Donald Trump annonce ses couleurs : il entend mener les relations internationales de son pays comme il a mené ses affaires. En tant que voyou.
La répétition de ses desseins agressifs contre le Canada, le Panama et le Groenland doit être prise très au sérieux, aussi réaliste soit-elle.
Parce que si une fois est une blague, deux fois est une mauvaise blague et trois fois est une menace.
Et c’est une véritable menace d’invasion qu’a proférée mardi celui qui redeviendra président des Etats-Unis dans deux semaines.
Lors d’une conférence de presse à Mar-a-Lago, il n’a pas exclu le recours à la force pour s’emparer du canal de Panama, Etat souverain, et du Groenland, territoire danois. Quant au Canada, c’est par la force économique qu’il entend l’inclure dans les Etats-Unis, a-t-il dit.
Pendant ce temps, Donald Jr. s’est rendu au Groenland pour une « visite privée ».
Tout cela nécessite une réponse sérieuse de la part d’Ottawa. Nous sommes toujours face à un président qui publie de nouvelles cartes des États-Unis incluant le Canada. Ce n’est plus une blague depuis longtemps. Le premier ministre a écrit sur X que le Canada ne deviendra jamais un État américain. C’est encore timide. On ne gagne jamais contre un intimidateur en utilisant l’apaisement. Mais Justin Trudeau n’a jamais été à l’aise avec les crises et les confrontations. Et Trump profite de son impopularité et de sa démission pour y ajouter quelque chose.
Menacer d’utiliser la puissance militaire pour s’emparer d’un territoire constitue en soi une violation du droit international. Le fondement même de la Charte des Nations Unies est le respect de la souveraineté de ses membres. Les membres, dit la Charte, « s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou au recours à la force, que ce soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un État quelconque ».
Concernant le Groenland, la menace constitue également une violation de l’article premier du Traité de l’Atlantique Nord, puisque les États-Unis et le Danemark sont membres de l’OTAN. Mais la même logique s’applique au Canada, et il est incroyable que le discours le plus fort vienne non pas du premier ministre fédéral, mais de celui de l’Ontario.
Trump s’en fiche évidemment, puisqu’il a déclaré l’été dernier que personne ne sait vraiment ce qu’est l’OTAN…
Cela signifie-t-il que les Marines prendront le contrôle du Groenland cet hiver ?
Cela signifie que l’offre d’achat du territoire est faite sous la menace de la violence armée, ce qui constitue évidemment une violation du droit international.
Cela signifie surtout que la doctrine américaine des relations internationales sous Trump II sera en rupture complète avec ce que nous connaissons depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Trump a été décrit comme un isolationniste : il veut se retirer des accords militaires coûteux et ne plus être le gendarme de la planète. Il veut laisser la Russie faire son travail en Ukraine au lieu d’investir des milliards dans la défense de la souveraineté ukrainienne.
Mais l’isolationnisme n’est peut-être pas la bonne définition. Le concept s’appuie sur d’anciennes catégories de la politique américaine. Quant à l’espace nord-américain, nous sommes plutôt face à un futur président conquérant, agressif, intimidant. Quelque chose qui n’était pas vraiment prévu.
Si Vladimir Poutine reprend les anciennes possessions impériales russes, pourquoi les États-Unis ne feraient-ils pas de même avec le continent nord-américain ?
Écoutez son discours, c’est la version américaine du discours de Poutine sur l’Ukraine, moins la nostalgie patriotique :
« Si vous vous débarrassez de cette ligne artificiellement tracée [la frontière canado-américaine]et vous regardez à quoi ça ressemble, ce serait bien mieux pour la sécurité. Au fond, nous protégeons le Canada. »
Trump a évoqué le mois dernier les « 100 milliards de subventions » versées par les États-Unis au Canada, sans jamais vraiment expliquer de quoi il parlait. Probablement du déficit commercial, qui n’est pas une subvention, mais une différence entre ce qui est vendu et acheté entre États. Mardi, il parlait de « 200 milliards »…
C’est absurde, me direz-vous. Oui, mais il veut nommer un alcoolique incompétent au poste de secrétaire à la Défense… et licencier les hauts gradés.
Les généraux américains, contrairement à Trump, sont très instruits, connaissent le droit et l’histoire et ne sont certainement pas intéressés à envahir un allié comme le Danemark. Mais comment les choses se passeront-elles après le 20 janvier ?
Ce n’est pas nouveau que les États-Unis souhaitent acheter le Groenland, qui fait géologiquement partie de l’Amérique du Nord. Des offres d’achat ont déjà été faites, notamment sous le président Harry Truman en 1946. Mais personne n’avait publiquement menacé d’envahir si l’offre qui ne peut pas être refusée était refusée, comme on dit dans Le parrain. Parce qu’il s’agit bien d’une tactique mafieuse.
Le cas du Panama est très différent. C’est une entreprise française qui commença la construction du canal à la fin du XIXème siècle.e siècle – le même qui a construit celui de Suez. L’affaire s’avère ruineuse et l’entreprise française fait faillite. Les Américains ont repris le contrôle sous Teddy Roosevelt. C’est ce qui a conduit à l’indépendance de ce qui était jusqu’alors une province de Colombie. Les Américains y sont intervenus militairement à plusieurs reprises pour protéger leurs intérêts, comme dans de nombreux autres États latino-américains.
Ironiquement, c’est le président dont les funérailles ont eu lieu mardi qui a signé en 1977 le traité cédant le canal au Panama à partir de 1999. Jimmy Carter a ainsi mis fin à de grands troubles dans le pays.
Cela n’a pas empêché les Américains d’envoyer 9 000 soldats en 1989. Une intervention décriée comme une violation du droit international… On pourrait donc affirmer que la rhétorique de Trump n’est que la verbalisation la plus brutale de la politique américaine d’ingérence.
C’est bien plus que cela. Les relations entre les États-Unis et le Panama, qui a longtemps été une dictature militaire corrompue, ne peuvent être comparées à celles du Canada ou du Danemark.
Les Américains, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, se posaient en gardiens de l’idée d’un État de droit international. Cela n’a jamais vraiment existé, et pas plus tard qu’en 2003, les États-Unis ont envahi l’Irak pour de fausses raisons. Mais il fallait au moins des prétextes et des principes directeurs. Ceux qui n’en avaient pas étaient, pour les Américains, des « États voyous » : subventionnaires du terrorisme, envahisseurs des États voisins.
Ce que Trump professe dans ses discours, c’est la fin de cette idée même de légalité dans l’ordre mondial. Il s’agit en fait d’un nouveau désordre mondial, où l’on ne sait plus vraiment qui est un allié, qui est un adversaire, qui est un ennemi, et où tout peut changer le lendemain.