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ExxonMobil se retire de France, pas des énergies fossiles

Ce sont des plans sociaux qui font mal. L’équipementier automobile Valeo a annoncé cet été la fermeture de trois usines en France. Le distributeur Casino s’apprête à supprimer 3 000 postes. A Port-Jérôme-sur-Seine, près du Havre, la compagnie pétrolière ExxonMobil prévoit de supprimer 677 emplois sur un total de 961 dans son activité pétrochimique en France.

Le groupe américain, leader des « majors » occidentales, est connu en France sous la marque Esso, dont les stations-service ont conservé la marque après avoir été revendues en 2014 à un conglomérat irlandais, faute de rentabilité.

La rentabilité est aussi la raison avancée pour justifier le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) en cours à Port-Jérôme-sur-Seine. Capable de produire 400 000 tonnes de plastique par an, l’usine pétrochimique créée dans les années 1960 fait face à des sites chinois et américains plus récents, qui en produisent trois à quatre fois plus.

« Elle ne peut plus rivaliser sur un marché dominé par des acteurs s’appuyant sur des unités plus modernes et plus performantes, dans des régions où les matières premières et l’énergie sont bien moins chères »explique la filiale française d’ExxonMobil à Alternatives économiques.

Elle emploiera environ 1 400 personnes à l’issue du PSE, dont 1 000 dans la raffinerie attenante à l’usine pétrochimique de Normandie, 200 dans le négoce de carburants, lubrifiants, huiles de base et bitumes et 200 au siège. Pourtant, la multinationale se porte à merveille, et continue de prospérer – joyeusement et sans complexes – grâce à l’exploitation des énergies fossiles.

Objectif : doubler le niveau de profit

L’entité ExxonMobil Chemical France (EMCF), qui exerce des activités pétrochimiques, a accumulé des pertes de 1 milliard d’euros sur les cinq dernières années, dont la moitié l’an dernier. Les études prospectives ne prédisent pas d’amélioration.

« Continuer à exercer une activité structurellement déficitaire mettrait en péril la compétitivité de nos autres activités, comme le raffinage, et le financement de leur avenir »justifie ExxonMobil France. Il faut dire que les sites du Vieux Continent, et pas seulement au Havre, sont pénalisés par les coûts énergétiques.

« Les usines pétrochimiques européennes sont en concurrence avec les unités américaines fonctionnant au gaz naturel. Mais ce dernier coûte quatre pour cinq fois moins cher outre-Atlantique »souligne Olivier Appert, conseiller au centre Energie & Climat de l’Institut français des relations internationales (IFRI).

Reste que la pilule est difficile à avaler pour les salariés, bien conscients que la maison mère américaine d’ExxonMobil, basée à Spring dans la banlieue de Houston (Texas), est un « cash machine » ultra-rentable. L’année dernière, le groupe a réalisé 36 milliards de dollars de bénéfices dans le monde, contre 21 milliards de dollars pour TotalEnergies.

L’entreprise vaut 500 milliards de dollars en bourse, ce qui en fait l’une des vingt premières capitalisations mondiales, devant des mastodontes comme LVMH ou Coca-Cola. Son plan stratégique prévoit de doubler le niveau de profit entre 2019 et 2027. « ExxonMobil affiche depuis longtemps de meilleures performances que ses concurrents pétroliers, faisant preuve d’une certaine arrogance »fait glisser le magazine L’économiste.

ExxonMobil mise plus que jamais sur les énergies fossiles, principaux responsables du changement climatique

Une arrogance mêlée d’une pointe d’insouciance quant à l’empreinte environnementale de ses activités. Malgré quelques initiatives plutôt anecdotiques dans les énergies renouvelables, ExxonMobil mise plus que jamais sur les énergies fossiles, principales responsables du changement climatique. «La stratégie d’investissement de l’entreprise continue de s’appuyer fortement sur le pétrole et le gaz»analyse Reclaim Finance, une association proche des Amis de la Terre.

« ExxonMobil est la compagnie pétrolière qui fait face au plus grand nombre de poursuites judiciaires. De nombreux rapports le présentent, ainsi que Chevron, comme les pires en termes de transition », déclare David Tong, militant chez Oil Change International.

Du pétrole jusqu’à la dernière goutte

En 2023, le groupe texan a investi près de 20 milliards de dollars dans l’exploration et la production de pétrole et de gaz, son activité la plus lucrative – il a généré l’an dernier 21,3 milliards de dollars de bénéfices, soit 60 % du bénéfice total, les 40 % restants provenant du raffinage. , produits chimiques et distribution. Le gaz naturel représente 40 % de la production totale de l’entreprise, qui est en passe de doubler sa production de gaz naturel liquéfié (GNL) d’ici 2030.

ExxonMobil n’est pas la seule compagnie pétrolière à continuer de croire et de croître dans les hydrocarbures. Mais c’est sans doute celui qui le fait de la manière la plus décomplexée. Le directeur général Darren Woods affirme que les efforts visant à éliminer la dépendance aux combustibles fossiles sont « irréaliste et même dangereux ».

En 2022, sur fond de guerre en Ukraine et de flambée des prix, la multinationale a réalisé un bénéfice net extraordinaire de 56 milliards de dollars.

Sa feuille de route assumée va à l’encontre de l’accord de Paris sur le climat, mais génère un retour sur investissement important. Les actionnaires n’ont pas grand-chose à redire, les choix d’ExxonMobil s’avérant très lucratifs.

En 2022, sur fond de guerre en Ukraine et de flambée des prix sur les marchés de l’énergie, la multinationale a réalisé un bénéfice net extraordinaire de près de 56 milliards de dollars, ce qui lui a permis de distribuer l’année suivante 14,9 milliards de dollars de dividendes et 17,5 milliards de dollars de rachats d’actions. A titre de comparaison, le français TotalEnergies a enregistré un bénéfice net de 20,5 milliards de dollars en 2022 – le plus gros bénéfice jamais réalisé par une entreprise du CAC 40.

Ces chiffres laissent songeur. Qu’en est-il des prévisions de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), une entité de l’OCDE, selon lesquelles la production pétrolière va stagner ou diminuer d’ici dix ans ? Et que dire de la dernière COP, à Dubaï, qui s’est conclue sur un objectif commun d’abandon « progressif » des énergies fossiles ?

Cette perspective paraît d’autant plus lointaine aux compagnies pétrolières et à leurs actionnaires que, « Malgré toutes ces belles paroles, la consommation mondiale de pétrole, de gaz et même de charbon continue d’augmenter »notes Olivier Appert.

L’eldorado du gaz et du pétrole de schiste

Cela est d’autant plus vrai qu’un nouvel eldorado a revitalisé l’industrie pétrolière au cours des vingt dernières années. Le boom du gaz et du pétrole de schiste aux Etats-Unis a bousculé le secteur et aiguisé les appétits. L’année dernière, ExxonMobil a jeté son dévolu sur la société texane Pioneer Natural Resources, spécialisée dans ces hydrocarbures dits « non conventionnels », en déboursant pour cela près de 60 milliards de dollars.

Cette méga-acquisition permet au groupe d’augmenter significativement ses volumes de production dans le bassin du Permien situé aux Etats-Unis, principale Source de ce type d’énergie dont il est devenu le leader incontesté. Mais il y a un piège. L’extraction du pétrole et du gaz de schiste nécessite le recours à la fracturation hydraulique, une technique controversée en raison de ses effets néfastes sur la nature.

« Les hydrocarbures non conventionnels ont une empreinte environnementale importante, mais des coûts d’exploitation attractifs. Ils sont exportés notamment sous forme de gaz naturel liquéfié (GNL). Les États-Unis, qui disposent de ressources considérables, sont devenus le premier exportateur mondial de GNL, dépassant l’Australie et le Qatar.underlines Olivier Appert.

La multinationale a vendu pour 1 milliard de dollars de gisements de pétrole conventionnel pour se recentrer sur le schiste

ExxonMobil met les bouchées doubles et veut augmenter sa production dans le bassin permien de 1,3 à 2 millions de barils équivalent pétrole par jour d’ici 2027… quitte à se débarrasser des gisements « classiques ». Fin août, la multinationale a vendu pour 1 milliard de dollars de gisements de pétrole conventionnel afin de se recentrer sur le schiste, qui rapporte davantage de revenus.

Alors que la communauté scientifique, et en premier lieu le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), appelle à un développement massif des énergies renouvelables comme l’électricité solaire, éolienne, hydraulique ou géothermique, la direction d’ExxonMobil se montre peu intéressée à occuper ce terrain.

Dans les activités dites bas carbone, le géant texan cible principalement le captage et le stockage du carbone, les biocarburants et l’hydrogène, et prévoit d’investir 20 milliards de dollars sur la période 2022-2027, soit une moyenne de 3,3 milliards de dollars par an. C’est sept à huit fois moins que ses investissements dans l’exploration et la production d’hydrocarbures, auxquels elle prévoit de consacrer 22 à 27 milliards de dollars par an d’ici 2027.

« La rentabilité des énergies renouvelables est inférieure à celle de l’exploitation du gaz et du pétrole. L’énergie éolienne ou solaire est tout simplement moins rentable pour les actionnaires, deciphers Olivier Appert. De plus, les pétroliers sont conçus pour de grands projets d’exploration, tandis que l’énergie éolienne et solaire terrestre a tendance à nécessiter des structures légères. C’est un marché où les majors n’ont pas vraiment d’avantage concurrentiel. »

Une politique inflexible

Enfin, la pression des pouvoirs publics sur les questions environnementales est plus forte en Europe qu’aux États-Unis.. La pression peut certainement venir d’ailleurs. Par exemple, les investisseurs engagés pour le climat.

En 2021, le fonds activiste américain Engine N°1, qui détenait 0,02 % du capital d’ExxonMobil, est parvenu, avec le soutien d’autres actionnaires, à imposer trois administrateurs indépendants au conseil d’administration du groupe pétrolier. Leur présence n’a cependant pas permis d’influencer la politique climatique de l’entreprise.

De même, les investisseurs activistes Follow This et Arjuna Capital, qui demandaient à la firme texane d’accélérer son plan de réduction des émissions de gaz à effet de serre, ont dû retirer cette année leur résolution d’actionnaire sous la pression de la direction. Cette dernière n’a pas hésité à les poursuivre en justice pour procédure abusive, mais a perdu son procès.

L’Europe fait office de repoussoir avec ses coûts élevés et ses politiques environnementales plus restrictives

L’avenir du groupe s’écrit plus que jamais dans son pays d’origine et en Amérique latine (Guyane, Brésil). L’Europe, de son côté, fait presque office de repoussoir avec ses coûts élevés et ses politiques environnementales plus restrictives. « Les réglementations européennes, plus prescriptives que dans d’autres régions du monde, sont complexes et coûteuses »argumente ExxonMobil France.

Si la raffinerie de Port-Jérôme-sur-Seine est maintenue malgré la fermeture de l’usine pétrochimique, ses salariés ont de quoi s’inquiéter. En avril, le groupe américain a cédé son autre raffinerie française, dans le sud de la France, à la société Rhône Energies.

Surtout, les perspectives du raffinage en Europe ne sont pas très encourageantes. L’interdiction de la vente de véhicules thermiques neufs à partir de 2035 devrait accélérer l’essor des voitures électriques, réduisant ainsi la consommation d’essence et de diesel.

L’avenir d’ExxonMobil ne s’écrira pas en France, et celui de la lutte contre le changement climatique s’écrira sans ExxonMobil.

 
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