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Bataille autour du pétrole « made in France »

Il est l’un des protagonistes d’une bataille atypique et son parcours l’est tout autant. Philippe Pons, septuagénaire aux cheveux grisonnants et lunettes en écaille marron sur le nez, est à la tête de la PME Bridge Energies depuis près de 20 ans. Fondée en 2006, elle exploite l’un des derniers puits de pétrole situé en région parisienne où des milliers de forages ont été réalisés. Car oui, la France a produit du pétrole et en produit encore, principalement en Seine-et-Marne et en Nouvelle-Aquitaine. À très petite échelle cependant ; sa production représente désormais moins de 1 % de sa consommation.

Après avoir repris les rênes de l’entreprise familiale spécialisée dans le secteur agroalimentaire, Philippe Pons décide à 50 ans de se lancer dans l’aventure des énergies renouvelables. C’est en 2003. Il est alors pionnier et sa société exploite l’un des plus grands parcs éoliens du pays, dans le nord de la France. Quatre ans plus tard, il revend son entreprise pour se lancer dans… l’exploitation pétrolière ! « J’ai fait l’inverse. Je suis revenu aux énergies fossiles. À l’époque déjà, le développement des éoliennes était compliqué », raconte le dirigeant. « Et puis on ne parlait pas de transition énergétique. »il ajoute.

Deux nouveaux puits pour renouer avec la rentabilité

En 2009, Bridge Energies obtient une concession en région parisienne dans la petite commune de Nonville, à l’est de Nemours, à quelques kilomètres de la forêt de Fontainebleau (Seine-et-Marne). En 2012, le premier puits est foré. Deux autres le sont ensuite. Aujourd’hui, sa production s’élève à 1 800 barils par mois, soit environ 21 600 barils par an. Un volume anecdotique comparé à la consommation de pétrole en France, qui importe environ 267 millions de barils chaque année. « C’est très peu », admet l’entrepreneur. « Notre production connaît une baisse naturelle de 5 % par an. Nous ne sommes absolument pas rentables », concède-t-il. Pour rétablir l’équilibre économique, Philippe Pons ambitionne donc d’exploiter deux nouveaux puits de pétrole sur sa concession. Les revenus de ces nouveaux forages permettront aussi de financer des projets de transition énergétique, explique-t-il. Un argument également développé par les géants du secteur, à l’image de Patrick Pouyanné, le tonitruant PDG de TotalEnergies.

Parmi les projets envisagés : récupérer la chaleur des activités d’extraction pour développer l’aquaponie (une méthode d’élevage de poissons et de plantes dans un même système où les déchets produits par les poissons sont utilisés comme Source de nutriments par les plantes) et mettre en place un système de géothermie, qui consiste à exploiter les calories présentes dans le sous-sol pour le chauffage urbain. Bridge Energies envisage également de se lancer dans le stockage de carbone. La PME a répondu à l’Appel à Manifestation d’Intérêt (AIM) lancé par Roland Lescure, ministre démissionnaire de l’Industrie et de l’Energie. « Si notre candidature est retenue par la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), nous pourrions lancer un projet pilote d’ici fin 2025, début 2026. » L’entreprise, qui n’emploie directement que trois personnes, prévoit de stocker 100 000 tonnes par an dans un premier temps, puis 300 000 tonnes. « À long terme, le réservoir pourrait même stocker jusqu’à un million de tonnes par an », assure Philippe Pons. Tout cela nécessiterait néanmoins plus de 100 millions d’euros d’investissements et donc l’accompagnement d’un partenaire industriel.

Eau de Paris standing wind

Autant de projets qui font hurler les ONG environnementales mais aussi la mairie de Paris, responsable de l’approvisionnement et de la distribution de l’eau dans la capitale. « J’attendais l’annonce de l’abandon du projet de forage de deux nouveaux puits, pas un écran de fumée autour du stockage de carbone »s’emporte Dan Lert, président d’Eau de Paris et adjoint à la maire de Paris en charge de la transition écologique, du plan climat, de l’eau et de l’énergie. « Ces puits seront situés à quelques centaines de mètres de sources d’eau stratégiques, car elles alimentent environ 180 000 habitants, principalement situés à Paris », Il souligne. S’il y avait des fuites pendant le forage ou l’exploitation, « les conséquences seraient irréversibles », prévient-il encore. L’élu espère obtenir gain de cause devant le tribunal administratif de Melun, saisi dans le cadre d’une demande d’annulation de l’arrêté préfectoral autorisant le forage des deux nouveaux puits. La décision est attendue en mai prochain.

En face, Philippe Pons proteste : « 6 000 puits ont été forés en région parisienne depuis 1959 et il n’y a jamais eu de pollution. Plusieurs barrières protègent le puits de pétrole dont la cimentation est obligatoire. Nous sommes également tenus d’avoir un géologue sur place pour surveiller les forages. Le forage d’un puits géothermique présenterait tout autant de risques pour une nappe phréatique. »dit celui qui « campagnes pour un pétrole made in France ». Selon Philippe Pons, le pétrole produit en Seine-et-Marne a « une empreinte carbone deux à trois fois inférieure à celle du pétrole importé »Un argument qu’il est cependant incapable de soutenir factuellement. « Nous sommes tous d’accord sur le fait qu’il faut sortir des énergies fossiles, mais pourquoi vouloir arrêter immédiatement de produire ce pétrole alors qu’il existe, alors qu’il est sous nos pieds ? C’est une question politique et nous en subissons les conséquences », L’entrepreneur est agacé, attendant la décision du tribunal administratif avant de commencer les travaux de forage. « Nous sommes très calmes. Nous ne voyons pas ce que l’on pourrait nous reprocher », il confie.

Les ONG dénoncent « l’absurdité climatique »

Les opposants au projet sont toutefois tout aussi confiants. « La mobilisation va se renforcer et s’amplifier »assure Dan Lert. L’association « Notre affaire à tous » envisage d’ores et déjà de mener une intervention volontaire auprès du juge pour soutenir l’autorité parisienne. Au-delà des risques pour les ressources en eau et l’environnement, l’association entend se pencher sur un autre angle : celui de la « L’absurdité climatique » et de « irresponsabilité absolue » de ce projet à un moment où l’Agence internationale de l’énergie (AIE) recommande depuis 2021 « abandonner tout nouveau projet pétrolier et gazier dans le monde » pour avoir une chance de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. “Tous [les énergies fossiles, ndlr] ce qui est dans le sol doit rester dans le sol, martèle Jérémie Suissa, délégué général de Notre affaire commune, pour qui « Les compensations permises par la capture du CO2 restent très hypothétiques compte tenu du faible niveau de maturité des technologies. » Et ceux-ci doivent intervenir « en dernier recours », il précise.

De son côté, Greenpeace dénonce le double discours des pouvoirs publics. Alors que le gouvernement a annoncé son intention de se retirer des hydrocarbures, la demande de prolongation de la concession a été approuvée par décret le 27 décembre. « en catimini pendant les fêtes de fin d’année »par Elisabeth Borne, alors Premier ministre« Ce qui est en totale contradiction avec ses autres déclarations », souligne Edina Ifticène, responsable de campagne Energies fossiles chez Greenpeace France.

De nouveaux projets en préparation autour du bassin d’Arcachon

Pour rappel, leLa « loi Hulot », adoptée fin 2017, interdit ” progressivement ” la recherche et l’exploitation d’hydrocarbures en France d’ici 2040. Le texte n’interdit toutefois pas explicitement le développement de nouveaux projets dans cet intervalle. Une fenêtre qui a permis à d’autres acteurs de nourrir des projets d’expansion. C’est notamment le cas de l’entreprise canadienne Vermilion, qui prévoit de forer huit nouveaux puits afin de « pour atteindre des réserves de pétrole jusqu’alors inexploitées « Le projet a été lancé en 2011 sur le site de Cazaux, sur la commune de La Teste-de-Buch, près d’Arcachon. En novembre dernier, le projet avait reçu un avis favorable à l’issue d’une enquête publique. Le préfet de la Gironde, qui doit prendre un arrêté d’autorisation ou de refus du projet, n’a toutefois pas encore pris de décision, même si une publication était attendue au printemps dernier. Les associations environnementales espèrent que le prochain gouvernement Barnier s’opposera aux projets de ces derniers aventuriers de l’or noir en France.

 
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