Mort de Jean-Marie Le Pen : l’année où Humbert Lambert a fait du cofondateur du FN un homme riche

Mort de Jean-Marie Le Pen : l’année où Humbert Lambert a fait du cofondateur du FN un homme riche
Mort de Jean-Marie Le Pen : l’année où Humbert Lambert a fait du cofondateur du FN un homme riche

Depuis le début des années 1960, les partisans de l’extrême droite française sont animés par un désir de vengeance. Pour eux, la n’aurait jamais dû « lâcher » l’Algérie et le général de Gaulle est un criminel. Humbert Lambert, fils de Léon Lambert, surnommé le « roi du ciment » grâce au succès de ses usines de Cormeilles-en-Parisis (Val-d’Oise), fait partie du camp de la revanche.

Essayiste, il publie plusieurs textes dans des revues d’extrême droite avant de rencontrer Jean-Marie Le Pen et d’adhérer au nouveau Front national en 1973. « Dans une hagiographie que lui consacre Roger Mauge, Jean-Marie Le Pen dit de lui que « c’est un gars très sympa qui m’a proposé d’écrire quelques articles pour le National »le magazine officiel du parti. Il a signé ses articles sous le nom de jeune fille de sa mère, Saint-Julien.raconte Défis Valérie Igounet, historienne spécialiste de l’extrême droite.

Très vite, Lambert, trente ans, devient membre du comité central puis conseiller national du parti pour les questions militaires. Il se rapproche de plus en plus de Jean-Marie Le Pen et de son épouse Pierrette. Dans la biographie de Roger Mauge, est racontée une scène qui n’a jamais été démentie par l’ancien député européen : “C’est au restaurant durant l’année 73, Hubert Lambert aurait donné à Jean-Marie Le Pen 320 000 francs en espèces dans une valise, relates Valérie Igounet. Une valise qu’il aurait aimé récupérer car elle pourrait servir à nouveau. » Après ce déjeuner, les deux hommes se lient d’amitié et on raconte même que l’héritier du « roi du ciment » poussa l’ancien militaire français à se présenter aux élections législatives de mars 1973.

Unique héritier de la fortune de Humbert Lambert

Trois ans plus tard, le millionnaire décède à l’âge de 42 ans d’une cirrhose à son domicile, situé au 8 Parc de Montretout, fin septembre. Comme dernier souhait, il a fait du co-fondateur du flame party l’unique héritier de sa fortune. On parle alors d’un patrimoine colossal puisqu’il s’agit non seulement du manoir de Saint-Cloud, autre propriété de campagne de sa mère décédée un mois plus tôt, mais aussi de biens financiers et de la somme de 30 millions de francs, soit 4,5 millions d’euros.

Jean-Marie Le Pen, fils d’un pêcheur breton mort pendant la Seconde Guerre mondiale et devenu pupille de la Nation, change de dimension : il devient un homme riche. Dans le premier volume de ses mémoires publié en 2018, l’intéressé ne s’attarde pas sur cet épisode, pourtant central dans sa vie publique et personnelle. L’homme politique mentionne sobrement que « l’héritage Lambert a dû modifier [s] une situation ». Et pour cause, les conditions d’obtention de cet héritage sont pour le moins mystérieuses.

Le manoir Montretout de Saint-Cloud devient la propriété de Jean-Marie Le Pen après le décès d’Hubert Lambert en 1976.

AFP / PHILIPPE BOUCHON

Un héritage contesté depuis plusieurs années

Durant les dernières années de sa vie, Hubert Lambert était un homme malade à la santé mentale très fragile. Sa pratique consistait à distribuer des testaments à ses proches. Ainsi, au moins quatre documents ont été signés par lui. Son cousin, Philippe Lambert, qui habite également une partie du domaine de Montretout, affirme détenir un testament daté du 11 mars 1973, soit trois ans avant le décès du millionnaire. De son côté, Jean-Marie Le Pen a en poche un document officiel daté du 21 janvier 1976. Le premier décide alors de convoquer le second en référé pour saisie successorale.

Philippe est le dernier membre de la famille Lambert à pouvoir hériter, puisque les parents d’Hubert sont décédés et qu’il n’a pas eu d’enfants. Pour contester la validité de la succession, il invoque l’article 901 du Code civil qui précise que l’auteur d’un testament doit être “sain” pour que le document soit valide. Plusieurs éléments contre l’homme politique sont apportés au dossier, notamment une expertise de Denise de Castilla.

Cette dernière, psychologue et graphologue à la cour d’appel de Paris, a été consultée à titre privé et livre ainsi ses analyses : « Le testament révèle un être en proie à une dépression nerveuse et qui a perdu son autonomie de contrôle. La graphométrie a démontré que le seuil pathologique était atteint et que la capacité de résistance aux influences extérieures était pratiquement abolie. Dès lors, il est raisonnable de douter que le sujet ait rédigé ce dernier document en toute indépendance d’esprit, et en pleine possession de ses moyens intellectuels. » A terme, l’expertise ne sera jamais présentée devant un juge car l’audience sommaire n’aura jamais lieu.

Une atteinte liée à l’héritage ?

Quelques semaines après la mort d’Hubert Lambert, les Le Pen ont été victimes d’une grave agression à leur domicile. L’appartement de l’immeuble situé au 15èmee quartier de Paris, la Villa Poirier est explosée par plusieurs kilos de dynamite au petit matin. Le désir de tuer ne fait aucun doute. Miraculeusement, aucun blessé grave n’a été signalé.

L’enquête policière n’apporte que le livre du journaliste Laszlo Liszkai, Marine Le Pen, un nouveau Front National ? publiée en 2010, une thèse a été créée. On raconte que deux détectives privés engagés par Philippe Lambert seraient à l’origine de cette attaque qui laissera traumatisée la fille cadette de Jean-Marie Le Pen, alors âgée de huit ans.

« Il m’a fallu cette nuit d’horreur pour réaliser que mon père « fait de la politique » »elle écrit dans sa biographie Contre les vaguesen 2006. Trois semaines plus tard, ils emménagent à Montretout, une demeure de 430 m²2 sur trois niveaux et un parc de plus de quatre hectares, dernière demeure d’Hubert Lambert.

Vue générale prise le 2 novembre 1976 à Paris de l’immeuble où réside Jean-Marie Le Pen, président du Front national, dévasté par un attentat à l’explosif.

AFP / –

C’est en 1977 que Philippe Lambert et Jean-Marie Le Pen parviennent à un accord à l’amiable et mettent fin à une probable guerre judiciaire qui durerait plusieurs années. Les contours de cet accord ne sont pas rendus publics. Désormais, le président du Front national a carte blanche pour mener la politique comme bon lui semble.

L’argent de Le Pen ou du FN ?

« Sans Lambert, pas de FN. Sans Le Pen, pas de Lambert »c’est ainsi que Lorrain de Saint Affrique résume la relation autour de l’héritage d’Hubert Lambert dans un entretien avec l’historienne Valérie Igounet. L’argent hérité de Jean-Marie Le Pen était-il destiné au président du Front national ou à l’ami d’Hubert Lambert ? La réponse était claire pour les militants du parti d’extrême droite qui avaient du mal à payer les factures du FN, encore très nouveau dans le paysage politique.

“Quand les militants ont appris la nouvelle, ils ont pensé que cet argent allait renflouer les caisses du parti qui était en très mauvais état, agrees Valérie Igounet. A l’époque, on allumait aux bougies au siège du parti… Cette immense fortune ne profitait pas vraiment au FN alors qu’une goutte d’eau de l’héritage l’aurait remis sur les rails. »

Un avis qui n’est pas entièrement partagé par Wallerand de Saint-Just, ancien trésorier du parti de 2009 à 2021. « Tout ce que j’ai toujours su, c’est que Jean-Marie Le Pen investissait une grande partie de son argent personnel dans la gestion du parti. il explique à Défis. Je n’ai absolument pas la comptabilité de cette époque mais je sais que dans ces années-là, on faisait ce qu’on voulait parce qu’il n’y avait pas de suivi de la comptabilité. »

Dans un reportage diffusé en 1976 sur l’héritage Lambert, Jean-Marie Le Pen, qui a fait de Montretout le QG du FN, entretient le flou. « J’ai consacré ma vie à la politique et donc les moyens dont je dispose sont aussi à la disposition de mes idées. »

“Jean-Marie Le Pen affirme que cet argent a notamment permis de financer la campagne présidentielle de 1981 qui n’a pas donné de résultats, explains Valérie Igouet. Cette aisance financière lui permet d’organiser des soirées folles avec des centaines d’invités et de mettre en valeur sa richesse. D’anciens membres du FN des années 1980 affirment qu’il a abandonné son parti. Son désir de vivre a peut-être pris le pas sur celui du parti. » Pour elle, s’il avait fait un don substantiel à son parti de toujours, il l’aurait fait savoir.

Un collectif identitaire à Montretout

Au fil des années, le manoir de Montretout a été le théâtre de nombreuses soirées électorales pour le FN puis le RN. Bien après son éviction de son parti de longue date, Jean-Marie Le Pen recevait encore proches et journalistes en attendant 20 heures, comme lors de la dernière présidentielle par exemple. Plus récemment, des enquêtes sur Le monde ou Libération a rapporté que la somptueuse demeure avait été utilisée par le collectif identitaire d’extrême droite Némesis comme lieu de ralliement ou de fête.

Dans une brochure du parti rédigée par Jean-Marie Le Pen en 1978, il écrit cette phrase qui cristallise son goût pour les formules à lectures multiples. « Il est préférable d’hériter de bons chromosomes qui mènent à la richesse, plutôt que de chromosomes faibles qui vous font perdre la richesse dont vous avez hérité. » Reste maintenant à savoir qui héritera de son argent.

 
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