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« On apprend aux extraterrestres à compter », affirme un chercheur qui étudie le « premier contact »

Frédéric Landragin est chercheur en linguistique au CNRS. Il a publié cet été le Guide de communication interstellairedans lequel il examine la meilleure façon de communiquer avec les extraterrestres. C’est ce que des chercheurs de nombreux pays tentent de réaliser, en vain, depuis plus de cinquante ans. Entretien.

Comment en arrive-t-on à écrire un livre sur la communication avec les extraterrestres ?

Frédéric Landragin : Je suis linguiste et chercheuse au CNRS, je m’intéresse donc aux langues et particulièrement à une question que les linguistes se posent depuis très longtemps, à savoir : « existe-t-il une langue universelle ? » C’est cette question qui m’a amenée au thème de la communication avec les extraterrestres car c’est une métaphore de la situation de communication la plus extrême, la plus difficile possible.

Alors, existe-t-il un langage universel ?

A prioriNous savons que non. Une langue qui ressemblerait à une langue humaine, comme le français ou l’anglais, mais qui serait universelle et plus facile à apprendre pour tout le monde, n’existe pas. Des tentatives, comme l’espéranto, ont échoué. Et la langue la plus universelle que nous connaissons est le « globish », un anglais bon marché.

Alors si nous devions laisser un message à un extraterrestre, quelle langue utiliserions-nous ?

Dans mon livre, je distingue la communication à distance et la communication en face à face. Pour cette dernière, imaginons qu’un vaisseau extraterrestre atterrisse sur Terre. Le contact se ferait donc dans les airs terrestres et nous pourrions leur parler normalement. Cependant, rien n’indique que les extraterrestres ont des cordes vocales, connaissent le son, ou que cette onde est celle qu’ils utilisent pour communiquer… Ce mode de communication serait complètement aléatoire. Prenons en revanche l’exemple du langage visuel des abeilles, qui communiquent avec une forme de danse. Comme ce n’est absolument pas notre façon de communiquer, nous ne pouvons pas communiquer avec elles. Mais si nous fabriquons des petits robots qui ont la même forme et la même taille qu’une abeille, et que nous les mettons dans une ruche, cela fonctionne…

Notre meilleure chance de communiquer avec les extraterrestres serait donc visuelle…

Non. Ce que cela nous dit, c’est : « si les extraterrestres ressemblent à des abeilles, nous pourrions utiliser ce mode de communication ». Il n’en demeure pas moins qu’à l’heure actuelle, nous découvrons jour après jour de nouvelles exoplanètes et nous pourrons bientôt dire si la vie est probable sur l’une d’entre elles. C’est un énorme pas en avant. Cependant, la forme de vie est probablement constituée de bactéries, de micro-organismes, etc. Des choses vivantes, certes, mais avec lesquelles nous ne pouvons pas communiquer.

Enfin, si les extraterrestres ressemblent à des humains, comme dans tous les films de science-fiction, on appliquerait les principes de la linguistique de terrain. C’est ce que font les linguistes lorsqu’ils s’enfoncent dans la forêt amazonienne ou dans les îles du Pacifique à la rencontre d’ethnies qui n’ont jamais vu personne d’autre.

Comment font-ils ?

Pas à pas. Ils vivent avec eux, s’imprègnent de leur culture jusqu’à pouvoir pointer un outil et demander comment il s’appelle. C’est un peu ce que l’on voit dans le film. Premier contact par Denis Villeneuve : la linguiste passe beaucoup de temps avec les heptapodes et elle apprend un mot, puis un autre.

Il y a quelques décennies, des représentations d’un homme et d’une femme, ainsi qu’une chanson, ont été envoyées dans l’espace…

Ce sont des messages dans des bouteilles. Ils ont été envoyés il y a plus de cinquante ans et ont à peine atteint les portes du système solaire, et il va sans dire que les chances de succès sont nulles. Pourtant, d’autres tentatives ont été faites depuis les années 1970, mais par ondes radio. Là, on envoie des choses universelles, des impulsions, des bits, des 0 et des 1. On énumère des nombres, puis des additions, des soustractions, etc. Ce sont des principes mathématiques qui ont été retenus comme les premiers pas vers un langage universel.

L’algèbre est-elle la seule chose universelle dans le langage ?

Pas forcément l’algèbre, mais compter, oui. Quand j’ai 1, c’est ce symbole, 2, ce symbole, etc. On apprend aux extraterrestres à compter. Ce qui n’a pas beaucoup de sens si on les imagine très évolués. Mais ça nous permet de nous dire : « regarde, on est intelligents parce que ce message n’est pas du bruit, contrairement au chant envoyé dans l’espace. C’est quelque chose qui a du sens et si tu comprends tu sais qu’on est intelligents ». C’est un signal plus qu’un dialogue.

Alors, les maths seraient la meilleure voie ?

Depuis les années 1970, on n’a rien trouvé de mieux. Des chercheurs – disons farfelus car il n’y en a que deux ou trois sur Terre – ont tenté de mettre au point la « lingua cosmica ». Ce n’est pas un langage et elle est basée sur les mathématiques. Elle permet de créer des messages auto-explicatifs, qui ont leurs propres instructions. C’est comme si nos phrases incluaient le Bescherelle et le dictionnaire. Ainsi, même si le message est extrêmement long (une suite de 0 et de 1), il est censé être décodable par toute forme d’intelligence. Ces micro-ondes vont extrêmement loin sans être endommagées et elles sont précises. Chaque envoi vise une étoile. Or, il faut que des extraterrestres y vivent, écoutent et soient sur la bonne fréquence. C’est long à mettre en place, c’est cher et seulement une dizaine de tentatives ont été faites.

Donc, en essayant de communiquer avec les extraterrestres, vous essayez principalement de trouver un langage universel ?

Oui, absolument. Parce que quand on fait ce genre d’exercice, c’est un peu futile. Donc, le but de tout ce processus est avant tout de se questionner : qu’est-ce qu’un langage ? Qu’est-ce qu’un problème de communication ? Quel est le fondement de l’universalité, de la vérité dans tout ce que nous échangeons ?

Supposons que les extraterrestres existent. Avec quel langage (verbal, corporel, phéromone, etc.) pensez-vous que nous aurions le plus de chances de les rencontrer ?

On ne peut qu’extrapoler. Mais, au final, ceux qui ont le mieux imaginé la variété des moyens de communication sont les auteurs de science-fiction. Pas les auteurs de films (avec seulement des vibrations et des phéromones, on s’ennuierait à mourir), mais les écrivains. Il n’en demeure pas moins que si l’on choisit l’odorat, le vent gâcherait tout. Si l’on choisit les sons, dans l’espace, cela ne sert pas à grand chose. Si l’on choisit les signes, le visuel (changement de couleur de peau, un peu comme un caméléon, par exemple), il faut quand même que les extraterrestres aient des yeux !

Personnellement, je pense que si le contact est possible, si nous parvenons à communiquer avec les extraterrestres, nous ne pourrons jamais les voir à cause de la distance.

Et toutes ces recherches pourraient-elles contribuer à universaliser le langage ?

Je pense qu’il est trop tard. Tous nos documents importants (règlement intérieur, code pénal, constitution) sont rédigés en langues naturelles. Or, un même mot peut avoir plusieurs sens et nous avons des armées de juristes et d’avocats qui passent leur temps à chercher et à trouver de nouvelles interprétations des textes. C’est ainsi que nous fonctionnons.

Imaginons maintenant que nous parvenions à concevoir un langage basé sur la logique et les mathématiques et que nous puissions l’utiliser pour tout exprimer de manière super fiable : au lieu d’avoir un livre de 1000 pages, nous aurions un livre de centaines de milliers de pages et une intelligence artificielle pour nous aider à trouver la bonne information. Ainsi, avec ce langage universel, pour chaque question, nous aurions une réponse très claire qui ne serait plus sujette à interprétation…

Ne perdrions-nous pas ainsi une partie de notre humanité ?

Eh bien oui, en effet.

 
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