Pour sa première participation au Vendée Globe, Guirec Soudée bave à la barre de son IMOCA à dérives. Malmené dans l’océan Indien, pris dans le gros temps à l’approche du cap Horn et bientôt sous l’influence d’une vilaine perturbation attendue près des Malouines, le skipper de Freelance.com s’exprime sans détour auprès de Voile Magazine.
Voile Magazine : Pas trop dur ce bout du Pacifique, ça doit commencer à faire des ravages sur le marin et la machine ?
Guirec Soudée: « Là, j’approche du Cap Horn, et je vous parle depuis mon banc. Attendez, l’alarme vient de commencer à sonner, ça veut dire que j’ai dépassé les 40 nœuds à l’anémomètre… Physiquement, ça va bien, le bateau, de son côté, est un peu fatigué forcément. D’ailleurs j’ai mon J2 qui est actuellement hors d’usage, mais j’ai pu faire des réparations en bas au point d’écoute de chaque côté, de grands placards en trois patchs à chaque fois de chaque côté. Et j’ai aussi le paresseux qui a pété hier, donc il va falloir que je m’occupe de ça aussi.
Pour ne rien arranger, je vais prendre une petite cartouche en arrivant au Cap Horn, ils annoncent toujours des rafales à plus de 50 nœuds, donc je ne serai pas surpris d’en avoir 60. Donc, ça va se passer sous tourmentin. En ce moment, j’ai mon J4, trois ris au grand et je ne vais pas tarder à gréer le tourmentin. Et puis dès que je passe le Cap Horn, boum, le vent devrait tomber. Je vais en profiter pour me mettre à l’abri en espérant qu’il n’y ait pas de mer car je dois monter au mât pour finir de réparer mon J2. A cela s’ajoutent les deux ballasts du milieu qui ont explosé et la perte d’une hydro qui a été arrachée…
Quoi qu’il en soit, j’ai plein de petites choses, rien qui ne m’empêche de continuer mais il y a certainement des choses qui me rendent un peu moins efficace. Avec le J2 en moins et mon petit gennaker lâche, il y a des carres sur lesquelles je progresse moins bien que mes copains, mais écoute, c’est comme ça, c’est le jeu… Après moi ça va, là je peux bien me reposer, donc c’est cool. C’est juste le moment où je me suis écrasé sur mon banc, où je me suis encore beaucoup blessé. Même si les choses vont beaucoup mieux, j’ai encore beaucoup de douleurs au cou. J’ai de bonnes petites séquelles. Mais maintenant c’est cool, j’ai retrouvé de la mobilité au niveau de mon bras gauche.
Mais à part ça, là où je me suis vraiment fait mal, je m’apitoie sur mon sort, même si je serais évidemment heureux une fois le Cap Horn passé, de me rapprocher de chez moi. Le truc, c’est qu’après le passage du Horn, il y a un gros « dép » prévu le 9 janvier, et à vrai dire, il y a même plusieurs bateaux qui ont décidé de ralentir. La météo est de 50-60 nœuds aux Malouines avec 6-7 mètres d’eau et il n’y a pas beaucoup de profondeur dans cette zone donc je ne sais pas trop ce que ça va être. Donc, c’est sûr que ce n’est pas génial mais ce sera une descente. Il va falloir bien anticiper, bien préparer le bateau… »
Voile Magazine : Vous avez dû affronter un gros coup de vent et une grosse mer avant Noël, des moments que vous avez d’ailleurs partagés dans une vidéo impressionnante. Vous êtes-vous fait peur ? Quelles techniques de navigation avez-vous adoptées pour rester en sécurité dans ces conditions ?
Guirec Soudée: « Oui, avant Noël, j’ai eu une grosse tempête de vent après les Kerguelen. A l’anémo, j’ai vu 72 nœuds mais bon j’en ai peut-être eu plus parce que c’était quand je regardais. C’était vraiment fort, j’avais entre 50 et 65 constants et ça ne descendait pas donc c’était assez impressionnant. J’avais 4 ris et le tourmentin et à un moment j’ai même dû le rouler mais sous grand voile seule, le bateau ne répondait pas très bien.
Quand il y a une grosse mer comme ça je me mets trois quarts en arrière, voire un peu plus lofé, genre 135/140° du vent mais pas en dessous de 140°. En fait, j’ai trop peur de foncer tête baissée dans les vagues car le bateau dans ces conditions part souvent en survitesse, c’est hors de contrôle et c’est là que ça devient dangereux. J’avais peur pour le bateau, j’avais peur de faire quelque chose de sérieux. Déjà, le vent était tellement fort à un moment donné que je ne pouvais même pas sortir, c’était un carnage dehors. Là, vous pensez évidemment à votre sécurité personnelle.
Le bateau accélérait, il devenait incontrôlable, c’est là que ça devient dangereux !
J’ai fait à plusieurs reprises des vitesses supérieures à 30 nœuds, cela ne m’était jamais arrivé. C’était fou, la vitesse à laquelle ça allait, la façon dont ça frappait. C’était la mer, le problème avant tout… Le vent n’était pas un problème en soi, même s’il y avait beaucoup de vent bien sûr. Il faut juste être bien préparé et ne pas se laisser surprendre, car il fut un temps où la mer était trop grosse pour passer du D3 au D4. Pas le choix donc j’ai eu du mal à changer de voile car ça commençait déjà à devenir très marin. Conclusion, j’aurais dû faire cette manoeuvre un peu plus tôt. C’est là que c’était finalement dangereux… »
Voile Magazine : Vous êtes 24ème au classement ce soir, êtes-vous dans vos objectifs sportifs ou vivez-vous ce Vendée Globe avant tout comme une aventure humaine ?
Guirec Soudée: « Je suis effectivement 24ème au classement, après avoir été un temps 27ème puis 22ème.e il n’y a pas longtemps. Mais ce qui est cool c’est que je suis de retour dans le match, c’est ce qui compte. Evidemment ma priorité est avant tout de finir la Vendée, de faire quelque chose de bien, de propre. Mais évidemment il y a l’esprit de compétition qui est là, c’est sûr. Donc, j’étais en retard, j’ai réussi à revenir, puis j’étais avec eux. Après tu vois sans mon petit gennaker, ils sont repartis. J’ai réussi à revenir et j’ai quand même gagné pas mal de places.
Donc, il y a des moments où j’arrive à naviguer assez proprement et puis je me fais un peu avoir au Cap Horn parce que je suis trop bas par rapport aux autres. J’aurais dû rester plus haut pour avoir un meilleur angle et le vent n’est pas comme les limes donc je dois lofer. Je suis à 90° du vent, 95° dans 40 nœuds, les autres, ils sont à 110-120° du vent, évidemment ils vont beaucoup plus vite et en plus j’ai dû pas mal appuyer pour gérer mes problèmes de flemme. sac.
Après, la route est longue, jusqu’à l’Atlantique, on verra bien. C’est vrai que 22 c’était un chiffre qui me convenait bien, le 22 c’est mon département, c’est le numéro de mon bateau, bon voilà, je ne me mets pas trop de pression, tu vois quand je peux accélérer, quand je vois que tout est en place pour que j’avance bien, ben j’y vais, quand ça ne marche pas, ben ça ne marche pas. Je ne veux pas que ça me rende malade, je ne veux pas que ce soit une obsession.
Avec mon bateau, on est dans le mix, on est plein de bateaux à dérives, et c’est cool de pouvoir se mettre la puce à l’oreille, comparer un peu les vitesses, regarder les options, et discuter entre eux . Il y a une super ambiance au sein de la flotte, c’est tellement sympa. »
Voile Magazine : C’est une rude bataille en tête de course, alors êtes-vous plutôt Charlie Dalin ou Yoann Richomme ?
Guirec Soudée: « Oui, c’est la grande bataille qui nous attend. Eh bien écoutez, je veux vous dire que le meilleur gagne. Je connais mieux Yoann Richomme personnellement et je discute avec lui de la Vendée. Ce sont tous les deux des gars formidables mais c’est vrai que j’ai plus d’affinités avec Yoann, donc je serai content si c’est Yo-Yo qui gagne, il le mérite pour son premier Vendée.
Honnêtement ce type est une machine, il est impressionnant et tellement sympa aussi, il est plein de qualité et donc ce serait cool s’il pouvait gagner cette Vendée, en tout cas il ne l’aurait pas volé. Il vient d’arriver dans la classe IMOCA, il déchire tout, donc ce serait trop cool, ce serait une belle histoire, alors voilà, je lui souhaite de gagner et si Charlie gagne, c’est super aussi, c’est quelqu’un J’aime beaucoup aussi. »
Voile Magazine : Souhaitez-vous figurer dans la prochaine édition ? Si oui, plutôt IMOCA à foils ou à ailerons ?
Guirec Soudée: « Non, je ne suis pas sûr, je ne pense pas être présent sur le Vendée Globe 2028. Si je continue la course au large, j’aimerais plutôt changer de support. Mais après c’est sûr que quand on voit des IMOCA comme celui de Yoann, ça donne envie de foils. Mais ils avaient de bonnes conditions, si je ne dis pas de bêtises, ils n’avaient pas plus de 25 nœuds, une petite claque à 30 à un moment donné, mais ils étaient toujours en avance sur les fronts.
Franchement, ils avaient des conditions idéales. Derrière nous, on a vraiment souffert… Quand on écoute Jean Le Cam qui dit n’avoir jamais vu un océan Indien dans un tel état. J’ai aussi parlé avec « Kali » (Arnaud Boissière), il a fait cinq Vendée Globes, et pareil, il n’a jamais vu un océan Indien comme ça, et même alors il était dans le nord. Dans le sud de l’Inde, je me suis fait défoncer, vraiment… Le Pacifique beaucoup plus frais sauf l’arrivée au Horn là-bas. Après, c’est normal, un Horn, il faut le mériter si on veut qu’il reste dans nos mémoires. Ce sera ma deuxième visite au Horn mais en solo cette fois car la première, il y avait Monique avec moi… »