Emir Kusturica, né en 1954 à Sarajevo, en Bosnie-Herzégovine (alors en Yougoslavie), cumule les récompenses : deux Palmes d’or à Cannes, un César, un Lion et un Ours d’argent. Bien que doté d’un parcours professionnel respectable, il fut l’un des premiers Européens – comme Almodovar en Espagne – à opter pour un cinéma fou et baroque, tentant de s’affranchir du bon goût, des bienséances sociales et du réalisme.
Et cela, tiré de son deuxième long métrage, Papa est en voyage d’affaires (1985), qui sort en salles dans une version restaurée. Par son impertinence, ce film peut être considéré comme l’un des nombreux précurseurs de la désintégration du bloc de l’Est, dont la Yougoslavie s’était déjà partiellement détachée.
Ses premières années dans une famille musulmane bosniaque
Papa est en voyage d’affaires aurait dû être le deuxième volet d’une trilogie semi-autobiographique. Mais Kusturica ne le fermera jamais. On y retrouve, transposées de manière diffuse, ses premières années au sein d’une famille musulmane bosniaque, marquées par les déboires de son père, Murat Kusturica, membre du PC yougoslave, mis au ban pour avoir osé critiquer Tito.
Dans le film, Murat devient Mesa (joué par le célèbre Miki Manojlovic), père du petit héros de l’histoire, Malik, 8 ans. Il semble être réprimandé pour son impudence politique. Le cinéaste joue cependant avec l’ambiguïté à double titre. Mesa a-t-il été envoyé dans un camp de travail pour avoir pesté en voyant un dessin où Marx était assis devant un portrait de Staline, ou pour avoir flirté avec la compagne de son « petit-ami » apparatchik ?
En tout cas, cela démontre que la déstalinisation de Tito a été un coup d’État qui n’a pas toujours fait l’unanimité. Mais si l’histoire et le climat politique de la Yougoslavie dans les années 1950 constituent un fil conducteur évident, Papa est en voyage d’affaires reste avant tout une fresque intimiste, pour ainsi dire. Tout en dépeignant un fond collectif riche, avec ses manifestations un peu ringardes, Kusturica plonge le spectateur dans les bouleversements d’une vie familiale envisagée avec truculence et générosité.
Une œuvre ample, filmée impeccablement
On pense au cinéma italien, à la fois acide, bon enfant et stylisé, à la manière d’Ettore Scola ou de Fellini. Kusturica s’est d’ailleurs quelque peu inspiré ici duAmarcord (1973) de ce dernier (comme pour le temps des gitans1988), dont il retrouve certains accents bruts ainsi que l’ambiance nostalgique.
Dans cette œuvre ample, impeccablement filmée, où les premières émotions d’un enfant sont mises en parallèle avec l’évolution d’un pays, n’apparaît pas une des caractéristiques du cinéma de Kusturica, sa passion pour le réalisme magique. encore au stade embryonnaire.
Il n’apparaît que dans le tout dernier plan (de lévitation), qui annonce l’explosion lyrique de l’œuvre suivante, le temps des gitansle chef-d’œuvre du cinéaste. Maniant habilement la provocation et l’irrespect, insufflant l’esprit punk dans la vie sociale ordinaire, il évite avec brio que la fresque ne soit une croûte gelée.
Papa est en voyage d’affaires d’Emir Kusturica. Yougoslavie, 1985, 2 h 28
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