La cérémonie honorant les victimes du terrorisme en janvier 2015 est toujours en cours. Jusqu’ici diffusée en direct sur CNews, la chaîne d’information de Vincent Bolloré, elle est désormais interrompue. “On va en reparler, c’est évidemment majeur”précise Sonia Mabrouk sur le plateau, lors de la présentation. Cela n’arrivera pas.
Priorité à une autre diffusion en direct sur les antennes d’extrême droite : saluer la mémoire de Jean-Marie Le Pen, fondateur du Front national, décédé à l’âge de 96 ans ce mardi 7 janvier. « Chiffre controversé, mais personnage majeur, il était à la fois le menhir de la vie politique et le diable »décrit l’animatrice en rappelant sa sale sortie dans les chambres à gaz “détail de l’histoire”. Pour elle, ce n’est qu’un “déraper”certainement “le plus majeur, celui qui lui a coûté sa vie politique”.
Autour d’elle, plusieurs chroniqueurs piochaient parmi les couteaux les moins tranchants du tiroir. Alexandre Devecchio, rédacteur en chef du Figaro, Céline Pina, polémiste et collaboratrice du magazine ParleurPhilippe David, animateur sur Sud Radio et Yoann Usai, journaliste de la chaîne. “Bâtisseur de l’extrême droite contemporaine, c’est lui qui ouvrira la voie à Marine Le Pen”poursuit Sonia Mabrouk.
Elle se corrige immédiatement pour éviter une réprimande de la direction, où le mot est interdit : “Même si elle n’a vraiment pas envie d’entendre parler de l’extrême droite !” L’extrême droite est factieuse, on ne peut pas imaginer que Marine Le Pen le soit.». Ses invités hochent la tête, soulagés. « Être d’extrême droite, c’est être factieux, antisémite, faire preuve d’antiparlementarisme… Ce sont des caractéristiques qu’on retrouve à l’extrême gauche, pas du côté du RN. Les factieux sont à l’extrême gauche ! »corrige Yoann Usai, avec zèle.
« Le danger Mélenchon est bien plus grand »
Enchantée, Mabrouk reprend la parole, ayant l’élégance de prévenir qu’elle s’en va « choquer la gauche ». « Dire que les héritiers de Jean-Marie Le Pen, aujourd’hui, sont davantage d’extrême gauche que d’extrême droite, c’est une réalité ! ». Alexandre Devecchio, somnolent, plateau d’après-déjeuner oblige, se lève. « Avec Jean-Marie Le Pen, il y avait l’idée d’être un porte-parole, la tribune de la plèbe, le goût de la provocation. Il y a pareil chez Jean-Luc Mélenchon”il observe.
Or, selon lui, “le contexte est différent” entre le temps de l’un et celui de l’autre. Selon lui, à l’époque, la menace de l’extrême droite était minime. Il est facile d’oublier les multiples attentats et assassinats, entre les années 1970 et 1990, de la part des mouvements néofascistes, identitaires et fondamentalistes catholiques, mais il s’en fiche. « La masse des Français qui étaient vraiment d’extrême droite, antisémites, n’était pas si importante. Et Jean-Marie Le Pen ne voulait pas du pouvoir »assure-t-il. C’est certainement pour cela qu’il ne s’est présenté à la présidence que… cinq fois.
« Pourtant, avec Jean-Luc Mélenchon, les choses sont différentespoursuit notre expert. Il existe une idéologie islamiste qui tue les Juifs, ce qui n’était pas le cas à l’époque. Le danger Mélenchon est bien plus grand ! ». Sonia Mabrouk a saisi l’occasion avec une grimace, lisant à haute voix les tweets des députés FI Louis Boyard et Antoine Léaument rappelant les origines Waffen SS du Front National. « Quand on est aussi liés que ces gens-là aux islamistes, c’est ridicule ! »argumente Céline Pina pour s’attaquer aux rebelles. Et frappez ! imparable.
Le débat se déplace rapidement vers l’immigration. Ou plutôt, pour citer Sonia Mabrouk, sur « immigration incontrôlée et influence des islamistes ». « Sans lui, l’immigration aurait-elle pris une place aussi importante dans la vie politique française ? »se demande-t-elle. Pour y répondre, elle accueille Jérôme Sainte-Marie, candidat RN défait aux dernières législatives et désormais chargé de la formation des cadres du parti de Marine Le Pen. Problème : elle ne le présentera jamais comme ça.
A ce CV factuel, elle en préfère un modeste « enquêteur ». C’est moins effrayant pour le grand public, et c’est aussi moins vrai. Il ne s’est plus rendu dans un institut de sondage depuis 2013. Il rend également hommage au père de Marine Le Pen : « Depuis plusieurs années, il apparaît davantage comme un lanceur d’alerte que comme quelqu’un identifié aux propos outranciers, parfois scandaleux ».
Quels héritiers ?
Vient ensuite à nouveau la question de la possibilité « héritiers idéologiques » de Jean-Marie Le Pen dans la vie politique actuelle. La ficelle est immense : pointez à nouveau le FI. Sauf que Jérôme Sainte-Marie a une autre vision des choses : « Il n’y a pas d’héritier. Les onze millions de Français qui ont voté pour Marine Le Pen ont partagé le côté positif du message de Jean-Marie Le Pen.. Il est désormais impossible de comprendre quoi que ce soit. Réhabiliter Jean-Marie Le Pen ou le sacrifier pour disqualifier LFI, le cœur de l’équilibre de CNews.
Un autre lauréat s’ajoute alors à ce groupe d’éclairés : Ivan Rioufol, ex-journaliste à Figarocontre-théoricien du complot. Cette fois, c’est Nelly Daynac, qui a succédé à Sonia Mabrouk, qui pose les questions sans concession : « L’Histoire lui a-t-elle donné raison ? ». Jérôme Sainte-Marie en est sûr. Pour preuve, il cite les propos de Daniel Cohn-Bendit, tenus sur CNews ce dimanche 5 janvier, évoquant une “gros remplacement” en cours à Mayotte, un concept cher à l’extrême droite. “C’est là qu’on voit que Jean-Marie Le Pen, dans l’isolement, a porté ce thème de l’immigration et de ses périls bien avant l’heure”il veut croire.
Rioufol est du même avis : « Jean-Marie Le Pen meurt au moment où ses idées renaissent. L’ultralibéralisme n’est pas ce qu’il faut retenir. C’est plutôt l’avertissement sur la fragilité de la cohésion nationale, de l’immigration de peuplement et de l’islam colonisateur qu’il faut retenir. Nous devons le reconnaître malgré, bien entendu, d’énormes erreurs.».
S’évanouissant, il dit qu’il veut se retenir “un homme de grand talent”et « Un Trump français qui n’a pas eu son moment ». Et selon CNews, c’est dommage. Qu’est-ce qui est à blâmer, à qui la faute ? À “un fonctionnement insupportable de la presse qui était une caricature par rapport à lui à tel point qu’il alimentait le sentiment anti-journaliste”assure Robert Ménard, maire de Béziers, en duplex, faisant état de prétendues plaintes de ses administrés : « Comment ne pas entendre ce que dit Jean-Marie Le Pen ? ». Cette fois, de toute façon, ils ne l’entendront plus.
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