Qui succédera à Narges Mohammadi, militante des droits des femmes, emprisonnée cette année en Iran ? Ce vendredi, le comité Nobel doit décerner le prix final de sa sélection, le prix Nobel de la paix dans un monde plus que jamais en guerre.
Dans un monde en guerre, décerner un prix Nobel de la paix peut paraître quelque peu incongru. Comme l’année dernière, il se murmure même que, pour le symbole, il n’y aurait peut-être pas de prix cette année, marquée par la guerre au Moyen-Orient, en Ukraine, mais aussi au Soudan ou en Birmanie.
Mais cette option ne semble pas privilégiée par le comité Nobel, qui devrait désigner un lauréat ce vendredi 11 octobre. Pleins feux sur ce prix, véritable accélérateur pour la défense des droits de l’homme, malgré quelques échecs au cours de son histoire.
Jean-Marie Collin est directeur de l’Ican en France (Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires). Son organisation, une coalition d’ONG du monde entier luttant contre les armes nucléaires, a remporté le prix Nobel de la paix en 2017. “C’était le vendredi 6 octobre”il se souvient.
« Immense reconnaissance » d’un travail parfois ingrat
Ce jour-là, il devait se rendre à l’Assemblée nationale. Au moment de la remise des prix, il a demandé au député avec qui il avait rendez-vous d’allumer la télévision. C’est le nom de son organisation qui est prononcé. « À partir de 10h20, mon téléphone n’a pas arrêté de sonner toute la journée. »
Pour Ican, le prix Nobel, qui apparaît désormais à côté de son logo, a ouvert de nombreuses portes. C’est lui qui a permis de véritablement lancer en France une campagne pour le démantèlement des armes nucléaires. Il l’a vécu comme « une énorme reconnaissance » du travail des militants de l’Ican, confrontés à de nombreuses critiques et procès en “naïveté” de la « puissances nucléaires »dont la France fait partie.
Si le Nobel lui a permis d’obtenir une plus grande notoriété médiatique et lui a ouvert les portes de nombreuses conférences, il ne fait pas de miracles. “Cela ne nous a pas permis d’avoir plus de facilité d’accès aux autorités françaisesil regrette. Mais cela nous a permis d’atteindre un niveau supérieur. »
Faire le lien avec « la capitale »
Juliette Renaud travaille désormais pour l’ONG Les Amis de la Terre. Entre 2007 et 2010, elle a travaillé trois ans aux côtés de l’Argentin Adolfo Pérez Esquivel, prix Nobel de la paix en 1980, comme conseillère sur les questions socio-environnementales. Elle décrit un homme “très simple” et “inspirant”. Le nom d’Aldolfo Perez Esquivel est connu même au-delà des frontières argentines. Un jour qu’elle doit se rendre avec lui au sommet des peuples, il est contraint d’annuler à la dernière minute. Là, elle a rencontré des gens qui avaient traversé toute la Bolivie pour le voir. « J’en ai été très impressionné. »
À l’époque, de grands projets miniers étaient en préparation près de la cordillère des Andes. Trop loin pour en parler à Buenos Aires, la capitale. L’implication du prix Nobel de la paix dans ce conflit « a permis de faire entendre la voix des populations locales » vers la capitale. « Nous sommes allés leur rendre visite là où ils se trouvent, nous avons fait le lien avec les médias, les députés, le gouvernement »dit Juliette Renaud. Elle voit là « un outil parmi d’autres »qui se combine avec la lutte sur le terrain.
« Un prix Nobel signifie tout et rienestime Juliette Renaud. Mais c’est surtout ce qu’on en fait après qui est important. » Depuis 1901, tous les vainqueurs n’ont pas tenu leurs promesses.
Prix Nobel « odieux »
Selon le testament d’Alfred Nobel, le prix doit être décerné à « la personnalité ou la communauté ayant contribué le plus ou le mieux au rapprochement des peuples, à la suppression ou à la réduction des armées permanentes, aux retrouvailles et à la propagation des progrès pour la paix. La première a été attribuée en 1901. La dernière a été attribuée, en 2023, au journaliste et militant des droits humains Narges Mohammadi, emprisonné en Iran.
Mais parmi les lauréats figurent également Barack Obama (2009), alors tout jeune président des Etats-Unis, engagé dans plusieurs guerres, ou encore l’ancien secrétaire d’Etat américain Henry Kissinger. « L’odieux prix Nobel de la paix »titre Médiasintitulé Mediapart en 2023part en 2023, à la mort du diplomate. Henry Kissinger a reçu le prix Nobel en 1973 pour son rôle dans l’accord visant à mettre fin à la guerre du Vietnam, guerre qu’il avait contribué à intensifier, rappelle France Culture.
« Nous ne devrions pas traiter ce prix avec le même sérieux que les autres Nobel »affirme François Heisbourg, conseiller à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). Il faisait partie du panel de personnes consultées, par courrier, sur l’attribution du prix Nobel de la paix, “Il y a 20 ou 30 ans”. Pour lui, le comité d’attribution du prix, composé de cinq personnes élues par le parlement norvégien, a réalisé de nombreuses “absurdité” dans le passé et a ainsi perdu sa crédibilité. « Le prix Nobel de la paix a échoué dans son intention initiale [de faire disparaître la guerre]. Aujourd’hui, c’est un prix un peu passe-partout. Cela conduit à des décisions que nous ne comprenons pas toujours. »ajoute-t-il. Malgré cette perte de crédibilité, la décision du comité Nobel d’Oslo est encore largement suivie. Le prix tiendra au moins cette promesse : graver dans l’histoire la cause défendue par le lauréat.
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