Un côté « bavard » mais un autre secret. Derrière la figure publique de Jean-Marie Le Pen, certaines manœuvres politiques ou familiales ont été bien cachées à la majorité. A propos de la fin de sa vie, le leader de l’extrême droite française, dont la mort a été annoncée ce mardi, a commencé à s’exprimer.
Voulait-il vraiment remporter l’élection présidentielle de 2002 ? Quelle était sa relation avec sa fille Marine Le Pen ? Comment envisageait-il son héritage politique ? Le journaliste et auteur de Testament du Diable : les derniers secrets de Jean-Marie Le Pen, Azzeddine Ahmed-Chaouch s’est entretenu avec le fondateur du Front national et ses proches pour son livre. Il livre plusieurs révélations à 20 minutes.
“Il n’a jamais voulu le pouvoir”
Il avait un costume taillé pour la provocation et l’opposition. Longtemps autour de 15 % des voix, Jean-Marie Le Pen était loin de s’imaginer aux portes du pouvoir le 21 avril 2002 face à Jacques Chirac, profitant des divisions de la gauche. Lorsque les premières estimations de sortie des urnes ont chuté, le rendant qualifié pour le second tour, « il est déprimé, triste, il a peur », rapporte Azzeddine Ahmed-Chaouch, selon les confidences de son épouse Jany Le Pen.
“Il estime qu’il n’est pas prêt, qu’il n’a pas les troupes pour le soutenir, il s’est toujours contenté du rôle de contestataire, c’est plus compliqué de proposer des réformes et finalement, ça demande du travail et Jean-Marie Le Pen “Il ne travaille pas, il prend très peu de notes, regarde beaucoup la télé, sa vie pourrait changer”, ajoute le journaliste.
Il était, par ailleurs, convaincu de troubler les plus hautes personnalités du pouvoir, persuadé d’être au cœur d’un complot. « Il a toujours imaginé qu’un contrat pesait au-dessus de sa tête, que s’il dépassait les 15 %, on pouvait le supprimer », raconte Azzeddine Ahmed-Chaouch. Une sorte de « paranoïa complotiste » qui a joué un rôle dans son refus d’accéder effectivement à l’Elysée.
Le « parricide » de Marine Le Pen
Cette relation père-fille tumultueuse est “au cœur de la saga familiale”, résume Azzeddine Ahmed-Chaouch selon qui Marine Le Pen a “toujours été tiraillée entre sa mère Pierrette et son père Jean-Marie”. Après ce que le journaliste qualifie de « querelle de famille », la mère des trois filles (Marine, Yann et Marie-Caroline) est expulsée du domicile conjugal. Marine Le Pen s’est ainsi retrouvée sans sa mère à Montretout à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine) et n’est pas allée la voir pendant 15 ans.
Dans la famille Le Pen, la politique n’est jamais loin. Ce qui deviendra une autre source de tensions. Ce n’est pas Marine Le Pen qui est en première ligne pour devenir l’héritière du président du Front National. Jean-Marie Le Pen a d’abord pensé à Marie-Caroline, mais cette dernière est partie avec un « mégretiste », nommé Bruno Mégret, considéré comme un traître après avoir claqué la porte du FN avec de nombreux cadres en 1999. Il « propulse alors Marine Le Pen sur un plateau télé et je la trouverai plutôt bien”, retient Azzeddine Ahmed-Chaouch.
Sa carrière est lancée mais la stratégie de « dé-diabolisation » que la désormais présidente du parti a mise en place à partir de 2011 et la distance qu’elle met entre elle et son père, Jean-Marie Le Pen y voit « comme une trahison ». selon le journaliste. La plus jeune quitte Montretout pour la première fois après la mort d’un de ses chats préférés, Artémis, qui, selon elle, a été tué par Sergent et Major, les deux derniers dobermans de son père. Un an plus tard, en 2015, c’est le coup final qu’il qualifie de « parricide » : son éviction du parti qu’il a fondé. Les relations deviennent très tendues, pour la première fois en 2017, deux 1er-Mai sont organisés séparément. Malgré quelques timides réchauffements, le froid s’installe entre le père et la fille.
Après lui « le déluge »
Jean-Marie Le Pen voulait-il vraiment un héritier ? “Il a toujours voulu rester propriétaire du nom Le Pen en politique” et a finalement toujours mis des bâtons dans les roues de ceux qui étaient capables de lui faire de l’ombre, analyse Azzeddine Ahmed-Chaouch. « Doté d’un ego démesuré, Jean-Marie Le Pen croyait que lui seul pouvait incarner son combat national. C’était un peu “après moi, le déluge”, ajoute le journaliste.
Notre dossier sur la mort de Jean-Marie Le Pen
En fait, il laissera une marque indélébile dans le paysage politique français. Même s’il n’a jamais accédé à un poste de responsabilité, il a su imposer ses idées qui sont aujourd’hui largement reprises dans le débat public quotidien et par les membres de l’exécutif. “Il est le pionnier d’un discours décomplexé et a réussi à imprégner la société de ses idées d’extrême droite sur les questions d’immigration, d’identité, de xénophobie, c’était peut-être sa plus grande fierté et son véritable héritage”, analyse encore Azzeddine Ahmed-Chaouch. Une ascension politique réussie grâce à son talent pour la stratégie des slogans et sa capacité à faire le buzz avec la phrase sonore. Jusqu’au plafond de verre qu’il ne voulait vraiment pas briser.