La crise diplomatique entre Paris et Alger pourrait-elle aller jusqu’à rompre certains contrats commerciaux entre les deux pays ? Tout le monde pense évidemment au gaz. Malgré les tensions, les experts interrogés ne le pensent pas, même s’ils restent prudents.
Ces dernières semaines, la presse algérienne a largement relayé l’annonce faite par Engie, en décembre, de céder sa participation minoritaire dans le projet gazier de Touat aux PTT thaïlandaises, s’interrogeant sur la dimension politique de cette décision, même si elle s’inscrit dans la volonté du groupe. stratégie, qui n’est pas nouvelle, pour réduire son exposition aux énergies fossiles.
Quatrième fournisseur de gaz de la France
« En 2023, l’Algérie représentait 13 % des achats de gaz français, dont 10 % via des contrats long terme et 3 % directement sur le marché spot. », souligne Thierry Bros, rappelant que le pays est le quatrième fournisseur de la France, derrière la Norvège, les Etats-Unis et la Russie. Le gaz arrive sous forme de gaz naturel liquéfié (GNL) dans les terminaux méthaniers français, chez Engie et TotalEnergies, qui détient des participations dans les gisements.
Sur le papier, l’Algérie pourrait cesser de vendre du gaz à la France et la France pourrait également l’acheter ailleurs, sans doute à un prix plus élevé. ” Le marché du gaz est aujourd’hui suffisamment flexible et profond pour compenser les arrêts de livraison, même importants, comme on l’a vu avec la Russie. Il y a beaucoup de disponibilité à ÉTATS-UNISau Qatar ou même en Australie », estime Olivier Appert, conseiller énergie à l’Ifri.
En l’espace de deux ans, le gaz de schiste américain a déjà permis de compenser en partie la chute brutale des livraisons de gaz russe via les gazoducs acheminant vers l’Europe. Et sa part pourrait encore croître. En novembre, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, a proposé à Donald Trump d’augmenter les importations de gaz américain en provenance de l’UE, afin de rééquilibrer les échanges. Durant sa campagne, le nouveau président élu a menacé de taxer les importations de produits européens afin de mettre fin aux excédents commerciaux de l’Union européenne vis-à-vis des États-Unis.
Difficile de dénoncer des accords
Mais, en pratique, la suspension des contrats à long terme est assez compliquée et peut surtout entraîner de lourdes sanctions financières. En juin 2024, le tribunal arbitral international, basé à Stockholm, a jugé que l’allemand Uniper était en droit de réclamer des dommages et intérêts, estimés à plusieurs milliards de dollars, au russe Gazprom qui avait suspendu ses livraisons en 2022, au moment de la guerre en Ukraine. , évoquant le « force majeure ».
-La dénonciation unilatérale d’un accord commercial peut aussi nuire, en termes d’image, à celui qui s’engage dans cette voie. ” Ni la France ni l’Algérie n’ont intérêt à le faire. Chacun peut utiliser d’autres moyens de représailles, sans toucher au gaz, qui a toujours été considéré comme un domaine stratégique. », explique Francis Perrin, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).
Le gaz algérien part vers l’Europe centrale
L’Algérie reste également un fournisseur important de l’Union européenne, fournissant environ 15 % de ses besoins. L’année dernière, elle a même battu un record de ventes avec l’Espagne, fournissant 39 % des importations de gaz. Les deux pays sont reliés par le gazoduc Medgaz. En 2022, au lendemain du déclenchement de l’invasion russe de l’Ukraine, l’Algérie a également signé un accord avec l’Italie pour livrer davantage de gaz via le gazoduc Transmed.
« Les pays du sud de l’Europe ont toujours été le débouché traditionnel du gaz algérien, mais depuis la crise ukrainienne, Alger se tourne de plus en plus vers l’Europe centrale. », souligne Francis Perrin, rappelant que l’UE a décidé de se passer totalement du gaz russe en 2027 et qu’elle doit donc trouver de nouveaux partenaires d’ici là. L’année dernière, Sonatrach, qui est l’opérateur public algérien, a signé un premier accord de fourniture avec l’Allemagne, la Croatie et la République tchèque. Le contrat avec la Slovénie a également été renouvelé.
D’importantes réserves de gaz de schiste
Sixième exportateur mondial de gaz, l’Algérie dispose de capacités disponibles pour exporter son gaz, via Transmed et ses unités de liquéfaction, qui ne fonctionnent pas à pleine capacité. L’Algérie vend à l’étranger environ la moitié de sa production, qui a atteint l’année dernière 104 milliards de mètres cubes. ” La production algérienne a beaucoup progressé ces dernières années, mais la priorité du gouvernement est de répondre d’abord aux besoins intérieurs qui augmentent sensiblement. », souligne Francis Perrin.
Pour exporter davantage, le pays compte sur l’exploitation de nouveaux gisements, notamment de gaz de schiste, qui seraient présents en abondance sous terre. L’année dernière, Sonatrach a engagé des discussions avec ExxonMobil et Chevron, deux majors américaines, pour mener des campagnes d’exploration.