La brutalité de la nouvelle a stupéfié ses proches, ses amis, ses collègues : Alain Pothet est décédé hier alors qu’il suivait une formation dans un collège REP+ parisien.
D’abord enseignant SVT pendant vingt ans dans des quartiers plutôt privilégiés, il a construit son métier d’enseignant en abordant, comme beaucoup d’entre nous, la question de l’enseignement et de la transmission des savoirs. Mais il ressent l’envie de jouer collectivement et s’associe à une équipe de l’INRP (aujourd’hui IFE), ACCES (Mise à jour continue des connaissances des professeurs de sciences). Il contribue au développement de ressources pédagogiques et scientifiques à destination des enseignants de SVT.
À ce moment-là “ Où je‘n’avait aucune conscience de ce qui se passait dans l’éducation prioritaire “, il se trouve que ” naïf » en arrivant à sa demande d’éducation prioritaire. Mais il sera profondément transformé par cette expérience, dans sa personne et dans sa représentation du Monde. Il découvre l’engagement personnel auprès des familles les plus éloignées de l’École, notamment auprès d’ATD Quart-Monde dont il devient un « allié » en participant à ses Universités populaires, mais aussi à la « traversée des savoirs » ou, plus récemment, à la Recherche action CIPES qui s’intéresse à l’orientation des enfants issus de familles pauvres. Il prend conscience d’un immense défi pour le système éducatif, mais aussi pour la société dans son ensemble. Il a vu la sensation d’être « aligné avec soi-même »malgré toutes les épreuves de la vie personnelle et professionnelle, de gagner en cohérence et en empathie, tout en « méfiez-vous du pathos ou de la compassion qui ne seraient pas les bienvenus.
« Un inspecteur facilite, soutient, entretient les grandes valeurs de l’École, inspire, incarne, soutient, évalue, contrôle, construit sur qui nous sommes ». Il tentera, parfois à contre-courant, d’incarner toutes les dimensions de cette façon de vivre son nouveau métier d’inspecteur. L’idée de construire des espaces pour que chaque mot soit « égalité de dignité » structurera ses missions lorsqu’il deviendra IA-IPR en charge de la mission « Éducation prioritaire » de l’académie de Créteil. « Quelle que soit la prescription, quelles que soient les circulaires, il faut se confronter à la réalité des différents contextes, et surtout connaître cette réalité, comprendre comment les acteurs de terrain traitent cette prescription, pour agir malgré tout sans dénaturer la réalité. C’est la philosophie avec laquelle nous travaillons. »
Au sein du CAREP de l’académie de Créteil (Centre de ressources pour l’éducation prioritaire), il a construit l’Observatoire de l’éducation prioritaire en 2015 avec son équipe.
Son objectif ? Nourrir l’observation des pratiques d’Éducation prioritaire, en cohérence avec les priorités de la Refondation lancée par le ministère en 2013, sur les thématiques les plus variées : pensée et esprit critique, travail personnel de l’élève, place de l’éducation artistique et culturelle, production écrite, pratique orale, lieu d’EPS…
Il anime également le groupe de formateurs « Éducation prioritaire » à Créteil, organise leur temps collectif et leur formation, rend possible la construction d’espaces de travail enseignants/formateurs, aussi bien dans l’enseignement primaire que secondaire, et mène une réflexion collective autour de la cogestion des réseaux. pour accompagner au mieux le travail en classe.
Il permet d’importants travaux de recherche sur les collaborations interprofessionnelles en éducation prioritaire, en réunissant pilotes, formateurs, coordinateurs, enseignants, en essayant de construire les conditions d’accompagnement des équipes d’établissement ou de quartier qui le souhaitent.
Afin de montrer l’engagement et l’ambition des professionnels de l’Éducation prioritaire, il a initié « Carnet d’inspiration », une production documentaire qui dresse une galerie de portraits des acteurs des territoires les plus difficiles de l’académie, pour montrer tout leur engagement, donner l’espace nécessaire aux étudiants et à leurs familles.
« Faire de la pédagogie, c’est faire de la politique »il expliquait souvent : « en revendiquant le choix de la coopération, de la collaboration, la compréhension des obstacles qui se présentent sur le chemin de l’apprentissage, nous dessinons une certaine vision du rôle d’une institution comme l’École ». C’est ce qu’il porte aussi dans son engagement syndical, sans craindre de dire la vérité en période de rhétorique.
La mixité sociale était aussi un de ses combats. Il s’en charge lorsque son ami Olivier Klein lui propose de rejoindre le cabinet du ministre de la Ville. Il balaie ses doutes pour oser le défi, malgré les dilemmes, durant les quelques mois que durera sa présence au ministère, avant de redevenir IA-IPR en charge de l’Éducation prioritaire à Paris.
Mais cet hommage ne serait pas honnête s’il ne faisait que louer l’engagement d’un homme. Parce que j’ai souvent eu l’occasion d’entendre ses doutes et ses douleurs, je sais à quel point il pouvait être en colère contre les errements d’une institution à double standard, contre les petits arrangements qui ménagent les pouvoirs et les vanités des puissants, dans le face au renoncement face à ce qui semble être une fatalité, face à la remise en cause de ses propres valeurs. Je sais à quel point les obstacles, les inquiétudes, les découragements ne pourraient, pour lui comme pour beaucoup d’entre nous, être tenables que par la force des liens qui nous unissent, que ce soit dans les fraternités d’amitié ou dans la douceur de l’intimité.
Si vous avez lu ces lignes jusqu’ici et que vous souhaitez lui rendre hommage, ne l’oubliez pas.
Aurélia Truong-Quang et Patrick Picard
Son portrait dans Carnet d’inspiration, d’où sont issues les citations de cet hommage
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