour un début qui n’en est pas vraiment un puisqu’elle publie son premier poème à 16 ans, dans le supplément littéraire quotidien Observateur jamaïcain. En 2004, elle est sélectionnée parmi les huit «Les meilleurs poètes de la Jamaïque» et invité à un atelier de poésie à Kingston par le lauréat caribéen du prix Nobel Derek Walcott (1930-2017).

Deux ans plus tard, Walcott postulait au Bennington College, une prestigieuse université américaine du Vermont dont les anciens élèves comprenaient les écrivains Bret Easton Ellis et Donna Tartt. En 2016, entre un master à l’Université de Virginie et une thèse en Californie, Safiya Sinclair publie son premier recueil de poésie, Cannibale (non traduit), distingué par cinq prix. Mais ceci histoire de réussite Le style américain ne suffit pas à comprendre sa trajectoire. Pour le comprendre, il faut accepter de suivre ce mouvement de va-et-vient propre à la mer et à la mémoire, qui est celui de son livre et de notre conversation. Tout commence au nord-ouest de la Jamaïque, à Montego Bay, où elle est née en 1984.

Comme si littérature et danger étaient liés

Là, sur la plage de la Maison Blanche, au milieu de complexes hôteliers de luxe, subsiste un village de pêcheurs, un bout de terre appartenant à la famille de sa mère. Enfant, elle y regardait les vagues tout en écoutant sa mère lui raconter des histoires. Elle faillit s’y noyer. Comme si, dès le départ, littérature et danger étaient liés. « Il m’a fallu dix ans pour commencer mon autobiographieconfie-t-elle. En 2013, le poète Gregory Orr, mon professeur et mentor à l’Université de Virginie, m’a conseillé d’attendre de me sentir en sécurité. Selon lui, je ne pouvais pas écrire en étant en colère ou blessé, je me serais fait encore plus mal. » À cette époque, Safiya Sinclair a quitté la maison de son père après l’avoir attaquée avec une machette. Elle ne lui parle plus. Raconter cela dans un non-fiction aurait été dévastateur. Contrairement au poème, avec ses allégories et métaphores “qui sont comme des fenêtres sur l’extérieur”affirme cette première lectrice de Sylvia Plath (1932-1963).

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