Blue Origin n’est plus seulement une société spatiale avec de simples missions suborbitales. Cinq ans après New Sheppard, et avec cinq ans de retard sur son calendrier initial, la nouvelle fusée New Glenn a décollé jeudi 16 janvier de la base de Cap Canaveral en Floride, sur l’ancienne rampe de lancement du lanceur Atlas. Financé en partie par Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon, Blue Origin fait un pas de géant dans l’industrie en rejoignant SpaceX, même s’il reste encore du chemin à parcourir en termes de développement. Malgré cet écart, New Glenn prend à contre-pied le Falcon 9 de son concurrent, avec un lanceur géant aux capacités multiples et aux nombreux secrets.
NG-1 : le premier vol de New Glenn réussit sa mission
Après de multiples reports cette semaine, depuis le 13 janvier, New Glenn a enfin trouvé une fenêtre de tir pour décoller, jeudi 16 janvier à 2 heures du matin heure locale, 8 heures du matin en France. Lundi, lors de sa première fenêtre de tir, Blue Origin a annulé la mission suite à l’accumulation de glace sur une ligne de propulseur. Jeudi, aucun rapport n’avait été fait par l’entreprise, malgré le retard d’une heure dû à un problème de refroidissement des moteurs BE-4, avant le lancement. Une fois le compte à rebours final, New Glenn a pu suivre une trajectoire nominale devant des centaines d’employés rassemblés pour le lancement au siège de Blue Origin à Kent, Washington, ainsi que dans une usine de Cap Canaveral, en Floride.
Une mise en orbite, mais un atterrissage raté du booster principal
Outre un lancement réussi, Blue Origin souhaite réaliser deux autres exploits lors de ce premier vol de New Glenn. La première consiste à mettre le vaisseau spatial en orbite, une réalisation rare pour une entreprise spatiale lors d’un vol inaugural. La seconde, encore plus difficile, consiste à atterrir à nouveau sur la scène principale, sur un bateau au large de l’océan Atlantique. Par souci de discrétion, Blue Origin a choisi d’arrêter sa diffusion en direct (également certainement par manque de ressources vidéo).
Dans les détails du décollage, New Glenn a brûlé son méthane liquide et son oxygène de la scène principale pendant trois minutes, avant que la deuxième étape ne se sépare et prenne le relais, à une altitude de 70 kilomètres. L’étape suivante a duré 10 minutes, durant lesquelles la fusée a pu atteindre une vitesse orbitale de 28 800 km/h, pour livrer sa charge utile, un certain Blue Ring (remorqueur orbital).
Malheureusement, Blue Origin n’a pas pu poser sa scène principale sur le bateau situé au large. “Nous avons en fait perdu le propulseur”, a déclaré Ariane Cornell de l’entreprise aérospatiale. Pour rappel, SpaceX avait dû réaliser 19 lancements avant de réussir le premier atterrissage d’une fusée orbitale, en décembre 2015.
Pourquoi New Glenn devrait-il être envisagé contre SpaceX ?
Blue Origin n’aime pas la communication excessive. Il faut dire que, par rapport à SpaceX, il est difficile de faire mieux, et autant. Son retard dans le développement de New Glenn l’a rendu plus discret, même si son activité dans le tourisme spatial avec New Sheppard lui permet régulièrement de montrer des images exceptionnelles de la Terre, vues par des astronautes amateurs… dont Jeff Bezos lui-même. Cependant, tout s’est accéléré ces derniers mois avec New Glenn et la possibilité pour Blue Origin de l’inaugurer fin 2024. Le délai était trop court, alors qu’on n’a pu assister qu’à un tournage statique le 28 décembre.
Cinq types de gaz pour la propulsion interplanétaire
Pas de quoi calmer les enthousiasmes cependant. Les capacités de New Glenn font que SpaceX ne devrait peut-être pas se méfier de la Chine, mais plutôt d’un vieux rival, qui affiche les mêmes ambitions que lui depuis au moins aussi longtemps. L’entreprise américaine existe depuis 2002 et malgré le développement de New Glenn lancé seulement en 2016, dix ans après le Falcon 9, la fusée affiche de grandes ambitions, et ne doit pas être sous-estimée. Mesurant 100 mètres de haut et 7 mètres de diamètre, New Glenn compte deux étages, voire trois si l’on prend en compte le remorqueur spatial Blue Ring, situé à son sommet. Au total, cinq types de gaz permettent de propulser la fusée : l’oxygène, le méthane, l’hydrogène, l’hydrazine et le xénon, pour deux moteurs ioniques situés sur l’Anneau Bleu.
Pourquoi choisir de travailler avec autant de sources d’énergie différentes ? Blue Origin ne s’en cache pas : sa fusée New Glenn de 1700 tonnes de poussée doit être également capable d’envoyer 45 tonnes de charge utile en orbite basse, ainsi que d’en envoyer 13,6 tonnes en orbite. géostationnaire, et même 7 tonnes vers la Lune. Des capacités bien supérieures à celles du Falcon 9 Block 5, avec une particularité supplémentaire qui n’est pas des moindres : la possibilité de propulser des satellites sur des trajectoires interplanétaires voire interstellaires. Ses missions ciblées seront donc à la fois commerciales, mais aussi auprès de la NASA et de la Défense américaine. Jusqu’à 10 vols sont prévus en 2025, et 24 en 2026. De quoi prendre conscience de l’intérêt et de l’attente autour de la fusée Blue Origin, mais aussi de ses capacités de réutilisation…
Double développement, double réutilisation
Car oui, comme SpaceX et sa fusée Falcon 9 qui ont démocratisé l’envoi de satellites en orbite basse, New Glenn doit être réutilisable, jusqu’à 25 fois avec l’étage principal. Pour ce faire, Blue Origin souhaite que New Glenn corrige un petit défaut des boosters Falcon 9. À son retour dans l’atmosphère, la fusée SpaceX effectue deux remises de gaz, pour ralentir la masse et éviter de s’écraser. . Avec New Glenn, Blue Origin souhaite que sa scène principale entre dans l’atmosphère avec un glissement plus horizontal, afin que la résistance soit plus forte et que le booster n’ait besoin que d’un seul tir. De quoi économiser du carburant, et avoir bien plus pour votre ascension.
L’étage supérieur ne serait pas en reste, alors que le projet « Jarvis », en interne, étudie actuellement la possibilité de ramener cet étage sur Terre. Ce projet est très intéressant, car il montre la culture d’entreprise établie par Jeff Bezos dans le secteur spatial. Pour étudier la question de la réutilisation de l’étage supérieur, l’entreprise a choisi un double développement. Elle a mis en compétition deux de ses équipes, avec pour chacune un objectif différent. La première étudie à proprement parler la possibilité de réutiliser le deuxième étage. En parallèle, la seconde travaille sur une conception très optimisée du sol, pour que sa réutilisation ne soit même plus nécessaire pour maîtriser les coûts. Ainsi, vous ne perdez pas de temps et choisissez la meilleure solution.
Une coiffe de 7 mètres, pour les méga-constellations
De plus, New Glenn dispose d’un plafond de 7 mètres, ce qui n’est pas sans rappeler les ambitions de Blue Origin avec son projet Kuiper. Derrière ce nom, une mégaconstellation, initialement prévue pour concurrencer Starlink de SpaceX et son réseau Internet par satellite. Ces derniers mois, les ambitions semblent différentes, puisque Jeff Bezos parle désormais de suivi par géopositionnement, concurrent du GPS (comme Galileo en Europe). Le projet Kuiper a été annoncé pour la première fois en 2019, avec une première phase qui devrait inclure le placement de pas moins de 3 236 satellites en orbite basse. Deuxièmement, 7774 satellites doivent compléter la constellation.
Avec 45 tonnes de charge utile disponibles en orbite basse, New Glenn sera le véhicule travaillant sur ce projet. Pour rappel, le Falcon 9 de SpaceX ne peut emporter que 22 tonnes, de quoi donner un avantage concurrentiel à Blue Origin, même si SpaceX dispose évidemment d’une longueur d’avance considérable, puisque sa constellation propose le service Internet depuis plus d’un an, et que ses lancements sont ne faiblit pas : en 2024, SpaceX a réalisé 138 lancements. En parallèle du projet Kuiper, le carénage de 7 mètres permettra d’intégrer des charges utiles d’autres clients, comme la NASA avec la mission spatiale ESCAPADE de Rocket Lab vers Mars. Ensuite, la Défense américaine souhaite s’appuyer sur New Glenn, notamment grâce à sa future rampe de lancement en Californie, sur la base de Vandenberg, en ciblant l’orbite polaire.
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