Les sénateurs examinent à partir de 16 heures, lundi 12 juin, un projet de loi relatif à la reconnaissance biométrique dans l’espace public. S’ils disent, avec ce texte, ” posé[r]interdictions et défini[r] principes relatifs à l’utilisation de ces technologies » pour “faire obstruction à une société de surveillance”les parlementaires ouvrent également la voie à un champ d’expérimentation sans précédent pour des technologies controversées, comme la reconnaissance faciale.
Que dit la loi aujourd’hui ?
On parle généralement de reconnaissance biométrique pour parler des différentes technologies utilisées pour identifier une personne en fonction de ses caractéristiques physiques ou biologiques. Les empreintes digitales ou la reconnaissance faciale à partir d’une photographie ou d’une vidéo en font partie.
Considérées comme sensibles par le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD), les données biométriques font l’objet d’une attention juridique accrue. Elles ne peuvent être traitées qu’avec le consentement des personnes concernées ou “sur la base d’un intérêt public important”, comme le rappellent la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) et un récent rapport du Sénat. La reconnaissance faciale sans le consentement de la personne concernée, par exemple, est donc en principe interdite et son utilisation doit être autorisée par une loi ou un décret.
Quels changements ce nouveau texte propose-t-il ?
Le texte présenté au Sénat vise à créer un cadre juridique pour l’expérimentation, pendant trois ans, de la reconnaissance biométrique par les enquêteurs judiciaires et les services de renseignement. Cette période d’essai devrait donner lieu à un rapport gouvernemental évoquant la possibilité de pérenniser ou non ces usages.
Le texte distingue l’utilisation de la reconnaissance biométrique a posteriori, c’est-à-dire, dans le cas de la reconnaissance faciale, sur des images collectées puis traitées, et la reconnaissance biométrique en temps réel, plus sensible. L’usage de ces derniers sera limité, pour les services de renseignement, à la lutte contre le terrorisme. Quant aux enquêteurs judiciaires, ils pourront y recourir pour les mêmes motifs ainsi que pour des affaires d’enlèvement d’enfant ou pour identifier des suspects dans des affaires de délit particulièrement grave. Dans ces deux cas, les autorisations délivrées – soit par le Premier ministre, soit par le procureur ou le juge d’instruction – ne seront valables que 48 heures.
Quant aux traitements biométriques a posteriori, ils devraient être autorisés dans le cadre d’enquêtes judiciaires pour terrorisme et faits graves, sur la base des images et données déjà présentes dans le dossier d’enquête, et ce avec l’autorisation du procureur. ou le juge d’instruction. Les services de renseignement pourront utiliser la reconnaissance faciale sur les enregistrements de vidéosurveillance pour retrouver un suspect en fuite dans une affaire de terrorisme, en demandant des autorisations d’un mois. Cette technique peut également être utilisée pour identifier les personnes autour du suspect si nécessaire.
Qui a initié cette loi et à quelles fins ?
Le projet de loi, qui émane du Sénat, est porté par Marc-Philippe Daubresse (Les Républicains, LR) et Arnaud de Belenet (Alliance centriste), deux élus qui avaient déjà déposé un rapport d’information sur le sujet, adopté à l’unanimité en commission le 10 mai 2022. A l’époque, comme le rappelle le site du Sénat, ils notaient « un manque de cadre juridique précis et de réflexion éthique collective ».
Pour ses défenseurs, le texte présenté lundi vise donc à remédier à ces lacunes et “faire obstruction à une société de surveillance”. “Paradoxalement, ces usages, bien que marginaux, soulèvent de nombreuses oppositions alors que la reconnaissance biométrique se banalise dans la vie de tous les jours avec une multiplication des usages individuels”, est-il défendu dans l’argumentaire qui accompagne le projet de loi. Le rapporteur du texte, le sénateur Philippe Bas (LR), a également fait valoir en commission des lois qu’une “régime d’interdiction absolue” la reconnaissance faciale « serait en vain ».
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En plus de réguler un système et un marché “qui risque de nous échapper”soutiennent les sénateurs, la loi prévoit « d’accorder aux pouvoirs publics l’autorisation exceptionnelle d’utiliser des technologies certes intrusives, mais qui ne peuvent, dans le cadre de l’organisation prochaine des Jeux Olympiques et Paralympiques par notre pays, être laissées au bon vouloir d’acteurs commerciaux ».
Quel est le lien avec l’expérimentation prévue pour les Jeux Olympiques ?
Promulguée en mai, la loi relative à l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) 2024 permet également des expérimentations à grande échelle. Les outils concernés sont cependant différents puisqu’il s’agit cette fois de la vidéosurveillance algorithmique (VSA), également appelée vidéosurveillance « intelligente », c’est-à-dire des dispositifs qui, grâce à des algorithmes couplés à des images vidéo, permettent de détecter des comportements jugés suspects, des mouvements de foule ou la présence de personnes dans une zone interdite. L’État doit lancer un appel d’offres public pour déterminer quels outils développés par des entreprises privées seront utilisés.
En théorie, la « loi JOP » ne concerne donc ni les données biométriques en général, ni la reconnaissance faciale en particulier. C’est pourquoi le sénateur Marc-Philippe Daubresse avait également déposé un amendement, en le mentionnant en commission des lois, avant de finalement le retirer. Pourtant, lors des débats, certains élus ont estimé que l’analyse des comportements et des déplacements des personnes correspondait déjà au traitement des données biométriques. « L’algorithme va permettre de reconnaître les gens, sans forcément les identifier. Reconnaître signifie fournir une description suffisamment détaillée pour permettre aux agents sur le terrain de localiser une personne »soulignait à l’époque l’élue Europe Ecologie-Les Verts (EELV) Lisa Belluco.
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La reconnaissance biométrique est-elle déjà utilisée en France ?
Dès 2019, la CNIL constatait que la reconnaissance faciale à des fins d’authentification était déjà utilisée, notamment dans les systèmes de contrôle aux frontières (Parafe) et dans les outils d’identité en ligne (Alicem).
En février de la même année, la ville de Nice, friande de vidéosurveillance, expérimente la technologie de reconnaissance faciale lors de son carnaval en testant plusieurs scénarios fictifs, comme l’identification de personnes en fuite ou dangereuses dans une foule. Dans son rapport, consulté à l’époque par La Croixla municipalité s’est dite très satisfaite des résultats de cette expérimentation.
Par ailleurs, le code de procédure pénale permet l’inscription de photographies au fichier d’infor- mation des antécédents judiciaires (TAJ) “permettre l’utilisation d’un appareil de reconnaissance faciale”. Ce texte, vivement critiqué, avait alors été attaqué par l’association de défense des libertés en ligne La Quadrature du Net mais validé en 2022 par le Conseil d’Etat.
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Qui s’oppose à la surveillance algorithmique et biométrique ?
Lors des débats autour de la « loi JOP », plusieurs organisations de défense des droits et libertés, comme Amnesty International, Human Rights Watch ou La Quadrature de Net, se sont inquiétées du précédent créé par cette loi en matière de surveillance, qu’elles considèrent “injustifié et disproportionné dans l’espace public”. Une pétition lancée auprès des élus contre les deux articles de la loi qui autorisait les expérimentations de surveillance “intelligente” en février a recueilli de nombreux signataires parmi EELV et la Nouvelle Union populaire écologique et sociale.
Le projet de loi qui arrive au Sénat lundi n’a pas encore spécifiquement déclenché un tel mouvement d’opposition. Son examen intervient en tout cas quelques jours seulement avant l’adoption en session plénière au Parlement européen d’une législation sur l’intelligence artificielle (“AI Act”). Le texte, qui vient border et interdire un certain nombre de pratiques en matière de surveillance biométrique, devra être pris en compte par les législateurs français.
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