Le 16 février 2024, la Russie annonce la mort d’Alexeï Navalny, l’opposant le plus connu du régime de Vladimir Poutine. Après avoir traversé plusieurs prisons de haute sécurité, le militant a été retrouvé sans vie dans la colonie pénitentiaire IK-3 à Kharp, dans l’Arctique. Cet événement souligne l’opacité entretenue par le Kremlin sur un système pénitentiaire hérité de la période stalinienne (1922-1953) et critiqué pour les conditions imposées aux prisonniers.
Pour obtenir des informations sur les prisons, il est impossible de s’adresser au Service pénitentiaire fédéral de la Fédération de Russie, un organisme dépendant du gouvernement et ne fournissant que peu d’informations quantitatives sur les centres de détention du pays. Selon le World Prison Brief, une base de données mondiale créée en 2000 avec le soutien de l’Université Birkbeck de Londres, il y avait 433 006 prisonniers en Russie au 1est Janvier 2023, soit un taux d’incarcération de 300 pour 100 000 habitants, l’un des plus élevés au monde (en France, il est de 109)(1). Ces personnes – hommes, femmes, enfants – seraient réparties dans 872 établissements : 642 colonies, 204 établissements de prévention, 18 centres pour mineurs et huit prisons. Cela n’inclut pas les autres lieux de privation de liberté, tels que les cellules des commissariats de police ou les bataillons disciplinaires pour les militaires.
L’héritage stalinien
Ces chiffres reflètent une géographie à l’image de la superficie de la Russie, le plus grand pays de la planète avec 17,1 millions de kilomètres carrés. Les prisons sont implantées partout, du nord au sud et d’est en ouest, notamment autour de Moscou, mais surtout dans les régions isolées et inhospitalières de la Sibérie ou de l’Arctique. Il est impossible de connaître la carte exacte. Elle reprend cependant peu ou prou celle des goulags soviétiques, établis grâce au travail de l’ONG Memorial, créée en 1989 dans un contexte de perestroïka et de volume en URSS et dans le but d’empêcher le retour du totalitarisme et d’accomplir un devoir de mémoire envers les victimes de la répression(2). En russe, le mot « goulag » est l’acronyme de Direction principale des camps, organe de gestion d’un système concentrationnaire envoyant opposants, intellectuels, minorités, condamnés de droit commun, etc. en « rééducation par le travail ». Entre 1929 et 1954, jusqu’à 20 millions de personnes ont transité par l’un des 476 camps connus à la mort de Joseph Staline en 1953 ; 4 millions de personnes ont perdu la vie.
Sous la dictature stalinienne, le goulag avait pour but de « briser » les individus, de les soumettre au régime en place, sans permettre ni la rédemption ni la réinsertion. Le système pénitentiaire russe actuel fonctionne à peu près de la même manière. Si les taux d’incarcération ont diminué au cours des vingt dernières années – ils étaient de 729 en 2000 – cela s’explique notamment par la crise démographique et les réformes pénales destinées à réduire le nombre de détenus. Toutefois, cela n’est pas synonyme de réduction des condamnations ou d’amélioration des infrastructures. Au contraire, les procès politiques se sont multipliés depuis le retour de Vladimir Poutine à la présidence en 2012 et le début du conflit en Ukraine deux ans plus tard.
Des espaces sans loi
Plusieurs ONG de défense des droits humains dénoncent régulièrement les conditions d’incarcération en Russie, notamment dans les centres situés au nord polaire, où les basses températures ne sont qu’un moindre mal imposé aux détenus. Violences, tortures, harcèlement, maladies contagieuses, manque de lumière, manque d’hygiène, de nourriture et d’eau…, la liste des mauvais traitements est longue. La colonie IK-3 de Kharp, connue sous le nom de « Loup polaire », où se trouvait Alexeï Navalny, est considérée comme l’une des pires de Russie. Certains pays démocratiques, comme la France ou les États-Unis, ont critiqué le système pénitentiaire russe, présenté comme corrompu et disposant d’importants moyens financiers et humains (près de 300 000 salariés) au point d’incarner un « État dans l’État »(3).
En outre, la Russie gérerait les prisons où elle exerce une influence significative, comme en République centrafricaine, voire libérerait des détenus locaux en échange de leur enrôlement dans l’armée russe pour combattre en Ukraine. Cette méthode serait appliquée en Russie même, expliquant la baisse du taux d’incarcération. Par ailleurs, les services de renseignement ukrainiens accusent le directeur du Service pénitentiaire fédéral de la Fédération de Russie, le général Arkady Gostev, un proche de Vladimir Poutine nommé en 2021, d’avoir créé un réseau de camps de concentration dans les territoires occupés.
Les colonies pénitentiaires russes obéissent à leurs propres lois, internes aux établissements, et à celles dictées par le Kremlin, quitte à violer le droit international. Le pays n’est plus partie à la Convention européenne des droits de l’homme depuis 2022 et, sous les sanctions internationales, il se replie sur lui-même. L’ONG Memorial a même été dissoute en 2021. Déjà opaque, outil de répression du régime, le système pénitentiaire russe n’est pas près d’être réformé. G. Fourmont
Russie : une géographie carcérale
Remarques
(1) Le World Prison Brief est disponible sur : https://prisonstudies.org
(2) La carte des goulags est sur : https://gulag.online
(3) OFPRA/DIDR, Fédération de Russie : Conditions de détentionavril 2023.