jeudi 23 janvier 2025
Baptiste Royer
Dans sa série « Le jour où », Studforlife recueille les témoignages des acteurs du saut d’obstacles mondial. Qu’ils soient palefreniers, cavaliers, éleveurs ou propriétaires, chacun a vécu des journées mémorables, pour le meilleur ou pour le pire. Quelles émotions ont-ils vécues ? Comment ont-ils rebondi après un échec ? Comment ont-ils abordé une nouvelle gloire, la retraite du cheval de leur vie ? Des éléments de réponses à travers des souvenirs inoubliables.
Né le 24 décembre 1948 dans la commune de Corbelin, en Isère, Michel Robert possède l’un des plus beaux palmarès du saut d’obstacles français. Champion du monde par équipe à Dublin en 1982, double médaillé de bronze aux Jeux Olympiques et vainqueur de nombreux Grands Prix internationaux, le cavalier de soixante-seize ans est avant tout un véritable passionné, toujours animé d’une totale fascination pour le cheval, et une envie permanente de progression. Pour La vie du harasle champion de France revient sur quelques moments clés de sa riche carrière.
Le cheval, une évidence
“Mon père était médecin et il faisait ses visites à cheval. Il était passionné et nous avions des chevaux à la maison. Il y avait toujours un flux d’énergie entre les chevaux, mon père et moi. Je me souviens d’une photo sur laquelle je devais avoir deux ou trois ans. Je me tenais devant un cheval dans le pré et je le regardais avec fascination. Cela a toujours été naturel pour moi, je ne me suis jamais posé de questions sur ce que j’allais faire dans la vie.
Très jeune, Michel Robert débute l’équitation avec ses parents… à dos de mouton, avant de rapidement prendre de la hauteur. «Dès que j’ai pu poser mes fesses sur un cheval, j’ai commencé à monter à cheval. Je devais avoir douze ans quand mon frère (Jacques Robert, ndlr) m’a forcé à mettre une selle, parce que je roulais toujours à cru. Il m’a dit : « tu dois réussir tes examens d’équitation, et pour cela, tu dois monter avec une selle ». Je me suis dit ok, c’est parti, on met une selle !
Michel Robert a fait ses premiers pas à dos de… mouton ! © Collection privée
C’est à cette période, au début de son adolescence, que Michel Robert débute la compétition. Dressage, saut d’obstacles, ou encore concours complet, le jeune fait tout, mais se démarque dans la dernière de ces trois disciplines. “Je gagnais pas mal d’argent en région Rhône-Alpes. Une fois mon brevet d’instructeur obtenu, à l’âge de dix-neuf ans, j’ai commencé à travailler pour un cavalier pratiquant à la fois le saut d’obstacles et le concours complet. Il s’appelait Jean Sarrazin.» Lorsque ce dernier décède dans un accident de voiture, Michel Robert récupère son pieu de cheval, et se distingue rapidement sur les terrains de compétition. Champion de France de concours complet en 1970, il vit sa première aventure olympique à Munich en 1972, où il termine meilleur Français.
1982 : l’exploit tricolore à Dublin
Après sa première expérience olympique, l’Isérois décide d’arrêter le concours complet, et «se concentrer sur le saut d’obstacles à temps plein». C’est dix ans plus tard, lors des championnats du monde de Dublin, qu’il connaît son premier grand succès. Doyen d’une toute jeune équipe de France, Michel Robert, trente-trois ans, est loin d’imaginer qu’il quittera la capitale irlandaise avec deux médailles au cou.
“J’ai abordé ces championnats du monde un peu comme la dernière roue du carrosse. J’étais associé à Frédéric Cottier et Flambeau C, Gilles Bertran de Balanda et Galoubet A, mais aussi Patrick Caron et Éole IV, qui étaient déjà des piliers de l’équipe de France. Je participais déjà à des Grands Prix internationaux avec Idéal de la Haye, mais sans grands résultats…» Loin d’être favoris dans la compétition par équipes, les Français, emmenés par Marcel Rozier, ont défié tous les pronostics et remporté l’or, devant l’Allemagne de l’Ouest et la Grande-Bretagne. Il y avait une très bonne ambiance au sein de l’équipe. Marcel Rozier, qui était un très bon chef d’équipe, a su nous motiver. Nous étions tellement inférieurs à certaines autres nations en termes de résultats qu’il a fallu garder la foi, et je pense que Marcel nous a beaucoup aidé. Et puis, c’est vrai que nous étions quatre amis du même âge, du même calibre… À l’époque, c’était un peu comme aller sur la Lune. C’était un exploit…»
Les championnats du monde de Dublin en 1982 ont particulièrement marqué Michel Robert. © Bob Langrish
Qualifié pour la finale individuelle, Michel Robert n’a pas eu le temps de célébrer le triomphe collectif, et s’est replongé rapidement dans sa compétition. “J’étais vraiment en route. J’ai été assez enthousiasmé par cette médaille d’or, et cela m’a donné encore plus de confiance pour la finale tournante. En tant que cavalière toujours à la recherche d’autres expériences, j’ai pu monter trois chevaux totalement différents, ce qui a été une expérience formidable. Cela m’a aussi prouvé que j’étais capable de monter n’importe quel cheval. Médaillé de bronze à l’issue de cette ultime épreuve, le jeune champion repart de Dublin alourdi par deux belles médailles, mais libéré du poids du doute.
Les Jeux Olympiques, une parenthèse enchantée
Durant l’été 1988, Michel Robert renoue avec l’aventure olympique. Associé La Fayette, il complète une équipe française composée de Pierre Durand et Jappeloup, Frédéric Cottier et Flambeau C, ainsi que Hubert Bourdy et Morgat. Quatre ans après la désillusion des Jeux de Los Angeles, cette équipe de France tient bon à Séoul, et décroche le bronze par équipe. Durant deux semaines, Michel Robert et ses coéquipiers sont arrachés au monde des sports équestres, et plongés dans l’ambiance unique des Jeux Olympiques.
-Avec La Fayette, le Français vit de belles aventures sportives. © Jan Gyllensten
“Les grands moments sont la cérémonie d’ouverture et la cérémonie de clôture. C’est très impressionnant, il y a un monde extraordinaire, et tous les pays sont unis. Nous sommes tous en survêtement, qu’ils soient les grands champions ou les figurants dans certains sports, tout le monde est mélangé, partageant la même joie, et je pense qu’il n’y a pas d’autres endroits au monde où l’on peut retrouver ce genre d’ambiance. On se côtoie tous, on bouge, on chante tous ensemble dans ce stade. C’est le monde idéal, avec cet esprit sportif. Et puis il y a le village olympique, où l’on échange des épinglettes avec les drapeaux de chaque pays avec d’autres athlètes. Nous avons pris contact avec des basketteurs qui mesuraient 2,20 m… C’est ça, l’ambiance de non-compétition qu’on ne retrouve nulle part ailleurs. C’est vraiment différent des autres grands championnats.»
Si le coureur tricolore avoue ne pas avoir fait des Jeux Olympiques l’objectif ultime de sa carrière, ses résultats réguliers au plus haut niveau l’amèneront à enfiler une troisième fois la tunique tricolore aux Jeux de Barcelone en 1992. Aux côtés d’Éric Navet, Hervé Godignon , et Hubert Bourdy, associé à Quito de Baussy, Quidam de Revel et Razzia du Poncel, Michel Robert a remporté le bronze pour la deuxième fois par équipe, sur Nonix. Une preuve supplémentaire de la régularité du coureur isérois, qui cumule pas moins de douze médailles dans les grands championnats au cours de sa carrière.
Sissi de la Lande et Michel Robert, la complicité parfaite
Contrairement à Pierre Durand et son atypique Jappeloup, ou à Frédéric Cottier et son talentueux Flambeau C, Michel Robert est difficile à associer à une monture particulière. Et pour cause, le cavalier a amené des dizaines de chevaux au plus haut niveau international au cours de ses quarante années de carrière. Parmi eux, le Tricolore garde un souvenir particulièrement intense de sa relation avec Sissi de la Lande, une délicate jument bai avec laquelle il a remporté l’argent en individuel aux Jeux équestres mondiaux de La Haye, aux Pays-Bas, en 1994.
“C’est une jument arrivée dans mes écuries par hasard. Elle appartenait à des propriétaires suisses, qui sont partis aux États-Unis et ont laissé la jument en Europe. Elle est arrivée chez moi comme un cheval normal, et elle a progressé avec la cavalière qui montait pour moi à l’époque, jusqu’à atteindre la finale du championnat de France des 7 ans, où elle a terminé deuxième. Il a ensuite été vendu, car j’avais besoin d’argent, et je l’ai récupéré après avoir trouvé un nouveau sponsor. Elle a réussi cinquante-six tours sans faute sur les soixante premiers cours que j’ai complétés avec elle ! Malheureusement, la fin de notre histoire ensemble a été un peu dramatique, puisque son propriétaire me l’a enlevée et l’a vendue à un cavalier irlandais, sans vraiment me le dire. Cette jument était vraiment spéciale, elle était très sensible et délicate. J’avais avec elle une complicité assez rare. Elle a eu un grand impact sur moi. Ce n’était peut-être pas une jument qui avait la qualité d’un Flambeau ou d’un Jappeloup, mais elle m’a beaucoup appris. Elle m’a marqué peut-être plus que les autres, parce qu’elle avait une sensibilité, et qu’il fallait avoir une assez bonne équitation pour pouvoir la monter.»
2013 : l’arc du champion
Le 15 octobre 2013, Michel Robert, soixante-cinq ans, décide de prendre sa retraite du plus haut niveau. “Il y avait peut-être un peu de lassitude. Il faut arriver à rester parmi les trente meilleurs cavaliers mondiaux pour concourir régulièrement au plus haut niveau, je n’avais sans doute pas les chevaux pour le faire à cette époque. Je suis une personne un peu excessive, quand je joue au jeu, je le joue à fond, et cette course au classement m’enlevait ma liberté de vivre. J’ai donc pris la décision d’arrêter le haut niveau, et de continuer à faire quelques compétitions internationales pour mon plaisir. »
Quelques semaines plus tard, un vibrant hommage était rendu au cavalier au parcours unique sur la piste éphémère Equita Lyon, sous les yeux reconnaissants de nombreux acteurs de la filière équestre.
En 2013, Michel Robert dit adieu au sport de haut niveau et est remercié par ses fans lors d’une cérémonie organisée à Lyon. © Scoopdyga
Éloigné des plus belles pistes du monde depuis maintenant plus de dix ans, Michel Robert continue de transmettre son savoir et son expérience aux nouvelles générations de riders. Comme pour Pénélope Leprévost, Julien Gonin ou Olivier Robert par le passé, les conseils du « Professeur » continuent de façonner les futurs champions. “J’aime beaucoup partager avec mes élèves. Constater les progrès de mes chevaux ou de mes élèves est le plus beau compliment qu’on puisse me faire.
L’amour des chevaux comme moteur, et la recherche de progression comme valeur fondamentale, Michel Robert a laissé une marque indélébile dans l’histoire de son sport. Une histoire dont il n’a pas perdu le fil, lui qui en fait désormais partie par d’autres chemins.
Depuis plusieurs années, l’Isérois transmet son savoir et son savoir avec passion. © Scoopdyga
Photo en vedette : Michel Robert. © Scoopdyga