Ismaël Koné, Moïse Bombito et dans une moindre mesure Mathieu Choinière : le Québec produit des joueurs que les grands clubs d’Europe se disputent, un phénomène nouveau. Une immersion dans un système de développement qui s’est transformé au fil des ans.
L’ascension des jeunes joueurs de soccer québécois et nord-américains chez les professionnels n’est pas un feu de paille. L’entraîneur du Columbus Crew, Wilfried Nancy, en est bien conscient. Selon lui, les équipes européennes achètent les talents nord-américains pour leur excellent « rapport qualité-prix ».
Ils savent que le dépistage est plus faible en territoire canadien, mais que le calibre du soccer qui y est pratiqué est élevé.
L’avenir du soccer est au Canada et aux États-Unis. À mon niveau, on me contacte de plus en plus. De plus en plus de recruteurs viennent voir les équipes canadiennes. On est sur la bonne voie.
Wilfried Nancy, entraîneur de Columbus Crew
Il est difficile de trouver une meilleure personne pour analyser le système de développement du Québec que Wilfried Nancy. Nancy connaît tous les différents niveaux du Québec. Il a débuté comme entraîneur au niveau secondaire, en sports-études, au niveau AAA, en plus d’être directeur technique de l’Association régionale de soccer de la Rive-Sud. Tout cela avant d’entraîner l’équipe scolaire du CF Montréal et son équipe principale.
Son constat ? Ce ne sont pas les joueurs qui se sont améliorés au fil des années, mais leurs entraîneurs.
« Quand je travaillais avec les équipes régionales de la Rive-Sud, il y a plus de dix ans, il y avait déjà de très bons joueurs. En termes de talent, je me disais que le Québec n’avait rien à envier à la France », raconte-t-il.
« Mais je pensais que j’hallucinais : ces très bons joueurs, ils étaient entraînés par leurs parents. Je n’arrivais pas à y croire », poursuit Nancy.
Les temps ont changé. Aujourd’hui, tous les entraîneurs doivent obtenir un diplôme. Même ceux qui souhaitent entraîner des enfants de 4 ans. Pour entraîner une équipe de soccer au Québec, peu importe le niveau, une licence de type C est requise. Pour l’obtenir, il faut suivre six modules et six jours de cours.
Pour entraîner au niveau des jeunes, l’obtention d’une licence de type B, nécessitant 134 heures de cours, est obligatoire. Vous voulez entraîner des pros? Trois cents heures de formation seront nécessaires.
Tout le monde ne peut donc pas devenir entraîneur. Pour y parvenir, il faut nécessairement s’investir, avoir une passion pour l’enseignement et, surtout, pour le football.
Une supervision améliorée
Des entraîneurs formés signifient des clubs structurés. L’avènement d’entraîneurs compétents s’est accompagné de la mise en place de structures de jeu développées au Québec.
À une époque, les joueurs arrêtaient de jouer au foot à 15 ans ici. Il manquait des structures pour les faire évoluer. Aujourd’hui, les clubs sont suffisamment forts pour leur permettre de développer leur potentiel, ou tout simplement les amener à se demander s’ils veulent continuer à jouer ou non.
Wilfried Nancy, entraîneur de Columbus Crew
Canada Soccer, l’organisme qui régit le sport, accorde aux clubs régionaux une grande latitude pour offrir des programmes adaptés à leur clientèle. Depuis près de cinq ans, cependant, des directives sont en place pour les enfants de 4 à 12 ans.
Il ne faut donc pas imposer de sélection. Tous les enfants qui le souhaitent peuvent jouer.
Il n’est pas possible de former des équipes fermées, ce qui permet de modifier les groupes en fonction des forces et des faiblesses de chacun. Les exercices doivent être pratiqués en atelier, afin de garantir le développement de différentes compétences.
L’objectif de ces principes ? Faire en sorte que tous les enfants puissent développer leurs compétences avec un accompagnement personnalisé.
Chacun son chemin
Au fur et à mesure que les joueurs grandissent, ils évoluent à différents niveaux, sur et hors du terrain. L’une des forces du Québec est sa capacité à offrir une gamme de niveaux de jeu aux joueurs. Certains intégreront rapidement les rangs professionnels. D’autres opteront pour le niveau jeunesse ou même une carrière scolaire.
« L’idée n’est pas de signer un contrat professionnel rapidement. Je connais plusieurs joueurs qui ont signé un contrat professionnel à 14 ou 15 ans et qui n’existaient plus à 18 ou 19 ans », rapporte Wilfried Nancy.
« Tous les athlètes ont besoin d’une structure de développement différente selon leur profil. Je pense que c’est ce qu’on a réussi à créer au Québec », ajoute le directeur du développement de Soccer Québec, Valerio Gazzola.
Le Montréalais Moïse Bombito, recruté par l’OGC Nice en France, en Ligue 1, incarne bien ce principe. À 18 ans, Bombito était loin des pros. Il évoluait au poste d’attaquant avec les Aigles du Collège Ahuntsic au niveau collégial. Il a dû apprendre son métier au CS Saint-Laurent et au CS Saint-Hubert avant de rejoindre le réseau universitaire américain et d’être repêché en MLS.
Certains athlètes ne sont tout simplement pas prêts à jouer à haut niveau à un jeune âge. Par le passé, les joueurs pouvaient être laissés pour compte à 15 ou 16 ans. Aujourd’hui, nous pouvons les former ici.
Valerio Gazzola, directeur du développement chez Soccer Québec
Nouveaux modèles
Le développement s’améliore certes au Québec, mais surtout, le nombre de joueurs augmente de façon spectaculaire. En 1995, la province en comptait 91 260. Aujourd’hui, 170 000 Québécois jouent au soccer, dont 139 000 âgés de 17 ans et moins.
« On le voit, les jeunes s’intéressent au soccer, commente Wilfried Nancy. Ils jouent à FIFA sur la PlayStation. Ils parlent des ligues professionnelles. On le voit, le soccer commence à faire partie de la fibre québécoise. »
Dans leurs locaux, les posters de Lionel Messi et Cristiano Ronaldo cèdent peu à peu la place à ceux d’Ismaël Koné et Moïse Bombito. Le club de football de Saint-Laurent mise beaucoup sur leur popularité grandissante. Cet été, Koné et Bombito sont allés à la rencontre de quelques-uns des jeunes joueurs du club.
« Ça fait toute la différence, commente le directeur sportif du CS Saint-Laurent, Rocco Placentino. Ça crée des soirées magiques. Les enfants pleuraient de joie quand ils les voyaient signer leur maillot ou leurs chaussures. »
Placentino a connu une belle carrière professionnelle, notamment avec l’Impact. Comme il a à peu près le même âge qu’Olivier Occéan et Patrice Bernier, il n’a jamais idolâtré les professionnels québécois. Il regardait donc les joueurs d’autres pays pour rêver.
« Pouvoir donner aux jeunes cette chance que je n’ai pas eue d’admirer les joueurs de leur rue, cela fait toute la différence », a conclu Placentino.
Quoi qu’il en soit, la progression des jeunes joueurs québécois se fait sentir sur la scène nationale. En août, les équipes de la province ont offert une belle prestation au premier championnat canadien du programme de développement des joueurs. Chez les moins de 17 ans, le CS Saint-Laurent a triomphé chez les garçons, tandis que l’AS Laval a atteint la finale chez les filles. Et la finale féminine chez les moins de 15 ans, qui s’est terminée par une victoire du CS Saint-Hubert contre Laval, a eu une saveur bien québécoise.
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