Un article de Sam Rainsy, leader de l’opposition cambodgienne en exil
Le 7 janvier 2025, le monde apprenait avec choc l’assassinat en plein jour de Lim Kimya à Bangkok. Cet opposant politique, ancien député du Parti du salut national ou Parti du sauvetage national du Cambodge (CNRP) arbitrairement dissous par les autorités, connu pour son franc-parler, a été abattu en pleine rue dans des circonstances qui suscitent de nombreuses interrogations. Le modus operandi de cet assassinat est totalement identique à celui qui caractérise les assassinats politiques au Cambodge. Si cette tragédie aurait pu servir de moment de réflexion au gouvernement cambodgien et de catalyseur d’un changement politique, le silence figé de Hun Sen et du gouvernement de Phnom Penh ne fait qu’ajouter à la polémique.
Un crime au cœur des tensions politiques
Lim Kimya était une personnalité connue et souvent très critique à l’égard de Hun Sen et de l’entourage familial du dictateur, qu’il accusait régulièrement de corruption et de violations des droits de l’homme. Pendant des années, il était une voix dissidente dans un Cambodge de plus en plus étouffé par la répression politique et la censure. Alors que la plupart des opposants ou dissidents sont assassinés, emprisonnés ou contraints à l’exil, Lim Kimya reste au Cambodge ou effectue de fréquents voyages entre la France et le Cambodge.
Une fois sur place, il a continué à critiquer ouvertement les agissements de Hun Sen, ceux de ses enfants Hun Manet, Hun Mani et Hun Manith – respectivement Premier ministre, vice-Premier ministre et chef du renseignement – et ceux de son épouse Bun Rany Hun Sen, présidente. de la Croix-Rouge nationale, qu’il a tous accusés de corruption, d’incompétence et de discrimination politique injuste.
L’assassinat de Lim Kimya soulève une question brûlante : était-il une cible en raison de ses positions politiques ? Cette hypothèse semble probable à de nombreux observateurs internationaux, mais l’absence de réponse officielle de Phnom Penh alimente encore davantage les soupçons.
Un silence éloquent du gouvernement cambodgien
Depuis que la nouvelle du meurtre a été annoncée, Hun Sen et le gouvernement dirigé par son fils Hun Manet sont restés silencieux. Aucune déclaration officielle n’a été publiée pour condamner l’attaque, exprimer ses condoléances à la famille de Lim Kimya ou promettre de coopérer avec les autorités thaïlandaises pour résoudre cette affaire. Ce silence est d’autant plus surprenant qu’il contraste fortement avec la rhétorique habituelle de Hun Sen, qui ne manque jamais une occasion d’intervenir personnellement et de s’exprimer en détail sur des sujets d’importance ou d’intérêt très divers. liés à la politique ou à l’opposition.
Pour beaucoup, ce silence est interprété comme une stratégie politique. S’exprimer sur le meurtre de Lim Kimya pourrait ouvrir la voie à des critiques internationales à l’égard de la gestion autoritaire du Cambodge. En évitant tout commentaire, Hun Sen cherche peut-être à minimiser l’importance de l’événement, en espérant qu’il sera rapidement oublié.
Un message « fuité » de Hun Sen à ses agents
Comme pour ajouter à la polémique, un message « fuité » attribué à Hun Sen a été révélé par des sources confidentielles (cela montre que Hun Sen n’a pas que des amis). Dans ce message, une cassette audio datant de septembre 2024, on entend la voix de Hun Sen donnant des ordres directs à ses « groupes de travail » pour éliminer les opposants cambodgiens vivant en Thaïlande. Une cible particulière, un opposant nommé Phan Phana, est désignée : il doit être « renvoyé à tout prix » au Cambodge « mort ou vif ». » Hun Sen aurait également demandé à ses agents, appelés « nos forces », de coopérer avec les « Chemises rouges » (partisans thaïlandais de Thaksin Shinawatra) pour accomplir cette mission, mais pas d’informer ou d’impliquer la police thaïlandaise. Ce message de Hun Sen en khmer peut être écouté ici.
Phan Phana a récemment réussi à fuir la Thaïlande et vit désormais aux États-Unis en tant que réfugié politique. Cependant, les ordres de Hun Sen semblent avoir été appliqués contre une autre cible : l’ancien député d’opposition Lim Kimya, assassiné en plein jour à Bangkok le 7 janvier 2025.
-La situation est compliquée pour Hun Sen, habitué à l’impunité au Cambodge, car la victime Lim Kimya possédait la double nationalité franco-cambodgienne. Ces données ouvrent la voie à l’intervention de la police française pour une enquête approfondie et transparente, et à une plainte devant un tribunal français.
Un précédent devant la justice française
Parmi les multiples assassinats ou tentatives d’assassinat à caractère politique que l’on peut attribuer aux dirigeants actuels du Cambodge, le cas Lim Kimya rappelle mon cas personnel.
En 1997, j’ai fait l’objet d’une tentative d’assassinat à Phnom Penh qui a causé la mort de 16 victimes collatérales. Ayant la nationalité française, j’ai porté plainte devant un tribunal français et, après de longues années d’enquête, un jugement sera prononcé à Paris en mars prochain contre les deux chefs des gardes du corps de Hun Sen : Hing Bun Heang et Huy Piseth. Mais l’attention se portera sur Hun Sen lui-même, car ces deux généraux très proches de Hun Sen n’auraient jamais pris l’initiative de tenter de me tuer sans l’accord de leur chef, c’est-à-dire Hun Sen lui-même qui m’a mis premier sur sa liste noire.
Hun Sen pris dans un piège qu’il a lui-même créé
Le fait que Hun Sen mette de plus en plus de temps à nier l’authenticité du message ci-dessus, potentiellement explosif dans les circonstances actuelles, ne fait qu’aggraver les soupçons à son encontre. Mais on comprend son dilemme : il est difficile de rejeter une preuve dont l’authenticité semble en effet difficile à nier compte tenu des habitudes et méthodes effectivement utilisées par Hun Sen. Il risque de jeter de l’huile sur le feu qui menace de le brûler quoi qu’il dise, apparemment être pris dans un piège qu’il a lui-même créé.
Indignation internationale
Le silence de Phnom Penh a provoqué une vague d’indignation parmi les organisations internationales et les gouvernements étrangers. Human Rights Watch et Amnesty International ont publié des déclarations appelant à une enquête approfondie et transparente. Le gouvernement thaïlandais, sous pression pour répondre à l’opinion publique, a promis de retrouver les responsables, mais sans une coopération claire du Cambodge, ses efforts risquent d’être limités ou biaisés.
Un danger pour les opposants cambodgiens en exil
L’assassinat de Lim Kimya a également envoyé un message effrayant à la diaspora cambodgienne. De nombreux militants, journalistes et défenseurs des droits humains vivent en exil dans des pays comme la Thaïlande, craignant pour leur vie. Cet événement tragique montre que même en dehors des frontières cambodgiennes, les dissidents ne sont pas en sécurité. Beaucoup craignent que ce meurtre ne soit qu’un épisode d’une longue série de violences visant à éliminer ou à étouffer toute opposition politique. Cela montre aussi l’intensification de la répression transnationale commise par toutes les dictatures sous toutes les latitudes.
Sam Rainsy
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