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Le réchauffement climatique met en danger notre passé, prévient l’UNESCO

On soupçonne Venise d’être menacée par la montée des eaux. On sait moins que Ferrare, splendide cité au bord du Pô, l’est aussi. Tout comme le site archéologique phénicien de Tyr, au Liban. Ou encore la citadelle de Qaitbay en Egypte, construite sur les ruines du phare d’Alexandrie. Autant de monuments classés au patrimoine mondial de l’Unesco pour lesquels la vénérable institution s’inquiète. Le changement climatique menace non seulement notre avenir, mais aussi notre passé, ou du moins le patrimoine culturel qui en témoigne. Dans quelle mesure ces sites célèbres seront-ils affectés par le changement climatique ? Comment les conserver ? ? Ce vaste projet ne fait que commencer.

Cette prise de conscience n’est pas nouvelle. En 2016, l’UNESCO a décidé de collaborer avec le GIEC pour que ses rapports incluent un chapitre sur le patrimoine. « Mais ce n’est qu’au cours des cinq dernières années que le secteur du patrimoine a pris conscience que le changement climatique était un problème auquel nous devions nous attaquer. »affirme William Megarry, chercheur spécialisé dans la conservation du patrimoine, chargé des questions climatiques à l’Icomos, association internationale de préservation du patrimoine.

« Le patrimoine, ce n’est pas seulement l’Acropole ou le Pont du Gard »

« Et attention à ne pas avoir une vision étriquée de ce qu’est le patrimoine.il continue. Ce n’est pas seulement l’Acropole ou le Pont du Gard. C’est aussi des savoir-faire, des traditions, des coutumes, des histoires. Des paysages culturels aussi. Comme aux Philippines, en Chine ou au Japon, où dans certaines régions il ne sera plus possible de cultiver du riz simplement parce qu’il fera trop chaud. » C’est également le cas des climats de Bourgogne et de ses vins, dont la culture allie une connaissance fine des sols et des microclimats d’un territoire à un savoir-faire. La hausse des températures et les événements climatiques extrêmes les mettent déjà à rude épreuve.

« Même la fonte des glaciers a un impact direct sur le patrimoine immatériel »ajoute à Reporterre Contes de Carvalho Resende, expert au Centre du patrimoine mondial de l’UNESCO. « En Ouganda, par exemple, les glaciers du parc national de Rwenzori revêtent une importance symbolique pour les communautés locales. D’ici 2050, ils disparaîtront, et probablement avec eux le patrimoine immatériel qui leur est associé. » Les pertes sont potentiellement immenses. Et nous commençons seulement à prendre la mesure des risques. À l’échelle mondiale, « Il n’existe pas d’étude complète sur l’impact du changement climatique sur les sites du patrimoine culturel »reconnaît Tales Carvalho Resende à l’UNESCO. Il rappelle néanmoins que des études scientifiques ont commencé à faire le point sur certaines régions.

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Le mont Speke (4 890 m) et le lac Bujuku (3 891 m) dans la chaîne du Rwenzori en Ouganda. Les glaciers qui ornent ces sommets sont en train de fondre.
Rafal Kozubek / CC PARC’EST 4.0 / Wikimedia Commons

Ainsi, un article publié en mars 2022 dans la revue Changement climatique et nature s’intéresse au patrimoine des côtes africaines, soumises à la montée des eaux. Sur 71 sites classés au patrimoine culturel de l’UNESCO, 21 (30 %) sont déjà exposés à ce risque. En 2050, dans un scénario de réchauffement climatique modéré, il y en aura 40 (56 %). Parmi elles, les ruines de la cité punique et romaine de Tipasa, en Algérie. Ou encore l’île de Kinta Kinteh sur le fleuve Gambie, haut lieu de mémoire de l’esclavage.

Une autre étude, publiée en 2018 dans Nature Communicationss’intéresse aux côtes méditerranéennes. « Sur 49 sites culturels du patrimoine mondial situés dans les zones côtières de basse altitude de la Méditerranée, 37 sont déjà menacés par une crue centennale et 42 par l’érosion côtière. »Plus des trois quarts des sites balnéaires sont menacés à des degrés divers. Le niveau de risque le plus élevé est atteint dans le nord de l’Italie, avec Venise, la cité Renaissance de Ferrare et la basilique d’Aquilée (connue notamment pour son rôle dans l’évangélisation de l’Europe centrale).

Une vulnérabilité difficile à répertorier

Au niveau européen, l’Union s’en préoccupe et a commandé à des experts un rapport sur « la résilience du patrimoine culturel face au changement climatique »publié en 2022. Il a également noté l’absence d’une évaluation globale des risques. Il a également noté que seuls sept des 28 pays de l’Union ont prévu de coordonner leurs politiques sur le patrimoine et le changement climatique. La France n’en fait pas partie. « ne dispose pas d’une liste des sites patrimoniaux les plus vulnérables »note Ann Bourgès, Secrétaire Générale d’Icomos France.

Mais si l’inventaire fait défaut, ce n’est pas seulement par mauvaise volonté. C’est aussi parce que l’exercice est compliqué. Inondations, érosion, tempêtes, incendies… Les sites patrimoniaux sont certes exposés à des événements climatiques extrêmes, mais le changement climatique peut aussi les exposer à une lente dégradation. C’est le cas par exemple des grottes ornées de Lascaux et Chauvet. Leur microclimat est modifié par le nouveau climat, créant des courants d’air et des mouvements d’eau. Les dessins de nos lointains ancêtres pourraient ainsi être effacés.

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Le Fort Saint-Georges-de-la-Mine d’Elmina fait désormais partie de la mémoire de l’esclavage, menacée par les changements climatiques.
Francisco Anzola / CC PAR 2.0 / Flickr via Wikimedia Commons

Dans nos cathédrales et châteaux français, le cycle de l’eau est également modifié. « Cela peut s’infiltrer, provoquer des transformations chimiques, une expansion lors du gel et faire gonfler les matériaux. »énumère Ann Bourgès, qui est également titulaire d’un doctorat en géosciences au centre de recherche des musées de France (C2RMF). « Le changement climatique risque d’accroître la fréquence et l’intensité de ces phénomènes, et donc la dégradation des matériaux, des objets ou des monuments. » Elle se réjouit d’une thèse en cours, qui porte sur la mesure de ces minuscules mouvements climatiques dans trois édifices français : la cathédrale de Strasbourg, le site archéologique de Bibracte et la chapelle Cocteau à Villefranche-sur-mer.

« Les dommages biologiques causés par des micro-organismes, tels que la croissance de moisissures et d’algues, ainsi que les infestations d’insectes attaquant la structure physique des bâtiments et les collections des galeries, des bibliothèques, des archives et des musées sont plus susceptibles de se produire. »Le rapport européen le note également. Il devient alors une tâche laborieuse d’anticiper la façon dont chaque bien de chaque musée réagira.

Un patrimoine dédié à « évoluer »

Il n’en demeure pas moins que nous savons déjà où le danger est le plus aigu. Des experts interrogés par Reporterre citer le patrimoine situé sur les îles, celui proche des côtes, et aussi celui souffrant d’une « manque de financement comme pour les sites africains »souligne Tales Carvalho Resende. Car si Venise avait les moyens d’ériger un système de défense contre la montée des eaux, ce n’est pas le cas, par exemple, du Ghana pour ses forteresses maritimes classées. « Les forts et châteaux de Volta sont des postes de traite fortifiés qui servaient au commerce des esclaves. »rappelle l’expert de l’UNESCO. « Une partie entière d’un de ces monuments a été emportée par les vagues. C’est toute la mémoire attachée à ce site qui disparaît avec elle. »

Quant à la solution pour préserver notre patrimoine, on peut la deviner. « Nous devons émettre moins de gaz à effet de serre ! » s’exclame William Megarry. Nous devons également accepter le fait qu’une partie de notre patrimoine culturel, notamment immatériel, « évoluera »croit Ann Bourgès. « Comme les vendanges et la vinification des vignerons en Bourgogne. » Il est aussi urgent de documenter et d’enregistrer, du mieux possible, les lieux et pratiques culturelles qui vont disparaître. Comme le font ces archéologues sur l’Île-d’Yeu, qui ont pu mettre au jour des sites funéraires antiques qui seront bientôt emportés par les eaux.

Utiliser les connaissances autochtones

Enfin, Tales Carvalho Resende rappelle que « les connaissances ancestrales des peuples autochtones » La lutte contre les incendies peut également inspirer des solutions. Au Brésil, en Guyane, au Suriname et au Venezuela, les peuples autochtones savent comment prévenir les grands incendies destructeurs grâce à des feux de petite taille et contrôlés.

Dans l’Arctique, l’un des territoires les plus exposés au changement climatique, l’érosion côtière et le dégel du pergélisol menacent les sites archéologiques inuits. Depuis 20 ans, un archéologue travaille avec les peuples autochtones pour tenter de les préserver. Une sauvegarde d’autant plus utile que le savoir-faire architectural local a permis de concevoir un bâtiment écologique adapté aux besoins des habitants de l’Arctique.

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