On le reconnaît à sa moustache grisonnante qui tombe sur une moue pensive. Le visage de Daniel Zagury est peu connu du grand public. Il s’agit pourtant d’une star des tribunaux, un psychiatre réputé pour son expertise sur les tueurs en série. Ce qui le passionne ? Penser l’impensable, donner un sens à l’insensé, sortir de la dialectique des monstres et de la normalité.
Dans Insoupçonné, Série en quatre épisodes diffusée sur France 2, Daniel Zagury se livre à un exercice périlleux : dresser le profil psychologique de l’Homme Grêlé, sans pouvoir rencontrer ce tueur en série hors du commun qui s’est donné la mort en septembre 2021.
François Vérove, de son vrai nom, a laissé une lettre d’adieu dans laquelle il reconnaît avoir été actif jusqu’en 1997. Pendant 35 ans, il a échappé à la justicepoursuivant sa vie de gendarme puis de policier, s’impliquant même dans le conseil municipal de sa dernière ville de résidence.
« L’affaire Grêlé est unique par son ampleur et sa noirceur », souligne Daniel Zagury dans son introduction. Il prévient cependant : « Je ne m’intéresse pas au sensationnalisme. Je souhaite répondre à cette énigme : qu’est-ce qui pousse certains hommes à commettre des actes aussi terribles ? » Une question qui guide son travail depuis le début de sa carrière.
Patrice Alègre, Guy Georges and Michel Fourniret
Daniel Zagury, 74 ans, a consacré sa vie à comprendre la psychologie du mal. Commençons par les pires tueurs en série. D’abord Guy Georges, le tueur de l’Est parisien, en prison depuis 2001.
Suivront Patrice Alègre, condamné à la prison à vie en 2002, puis Michel Fourniret, aujourd’hui décédé. L’ex-femme de ce dernier, Monique Olivier, a été condamnée à la prison à vie en novembre 2023 pour sa complicité dans trois meurtres.
« C’est une histoire d’amour criminelle, un lien très fort », avait alors déclaré le psychiatre sur RTL à propos du couple Fourniret-Olivier. Les Français n’ont pas voulu accepter l’idée qu’une femme puisse adopter un comportement aussi pervers en association avec son mari. Il y a quelque chose qui nous choque presque encore plus lorsqu’il s’agit d’une femme et à la fois future mère qui use de subterfuges aussi pervers.
C’est la dualité de ces personnalités que Daniel Zagury tente de comprendre. Comme François Vérove, les tueurs en série ont l’apparition de « M. Tout-le-Monde ». Insoupçonné. Comment expliquer cette double personnalité qui semble commune aux pires criminels ?
« Le mystère des tueurs en série »
En 2008, Daniel Zagury a donné quelques pistes de réflexion dans son ouvrage Le mystère des tueurs en série (Plon). L’une d’elles concerne le « clivage » qu’il observe parmi ces criminels : « C’est précisément ce qui fascine le grand public, il explique dans L’heure du crimeavec quelqu’un qui a une vie apparemment adaptée, apparemment pseudo-normale, et qui en même temps commet des actes terribles.
Dans cet entretien, le psychiatre prend l’exemple de Grêlé. En 2019, François Vérove était candidat à un jeu télévisé sur France 2. « Il est à l’aise, il est comme nous, et quand on est face à lui, on ne peut que se dire : Comment est-il possible que cet homme ait pu commettre de tels actes ?
Le clivage est un mécanisme de survie mis en place par le cerveau, le plus souvent pour assimiler un traumatisme. « Dans le cas des tueurs en série, par exemple, dans la grande majorité des cas, vous avez une enfance marquée par la privation, les abus, les maltraitances… « parfois même de la torture, donc des enfances très, très marquées dans le registre du manque d’amour », résume Daniel Zagury.
Une expertise sans absolus
Daniel Zagury ne prétend cependant pas avoir de réponse absolue à l’énigme. « Cela m’agace beaucoup quand on dit ‘les experts ne nous ont pas aidés à comprendre’, confie-t-il à Justine Vignaux, on ne peut peut-être pas donner une explication simpliste, rudimentaire, ‘il a tué ou elle a tué pour telle ou telle raison’, qui serait simple, C’est ce que j’appelle la quête de la cause coupable. Nous sommes tous heureux, nous croyons avoir l’explication ultime d’un phénomène complexe. Donc, oui, c’est vrai, nous ne pouvons pas le formuler. Ou si nous le formulons, nous dirons des bêtises.
« À partir de là, les informations que nous pouvons fournir sont un peu plus complexe que quelque chose qui peut être résumé en une phrase ou deux« D’autant que la logique de l’inconscient peut faire cohabiter les contraires, poursuit-il. Si je vous dis « il a tué par amour et par haine », vous allez me dire « il dit des bêtises ». (…) Et pourtant, pour l’inconscient, les deux peuvent cohabiter. C’est tout. »
Une réflexion que poursuit Daniel Zagury dans les quatre épisodes de la série Insoupçonné sur la route du Grêléet qui l’a amené à s’intéresser à d’autres types de criminels. En 2018, il a publié La barbarie des hommes ordinaires. Ces criminels qui pourraient être nous (L’Observatoire), et s’est également illustré dans plusieurs affaires, autres que des crimes en série. Parmi elles, l’affaire Fabienne Kabou, dont le procès a été adapté au cinéma par Alice Diop, ou l’affaire Cahuzac, pour laquelle il a été appelé à la barre pour décrypter les mensonges de l’ancien ministre accusé de fraude fiscale.
Pour écouter Daniel Zagury :
2. Fabienne Kabou : le profil psychiatrique d’une mère infanticide au cœur du procès
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LE SUPPLÉMENT – « La scission des tueurs en série nous fascine » selon le psychiatre Daniel Zagury
L’heure du crime
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