La digitalisation des procédures douanières en Afrique constitue une révolution silencieuse mais décisive pour le développement économique du continent. Les logiciels permettent de faciliter les échanges commerciaux et de limiter la corruption qui gangrène l’import-export africain : un marché prometteur pour la Corée du Sud, notamment dans le contexte du lancement de la Zone de libre-échange continentale africaine.
Cet article fait suite à une publication récente intitulée « La Corée du Sud peut-elle devenir un acteur important en Afrique ? » d’Arnaud Leveau, porte sur l’export vers l’Afrique du modèle de gouvernement numérique sud-coréen à travers son système de dédouanement électronique UNI-PASS. Cette dernière vise à poursuivre et améliorer la modernisation et la facilitation des échanges commerciaux.
La dématérialisation des douanes en Afrique
Le dédouanement fait référence à la procédure de déclaration d’une importation ou d’une exportation de marchandises aux autorités douanières d’un pays tiers. Il s’agit d’un enjeu important car dans de nombreux pays africains, les droits et taxes perçus par les douanes représentent plus de 30% des recettes budgétaires nationales. Pourtant, les pays du continent commercent peu entre eux : le commerce intra-africain ne représente que 15 % des échanges, contre 70 % au sein de l’Union européenne selon un rapport de la Commission économique de l’ONU pour l’Afrique. Par ailleurs, l’Afrique ne représente qu’une très faible part du commerce mondial : seulement environ 3 %.
En outre, de nombreux pays sans littoral dépendent des pays côtiers pour accéder aux marchés régionaux et mondiaux. Il est donc essentiel de rationaliser les corridors de transport et de lever les obstacles aux échanges sur le continent, notamment la lenteur des procédures douanières. Au fil du temps, les formulaires papier ont été progressivement remplacés par des logiciels comme SYDONIA (système douanier automatisé), développé par la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED). SYDONIA est une solution peu coûteuse, largement utilisée dans les pays en développement et souvent accompagnée d’une assistance technique du FMI et de la Banque mondiale.
Ce logiciel, qui modernise les douanes, devrait théoriquement permettre de réduire les délais de procédures et donc de faciliter les échanges internationaux. Le bilan est cependant mitigé car sa mise en place est ralentie par les mauvaises pratiques propres au secteur douanier des pays en développement.
D’une part, la dématérialisation des douanes est complexe et s’effectue dans le temps, en fonction des étapes d’évolution. La première étape du processus consiste à créer un système d’information douanier qui aboutit à la dématérialisation des procédures de base. Mais plusieurs autres étapes doivent ensuite être appliquées : l’informatisation des bons de commande publics liés aux différentes administrations (agriculture, défense, etc.), la mise en place de guichets électroniques, le paiement automatisé des taxes, la gestion des transits, l’interconnexion avec les systèmes d’information des différents acteurs de la supply chain, etc.
En revanche, la douane reste l’un des secteurs les plus corrompus en Afrique, ce qui nuit au bon fonctionnement des activités commerciales. L’informatisation des procédures douanières, qui limite les interactions humaines, pourrait contribuer à réduire ces mauvaises pratiques. Cependant, la mise en œuvre de SYDONIA s’est heurtée à plusieurs difficultés.
Une étude sur la mise en œuvre de SYDONIA aux Maldives a par exemple montré que la mise en œuvre de ce progiciel occidental imposait une logique culturelle étrangère aux coutumes maldiviennes. Une autre enquête souligne que la petite corruption persiste malgré la présence de SYDONIA en raison du clientélisme politique et des normes culturelles (acceptation de faveurs et de cadeaux, par exemple) qui brouillent les frontières entre échanges légitimes et illégitimes. Enfin, une étude qualitative au Cameroun montre la résistance des douaniers à l’introduction du SYDONIA, ce qui souligne l’importance d’adopter une approche sociale prenant davantage en compte les relations socio-économiques de réciprocité et les formes de moralité économique afin de lutter contre les mauvaises pratiques.
Lire la suite : Corruption, brutalité et manque de professionnalisme ? Une enquête menée auprès de la police en Afrique révèle des tendances divergentes
Dans le but de moderniser les douanes en Afrique et de revitaliser le commerce au sein du continent, une zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) a été signée et ratifiée en 2024. Il s’agit du plus grand accord de libre-échange au monde en termes de nombre de signataires (54 ). Cet accord de libre-échange douanier libéralise presque tous les échanges entre les pays participants. Il exige que tous les membres suppriment les droits de douane sur 90 % des marchandises et permet le libre accès aux matières premières, biens et services en Afrique. Cependant, contrairement à une union douanière, cet accord permet à chaque membre d’établir ses propres tarifs douaniers avec les pays extérieurs à la ZLECAf.
Parallèlement, en juillet 2024, la Banque africaine de développement a signé un aide-mémoire avec le Service des douanes coréen (KCS) qui entre en vigueur, initialement jusqu’en 2026, pour mettre en œuvre l’accord douanier de la ZLECAf, ainsi que pour relever le défi de faciliter le commerce africain. Ce partenariat vise à renforcer les capacités douanières, l’assistance technique et le partage d’expertise du système de dédouanement électronique UNI-PASS, déjà mis en œuvre dans plusieurs pays du continent (voir tableau ci-dessous).
UNI-PASS : une solution coréenne qui a le vent en poupe
L’expertise de la Corée du Sud dans le domaine du service public électronique (E-government en anglais) est largement reconnue. Le pays figure notamment en tête du classement GovTech Maturity Index établi par la Banque mondiale, qui mesure la transformation numérique des pays à travers le monde.
Afin d’exporter son expertise dans ce domaine, Séoul commercialise sa solution de dédouanement électronique UNI-PASS à l’international, via CUPIA (Customs UNI-PASS International Agency), une organisation à but non lucratif agréée par la Douane coréenne.
La diplomatie coréenne met en avant la capacité de son logiciel UNI-PASS à faciliter l’intégration technologique et organisationnelle des pays qui l’adoptent. Alors que SYDONIA, pur produit de la CNUCED, est géré par une très petite équipe, et donc souvent promu par le FMI pour les pays en développement, le logiciel UNI-PASS dispose de plus grandes ressources déployées par les douanes Sud-Sud. Coréens. Ce système a également été récompensé par plusieurs prix internationaux, dont celui de l’innovation informatique en 2013, décerné par l’Organisation mondiale des douanes.
De nouvelles perspectives pour la recherche
Peu d’articles universitaires se concentrent sur l’exportation croissante par la Corée du Sud de ce système de dédouanement électronique vers l’Afrique. On peut citer une étude réalisée en 2023 qui analyse, au Cameroun, les facteurs de motivation et de résistance face à la transition du logiciel SYDONIA vers le système coréen UNI-PASS.
Étendre les recherches sur ce système de dédouanement électronique sud-coréen permettrait d’examiner dans quelle mesure il peut contribuer dans les années à venir au succès du projet ZLECAf. Plusieurs pistes peuvent être envisagées :
-
Son impact sur la corruption : comment la mise en œuvre d’UNI-PASS peut-elle réduire davantage les pratiques de corruption dans les administrations douanières africaines ?
-
Son adaptation aux spécificités locales : comment les différences économiques, politiques et sociales entre les pays africains influencent l’adoption et l’efficacité du système UNI-PASS, et d’un plus fort quelles stratégies permettraient de surmonter ces obstacles ?
-
Son application dans les pays enclavés : les défis particuliers rencontrés par ces derniers, qui dépendent des pays côtiers pour leur commerce, et la manière dont UNI-PASS pourrait améliorer l’efficacité des procédures douanières et rationaliser les échanges entre ces régions.
-
Son rôle dans le succès du protocole commercial numérique de la ZLECAf.
Travailler sur ces axes de recherche permettra de mieux comprendre les effets de l’adoption de systèmes de dédouanement en Afrique et, à terme, de mieux adapter et intégrer ces technologies aux réalités locales pour maximiser leur impact sur le développement économique du continent.