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antécédents du suspect, OQTF et législation… le point sur l’affaire

C’est un nouveau fait divers qui prend une dimension politique. Philippine, une étudiante de 19 ans à l’université Paris Dauphine, a été retrouvée morte, son corps partiellement enterré, dans le bois de Boulogne, samedi 21 septembre. Trois jours plus tard, un suspect a été interpellé en Suisse. Il s’agit d’un homme de 22 ans, de nationalité marocaine, a indiqué à l’AFP une Source proche du dossier, confirmant une information d’Actu 17. Il était visé par une OQTF (obligation de quitter le territoire français). C’est le point qui a relancé la machine à polémiques.

  • Que savons-nous des antécédents du suspect ?

L’homme avait déjà eu affaire à la justice. En 2021, il avait été condamné à 7 ans de prison pour le viol d’une femme de 23 ans dans un bois de Taverny (Val-d’Oise). Il avait 17 ans à l’époque des faits. Sorti de prison le 20 juin, sa peine a été immédiatement assortie d’une obligation de quitter le territoire français.

Comme l’explique Le Parisien, il a été placé en centre de rétention administrative (CRA), avant d’être libéré 16 jours avant les faits. Le préfet de l’Yonne avait en effet ordonné son placement en CRA. Il s’est retrouvé dans un centre à Metz. Problème pour l’expulser : il n’a pas de documents d’identité. Dès le 18 juin, les autorités françaises se sont alors rapprochées du Maroc pour une « demande de reconnaissance aux fins de délivrance d’un laissez-passer ». Face à l’absence de réponse, de nouvelles demandes le 16 juillet, puis le 27 août, détaille encore Le Parisien.

Parallèlement, la détention administrative se poursuit. La loi prévoit qu’elle soit limitée à 60 jours, durée qui peut être prolongée si un pays ne répond pas aux demandes. Dans le cas du suspect, il y a eu trois prolongations. Le 3 septembre, toujours sans réponse du Maroc, le préfet a demandé une quatrième prolongation de 15 jours. Le juge des libertés et de la détention, qui doit trancher, souligne que le jeune homme « a porté atteinte à la sécurité des personnes » avec son dossier de viol » et estime que « le risque de récidive d’actes criminels, et donc de menace à l’ordre public, ne peut être exclu ». Le juge décide néanmoins de le libérer, car l’administration française « ne peut établir » qu’elle sera en mesure d’obtenir le laissez-passer du Maroc dans les 15 jours, ni d’organiser le voyage en avion. En conséquence, « les conditions légales pour une nouvelle prolongation ne sont pas réunies ». Sa libération a été assortie d’une obligation de contrôle.

Tout s’est joué ici en une journée. Car le lendemain de la décision du juge, le Maroc a transmis l’autorisation d’expulsion à la France le 4 septembre, selon l’AFP. Le suspect n’ayant pas respecté son obligation de se présenter, il a ensuite été inscrit au fichier des personnes recherchées le 19 septembre selon le procureur, la veille du meurtre.

Il s’agit d’une mesure administrative prise par un préfet à l’encontre d’un étranger en situation irrégulière. La décision impose à l’intéressé de quitter le territoire français par ses propres moyens dans un délai de 30 jours.

Si la personne n’a pas quitté volontairement le territoire dans le délai fixé, elle peut être placée dans un centre de rétention ou assignée à résidence. Il appartient alors aux autorités d’organiser le départ vers le pays d’origine (sauf si la vie ou la liberté de la personne y est menacée).

Il existe plusieurs exceptions à l’application d’une OQTF. Elle ne s’applique pas aux mineurs, aux personnes résidant en France depuis plus de 20 ans ou aux personnes mariées à un ressortissant français depuis au moins trois ans. Cette protection peut toutefois être retirée, notamment en cas de terrorisme ou si l’individu compromet les intérêts fondamentaux de l’État.

  • Combien d’ordres de sortie sont en vigueur ?

Le taux d’application des OQTF est faible depuis quelques années. Selon le rapport pour avis des sénatrices Muriel Jourda (LR) et de l’ancien sénateur Philippe Bonnecarrère (centriste), pour le budget 2024, le taux d’exécution des OQTF s’élève à 6% en 2021, puis à 6,8% en 2022 et à 6,9% au premier semestre 2023.

Un taux faible à relativiser en partie en raison du nombre élevé d’OQTF émises en 2022, avec 134 280 décisions. En 2012, le taux d’exécution était bien meilleur, avec 22,3 %, mais pour seulement 82 535 décisions. Avec 18 441 décisions exécutées en 2012, ce chiffre est toutefois en baisse depuis 2020 (7 376), après avoir été plutôt stable jusqu’en 2019 (15 013), avec un point bas en 2016 (11 653).

« Malgré ces manquements évidents, l’État ne semble pas vouloir se donner les moyens d’une politique d’éloignement véritablement efficace. L’incohérence entre un nombre toujours croissant de mesures d’éloignement prononcées et le manque de renforts humains et financiers pour les mener à bien symbolise cette absence de ligne directrice », dénonce dans un rapport de 2022 l’ancien sénateur LR François-Noël Buffet, qui vient d’être nommé ministre des Outre-mer.

  • Bruno Retailleau prêt à « changer » les règles « si nécessaire »

Compte tenu du parcours du suspect, visé par une OQTF et sorti d’un centre de rétention administrative après décision d’un juge, la polémique a rapidement pris de l’ampleur. Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, qui n’avait pas tardé à réagir à ce type d’information avant sa nomination, n’a pas exclu de légiférer.

« Face à un tel drame, précédé de bien d’autres, nous ne pouvons nous contenter de déplorer ou de nous indigner. C’est à nous, responsables publics, de refuser cette fatalité et de développer notre arsenal juridique, pour protéger les Français. Car c’est leur premier droit, et donc notre premier devoir. S’il faut changer les règles, changeons-les », a déclaré Bruno Retailleau dans un communiqué. Il entend « travailler à assurer la sécurité de nos compatriotes » avec le garde des Sceaux. Au lendemain d’une première polémique avec Didier Migaud, l’ancien sénateur LR a pris soin, au passage, de préciser que ce travail se fera « dans le cadre de nos responsabilités respectives (avec le garde des Sceaux) et sous l’autorité du Premier ministre ».

A gauche, le chef du Parti socialiste, Olivier Faure, s’est montré ferme. « Quand on a quelqu’un en détention, qui est un individu que l’on peut considérer comme une menace pour la société française, on ne devrait pas être obligé de le libérer avant d’avoir l’assurance qu’il pourra repartir », a déclaré le député socialiste sur BFMTV/RMC. L’ancien président socialiste, François Hollande, a lui-même mis en cause la « chaîne pénale et administrative » de France Info.

  • Quelles sont les pistes pour changer les règles ?

À quoi pourraient ressembler ces nouvelles règles ? Lors des débats sur le dernier projet de loi sur l’immigration au Sénat, la majorité sénatoriale avait modifié les règles concernant les OQTF. Cela pourrait peut-être donner une idée des changements à venir. Les mesures défendues par un certain Bruno Retailleau visaient à supprimer la plupart des protections évoquées ci-dessus, en cas d’OQTF, pour les personnes représentant « une menace grave pour l’ordre public », à l’exception de celle pour les mineurs.

S’il faudra attendre de connaître les intentions de Bruno Retailleau une fois ministre, il sera sans surprise soutenu par son camp, comme Valérie Boyer, sénatrice LR des Bouches-du-Rhône. « Il faut d’abord appliquer la législation. Et une personne qui fait l’objet d’une OQTF ne doit pas être libérée, surtout après une peine raccourcie. Et surtout pour viol, alors qu’on sait parfaitement que beaucoup de violeurs récidivent », estime la sénatrice, qui estime qu’« il y a une série – je ne sais pas si on peut appeler ça des erreurs – mais des problèmes administratifs ».

Valérie Boyer rappelle que le suspect est également arrivé sur le territoire alors qu’il était mineur. Elle soulève cette question. « J’ai déposé une proposition de loi en mars dernier sur les mineurs isolés étrangers. Quand ils restent 3 ans en France, ils deviennent Français et ensuite ils font venir toute leur famille. Au nom de quoi, quelqu’un qui est arrivé illégalement en France en se faisant passer pour un mineur, parce que c’est faux 8 fois sur 10, aurait-il le droit d’être Français ? », s’interroge Valérie Boyer, dont le PPL propose de supprimer cette disposition. Elle ajoute : « Tout dysfonctionne dans cette affaire, qui est tellement significative. On ne supporte plus toutes ces infos dégueulasses. »

« S’il avait été maintenu en centre de rétention, il aurait été expulsé », souligne la sénatrice LR Jacqueline Eustache Brinio.

Pour sa collègue LR Jacqueline Eustache-Brinio, « la question de fond, c’est pourquoi il n’est pas resté 90 jours en CRA, la durée maximale ? Vu son parcours, franchement… Il est arrivé en 2019, quelques mois après, il a violé une jeune femme. S’il avait été maintenu en CRA, il aurait été expulsé. Parce que le Maroc avait délivré l’OQTF », souligne la sénatrice LR du Val-d’Oise. Pour Jacqueline Eustache Brinio, « on est au cœur d’une immigration incontrôlée ».

Sur les pistes à suivre, ce proche de Bruno Retailleau doit simplement regarder « tout ce qui a été rejeté par le Conseil constitutionnel. Ce n’était pas sur le fond mais sur la forme, ou soi-disant pas dans le bon texte », pointe Jacques Eustache-Brinio, selon qui « on peut très bien retravailler pour remettre les choses à la bonne place, au bon moment. Il faut absolument pouvoir légiférer. Et il y a des choses réglementaires, comme l’a dit le ministre ».

« Au-delà de la question des OQTF, c’est la question de la manière dont on traite le viol dans ce pays » pour la socialiste Corinne Narassiguin

Autre point de vue, avec la socialiste Corinne Narassiguin. « Au-delà de la question des OQTF, c’est la question de la manière dont le viol est traité dans ce pays : les peines prononcées, la manière dont on ne prend pas en compte le risque extrêmement élevé de récidive et la manière dont on surveille, ou pas, les personnes incarcérées », affirme la sénatrice PS de Seine-Saint-Denis, qui rappelle que « le système judiciaire ne doit pas seulement avoir pour objectif de punir un coupable, mais aussi d’assurer sa réinsertion ».

« Après, on a un problème avec l’exécution des OQTF, parce qu’il y a un problème avec certains États. On sait très bien que les mesures dites de rétorsion prises avec le Maroc ont au contraire produit plus de difficultés avec ces pays. Et ça commence à se redresser parce qu’on a levé ces mesures de chantage », pointe la secrétaire nationale du PS à la coordination. Elle ajoute :

Je ne suis pas sûr que la fuite en avant de Bruno Retailleau soit une recherche d’efficacité, mais plutôt une recherche d’affichage, qui n’apportera aucun résultat.

Par ailleurs, Corinne Narassiguin estime que la France « décrète de nombreuses OQTF, dont certaines sont discutables. Et avec la loi sur l’immigration, on a élargi les critères, sans donner plus de moyens pour les exécuter. Il faut donc encore revenir à la raison face à la multiplication des OQTF ». Outre « une meilleure politique d’intégration », la sénatrice PS prône « des OQTF pour les cas où cela est vraiment justifié, et la nécessité de mettre les moyens dans le système administratif pour qu’elles soient effectivement exécutées ».

 
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