News Day FR

enseignants à l’école de la débrouillardise

” JEinclusion. » Le mot, pour les parents comme pour les enseignants, résonne souvent comme un cri : souffrance, maltraitance, épuisement, rejet, décrochage scolaire… Les milliers d’enfants présentant un handicap ou une particularité nécessitant d’être accompagnés à l’école ou de suivre un enseignement spécialisé – environ 432 000 en 2023 – suivent rarement un parcours stable et linéaire dans leurs apprentissages.

Point du soir

Tous les soirs à partir de 18h

Recevez des informations analysées et décryptées par la rédaction du Point.

Merci !
Votre inscription a bien été prise en compte avec l’adresse email :

Pour découvrir toutes nos autres newsletters, rendez-vous ici : MonCompte

En vous inscrivant, vous acceptez nos conditions d’utilisation et notre politique de confidentialité.

Et les enseignants chargés de les encadrer à l’école sont rarement en mesure de le faire correctement. Depuis l’hiver dernier, les réseaux sociaux sont devenus le réceptacle d’enseignants à bout de souffle, racontant leur quotidien aux côtés de ces enfants. Manque d’éducateurs aux élèves en situation de handicap (AESH), manque de formation… Tous sont porteurs d’un mal-être profond, faisant écho à celui des parents.

«Il faut les stimuler»

Dans une petite école de campagne du Val de Loire, il faut franchir la porte d’une classe de maternelle pour ressentir ce moment particulier du début des apprentissages, sociaux et scolaires, pour ces enfants qui ont entre 3 et 4 ans. Parmi les vingt-sept enfants, trois sont à l’écart. L’un dans le couloir, à regarder les sacs à dos accrochés aux crochets avec les manteaux des élèves. L’autre déambule dans la classe. La dernière va s’asseoir près de la fenêtre, une longue couverture sur la tête.
À LIRE AUSSI École – Les échecs de l’inclusion

L’institutrice s’adresse à la classe, interrompt la discussion pour interpeller l’un des trois petits dispersés. L’Atsem (agent territorial spécialisé dans les écoles maternelles) rattrape l’un, cherche l’autre et finit par fermer la porte pour éviter qu’ils ne partent à l’improviste. Jérémy, Anna et Marco n’ont personne pour les accompagner en classe. Leurs parents ne peuvent pas les garder à la maison et les déposer à l’école tous les matins. Ils restent alors à la garderie du soir. L’institutrice a compris, dès la rentrée, que quelque chose n’allait pas.

Anna parle sa propre langue, Jeremy hurle quand le volume sonore dans la classe est trop élevé et Marco fait des crises de colère difficiles à contrôler. « Le premier jour de la rentrée, nous avons trouvé la petite fille assise sur le rebord de la fenêtre, les pieds en l’air. J’ai demandé des cadenas pour les fenêtres, ils ont mis un mois à arriver », raconte l’enseignante. Un mois de tension pendant lequel l’enseignante et les Atsem ont été extrêmement vigilants pour éviter un drame.

La matinée avance, les enfants vont à une séance de motricité. Leurs trois copains suivent un rythme différent, et jouent chacun de leur côté sur les structures en bois. « Depuis le début de l’année, beaucoup de progrès ont été réalisés : la violence de Marco s’est calmée, il griffe moins les autres, il a noué un lien avec nous deux. Le petit aussi. Mais ils ont besoin d’être stimulés et nous n’avons pas la possibilité de nous en occuper… » constate Marie-Brigitte, l’Atsem.

Les enfants se rassemblent pour aller à la cantine. Seul le petit Jérémy rentre à la maison. « Nous avons réussi à convaincre sa mère de venir l’emmener déjeuner, il ne supporte pas la cantine. Mais elle a du mal à comprendre l’enjeu pour son fils », explique l’institutrice.

« Je me suis entraînée »

« C’est souvent dans les premières années que les problèmes de comportement et les particularités sont détectés ; mais c’est une période difficile pour les parents, ils doivent accepter de faire le deuil de l’enfant parfait », explique le Dr.l Lucquiaud, pédopsychiatre. Et surtout, commencez à vous demander ce qui peut faire progresser un enfant à besoins particuliers. Un seul mot clé : adapter l’environnement. Une bonne prise en charge précoce peut tout changer pour ces enfants.

L’équipe pédagogique s’adapte, justement, à ces enfants sur lesquels aucun diagnostic n’a encore été posé. « Je me suis formée, j’ai regardé des vidéos, j’ai fait appel à ce que propose l’Éducation nationale, comme l’enseignante ressource mise à disposition dans chaque académie, j’ai aussi contacté des associations », explique l’enseignante.

Pendant sa pause déjeuner, elle attend deux membres d’Emas 37, une équipe mobile apportant un soutien médical et social à la scolarité des enfants en situation de handicap. L’entretien se déroule dans la salle de classe. Assises sur de petites chaises, les trois femmes discutent de pictogrammes, de rencontres avec les parents, mais aussi de soutien affectif, de burn-out et d’arrêts maladie. En janvier, l’enseignante trentenaire a craqué : elle a pris une semaine de congés pour se remettre d’un début d’année chaotique.

« Cela devient très difficile »

Avec les parents, il est difficile d’établir un dialogue sur les difficultés de leurs enfants. Dans ce coin reculé de la campagne, les difficultés sociales s’accumulent pour des familles souvent dépassées et démunies face à leur progéniture qui nécessite un soutien solide. « Selon le milieu dans lequel on naît, on n’a clairement pas les mêmes chances quand on est autiste par exemple : il faut faire des tests, être suivi en orthophonie, en psychologie, en motricité… Autant de spécialités qui ne sont pas toutes prises en charge, alors qu’elles sont accessibles », explique le Dr.l Lucquiaud

Pendant que la maîtresse discute, les petits vont à la cantine, et Jeremy rentre chez lui avec sa mère, une toute jeune femme qui prend son fils dans ses bras avec le sourire, et accepte de venir le chercher à la demande de l’école. Pour elle, le petit est juste timide.

Après le déjeuner, elle reprendra son travail de caissière dans un supermarché, et ramènera l’enfant en classe. Le père travaille dans un entrepôt. « On ne sait même pas si le petit est suivi par un pédiatre. Je suis dans l’Éducation nationale depuis presque vingt ans, et je vois de plus en plus d’enfants avec des particularités, avec des troubles probablement liés aux écrans, ça devient très difficile », explique le directeur de l’école.

Manque de ressources

Pour le Dl Lucquiaud, l’inclusion est essentielle mais l’Éducation nationale, faute de moyens alloués, ne propose pas de dispositif adapté aux enfants. Les enseignants ne sont pas formés. Quant aux AESH, ils ne reçoivent qu’une soixantaine d’heures de formation, et exercent souvent ce métier précaire par défaut.

La difficulté de déterminer rapidement le trouble dont souffre un jeune enfant est également problématique. « En France, la psychiatrie est en retard sur l’autisme, on a un énorme retard de diagnostic et donc d’inclusion », déplore le praticien. Un système à bout de souffle qui crée de la distance entre le corps enseignant et les parents.

Le dialogue est complètement rompu avec ceux de la petite Anna. Pour eux, l’école met les enfants dans des cases, et refuse ceux qui n’y rentrent pas. « Quand, après plusieurs rencontres avec les parents et les représentants de l’académie, rien n’est entrepris pour, au moins, établir un diagnostic, la seule solution qui s’offre à nous est de signaler l’information inquiétante aux services sociaux. Nous faisons tout pour éviter d’en arriver là », explique la directrice.

Les parents de la petite Abigaël ont décidé de changer d’école pour leur enfant : après trois incidents avec Marco, la petite a développé une phobie scolaire, et pleure tous les matins avant d’aller à l’école. Sa mère, clerc de notaire, est bien consciente de la situation.

« Je ne blâme pas ce petit garçon, je sais que plusieurs facteurs doivent être pris en compte dans la situation sociale et médicale. Mais ma fille a été maltraitée trois fois, en classe et à la garderie : les éducateurs ne sont pas formés, ce sont des jeunes sans expérience qui sont chargés d’encadrer les enfants. Cela se passe très mal. En classe, l’institutrice et l’Atsem font ce qu’ils peuvent, mais ce n’est visiblement pas suffisant. »

Un soutien efficace

Ailleurs dans le département, une petite école comme on n’en fait plus : une cour vitrée, des patères blanches alignées le long du mur, une glycine qui court le long de la porte. A Beaulieu-lès-Loches (Indre-et-Loire), l’école élémentaire du village compte deux classes ordinaires à double niveau et, entre les deux, une classe un peu spéciale de douze élèves.

L’Institut Médico-Educatif voisin (IME) forme ici les élèves avec une enseignante et deux éducateurs. Presque rien ne différencie cette classe des autres : pictogrammes, ballons de gymnastique, chaises hautes… tout est adapté à l’apprentissage de ces différents enfants.
À LIRE AUSSI Petit guide pour les parents et proches d’enfants autistes

Troubles du développement, autisme sévère, maladie génétique : chacun a sa manière d’être et d’apprendre dans ces moments de classe, puis dans ceux partagés avec les autres enfants. Trois adultes pour douze enfants entre 9 et 11 ans, c’est suffisant mais pas trop pour les accompagner.

« Symboliquement, c’est important qu’on vienne à l’école, explique Jonathan, éducateur spécialisé depuis dix ans. On commence doucement avec un horaire flexible, pour des enfants qui ne seraient pas adaptés au milieu ordinaire. » L’enseignante enchaîne les exercices à un rythme soutenu, en passant de table en table. L’ambiance est plutôt calme, les enfants sont concentrés en début de journée.

La misère sociale

« Je suis arrivée ici par hasard, je suis diplômée depuis seulement trois ans. Nous avons une formation courte sur ce type d’enseignement et je ne connaissais pas le monde du handicap », raconte l’enseignante, pas encore trentenaire. « J’ai découvert des enfants fantastiques à bien des égards, mais aussi une misère sociale à laquelle je ne m’attendais pas. »

Dans la classe de douze enfants de l’IME, quatre sont en ASE (Aide sociale à l’enfance) et vivent en famille d’accueil. Une corrélation entre pauvreté et handicap qui ne surprend pas les Dl Lucquiaud : « Les différents handicaps dont souffrent ces enfants peuvent être génétiques, et de fait, ils sont placés en famille d’accueil parce que leurs parents ne peuvent pas s’occuper d’eux : c’est une double peine. »

Diego, 11 ans, au regard bleu intense, scrute le nouveau venu dans la classe, le regarde d’un air interrogateur, esquive un pas dans sa direction ; il ne s’approchera pas beaucoup plus près. « C’est sa troisième famille d’accueil depuis sa naissance », explique Jonathan.

« On garde même les mauvais AESH »

« L’inclusion est un rêve quand elle est possible, comme dans cette classe externalisée par exemple où les enfants partagent du temps avec des élèves ordinaires. Mais c’est trop rarement le cas dans notre pays qui a affirmé, en 2005, le droit à l’école sans en mesurer les conséquences », poursuit le pédopsychiatre.

Depuis la rentrée 2022, 436 000 enfants en situation de handicap sont scolarisés chaque année en milieu ordinaire avec accompagnement. Ce chiffre, en constante augmentation, fait écho à un rapport publié par le Sénat en mai 2023, qui dresse un bilan sévère du métier d’AESH. Ils sont plus de 125 000, presque exclusivement des femmes, à exercer ce métier précaire et mal rémunéré, qui ne nécessite qu’une soixantaine d’heures de formation. Deuxième métier de l’Éducation nationale, elles sont souvent décrites comme le pilier de l’inclusion.

À LIRE AUSSI Handicap : l’enjeu est d’aller au-delà de « la promesse politique » A la MDPH, la maison départementale des personnes handicapées, qui notifie les aides et octroie des temps d’accompagnement scolaire, le personnel est aussi à bout de souffle. « On jongle avec un système qui craque : pas assez d’AESH, et même les mauvaises sont gardées… Je reçois des centaines d’appels de parents à cran, je les transmets à l’inspecteur d’académie. Il faut faire le siège des institutions si on veut obtenir quelque chose », raconte cette employée qui souhaite garder l’anonymat.

« J’ai plusieurs cas d’AESH que nous aurions dû licencier pour mauvaise conduite, mais nous ne l’avons pas fait, car nous avons du mal à recruter. Je peux vous parler d’écoles dans la région où des élèves sont déscolarisés à cause du manque d’accompagnateurs », poursuit l’employée. « C’est terrible pour les parents, mais les enseignants sont épuisés et les directeurs d’école n’ont d’autre choix que de les exclure. »

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

Related News :