“Le Menhir”, comme l’appelaient autrefois ses troupes, est tombé. Jean-Marie Le Pen est décédé mardi 7 janvier à l’âge de 96 ans. Figure politique majeure du XXe siècle, provocateur et outrancier, il restera celui qui a réussi à sortir l’extrême droite de la marginalité électorale. Co-fondateur du Front national en 1972, aux côtés d’anciens Waffen-SS et néo-nazis, il élargit progressivement la base électorale de son parti jusqu’à ce qu’en 2002 celui-ci le porte au second tour des élections. présidentiel. Une performance répétée par sa fille en 2017 et 2022.
Au-delà de ses convictions extrémistes, cet homme d’une grande urbanité, caméras et micros éteints, représentait un Monde politique en voie de disparition : dans la forme, une véritable éloquence, et dans le fond, une véritable culture historique.
Fils unique, Jean Le Pen – il ne deviendra Jean-Marie que plus tard – est né le 20 juin 1928, dans une petite maison de La Trinité-sur-Mer (Morbihan), aux murs de granit et au sol en terre battue. « Français d’origine bretonne, non pas la petite blanche et noire, bonne laitière, mais la grande blonde », s’est-il présenté dans L’album Le Pen, publié en 1984.
« Breton et français d’origine », il reprend en 2018 dans le premier tome de son Mémoires (Mémoires. Fils de la nationÉd. Müller). Sa famille est composée d’agriculteurs du côté de sa mère, de pêcheurs du côté de son père. Il fut reconnu pupille de la Nation après le décès de son père à l’été 1942, suite à l’explosion d’une mine maritime.
Engagé en Indochine puis en Algérie
Fin 1944, le jeune homme se rapproche du maquis de la Résistance, mais son « première protestation » consiste finalement à réaliser, puis à poser, des affiches contre l’épuration des salariés. Devenu étudiant à Paris, il rejoint l’Unef, où il préside la Corporation des Avocats de 1949 à 1951. Il se distingue alors par son charisme et son bon punch.
A deux reprises, il n’a pas hésité à rejoindre les parachutistes. En 1954, il embarque pour combattre le Viet Minh marxiste en Indochine. Il y arriva après la chute de Diên Bien Phu. En 1956, il quitte les bancs de l’Assemblée nationale, où il vient d’être élu, pour se rendre à Alger. Il était accusé d’y avoir pratiqué la torture.
“Qu’est-ce que la torture ?” Où commence-t-il, où finit-il ? “, il demande dans son Mémoires. Tout en supposant que, pour obtenir des informations, l’armée française – et non sa compagnie, assure-t-il – pratiquait « les coups, le gegene et le bain, mais pas de mutilation, rien qui porte atteinte à l’intégrité physique ».
L’homme devient alors une figure de l’extrême droite, dont il sera impliqué dans tous les combats autour de ces deux leitmotivs : l’anticommunisme et l’antigaullisme. « Par deux fois, en 1944 et 1962, des nationaux malheureux ont été exclus de l’histoire par le même adversaire, de Gaulle. » il dénonce dans son Mémoiresexpliquant que “c’est à leur nom” qu’il a combattu.
De tous les combats d’extrême droite
En 1956, il est le plus jeune député à l’Assemblée nationale, tout comme le sera sa petite-fille Marion Maréchal-Le Pen en 2012. Il s’impose comme le chef des parlementaires poujadistes, Pierre Poujade n’étant pas député. Jean-Marie Le Pen se dispute systématiquement avec les personnalités incarnant successivement l’extrême droite… jusqu’à ce que ce soit lui ! En 1957, il rompt avec Pierre Poujade. Nouvelle rupture en 1966 avec Jean-Louis Tixier-Vignancour, candidat à l’élection présidentielle de 1965 au nom des nostalgiques de l’Algérie française, et dont il fut directeur de campagne.
A l’origine, c’est un petit groupe militant – Ordre Nouvel – qui lance le « Front national pour l’unité française » en octobre 1972, afin d’élargir son audience aux élections législatives de 1973, en proposant à Jean-Marie Le Pen d’en prendre la présidence. . L’intéressé est réélu député en 1958, avec le soutien de la droite libérale-conservatrice (il siège alors dans le même groupe parlementaire que Valéry Giscard d’Estaing), avant d’être défait en 1962, puis de nouveau en 1968. À partir de novembre 1973, le FN connaît une première scission avec le départ de certains des anciens dirigeants de l’Ordre Nouveau. Jean-Marie Le Pen est désormais seul maître à bord.
Jusqu’à l’élection de François Mitterrand, le FN reste un petit groupe : son chef obtient 0,75 % des suffrages exprimés à l’élection présidentielle de 1974 et ne réunit pas les parrainages nécessaires pour se présenter à l’élection de 1981. Tout a changé avec l’élection de François Mitterrand. arrivée de la gauche au pouvoir : en réaction, l’extrême droite progresse. Sa légèreté fait le reste, avec l’aide de l’Élysée pour qu’il soit invité, en février 1984, à la grande émission politique « L’heure de vérité » sur Antenne 2. Quelques mois plus tard, lors des élections européennes de En juin, la liste qu’il conduisait a obtenu 10,95% et dix élus. C’est le « phénomène Le Pen ».
Le détail qui change tout
Dès lors, il devient incontournable dans le paysage politique : 14,38 % à la présidentielle de 1988, 15 % à la présidentielle de 1995, 16,86 % en 2002. Cette année-là, Jean-Marie Le Pen se qualifie pour le second tour. . UN « choc » pour la gauche, éliminé (16,18% pour Lionel Jospin). Avec une question en filigrane : voulait-il réellement conquérir et exercer le pouvoir, ou se contentait-il de son rôle de tribun contestataire ?
Jean-Marie Le Pen lors de la convention FN à Lyon, février 2002. / Antonio Ribeiro/Gamma Rapho
Aux élections européennes de 1984 et aux législatives de 1986, le FN attire un électorat d’opposition radicalisé, séduit par son discours à la fois sécuritaire (rétablissement de la peine de mort) et économiquement libéral (suppression de l’impôt sur le revenu). . Dans le même temps, les notables de droite se rapprochent du parti d’extrême droite. Jusqu’au discours de Jean-Marie Le Pen, le 13 septembre 1987, devant le Grand Jury de RTL-Le Mondesur les chambres à gaz, « détails de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale ». Tout rapprochement national de la droite avec elle devient donc impossible, malgré quelques hésitations locales jusqu’aux élections régionales de 1998.
Il est difficile de démêler ce qui était une stratégie de provocation ou l’expression de ses profondes convictions. Ses propos choquants lui ont en tout cas valu plusieurs condamnations pour négationnisme (apologie des crimes de guerre et contestation des crimes contre l’humanité) ou pour racisme (provocation à la haine, à la discrimination et aux violences raciales). . Et de fait, sa philosophie essentialiste aux connotations racistes irrigue son Mémoirespar exemple lorsqu’il déclare notamment que “le monde blanc est en train de mourir” en raison d’un « grand remplacement recherché et organisé ».
Soupçonné d’abus de faiblesse
Sa vie privée, comme sa vie politique, a une face sombre autour de l’héritage du cimentier Hubert Lambert (dit Saint-Julien). Ce membre du FN, décédé en 1976, est à l’origine de la fortune personnelle de Jean-Marie Le Pen, dont le domaine Montretout à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine). Le président du Front national était soupçonné d’avoir abusé de sa faiblesse pour s’emparer de cet héritage, alors que l’affaire s’était soldée par un accord à l’amiable avec la famille Lambert, ainsi que de fraude fiscale pour en avoir dissimulé une fraction à l’étranger.
Au fil du temps, le Front National est devenu un « front familial ». La famille Le Pen a été marquée très tôt par l’engagement public de Jean-Marie, marié en juin 1960 à Pierrette Lalanne. Le 2 novembre 1976, leurs filles, Marie-Caroline (née en janvier 1960), Yann (novembre 1963) et Marine (août 1968), se trouvaient dans leur appartement lorsque leur immeuble fut détruit par une bombe. En octobre 1984, Jean-Marie Le Pen est quitté par son épouse qui suit son biographe (le divorce est prononcé en 1987). Elle posera vêtue d’un seul tablier de bonne dans Playboypuis se présente aux élections législatives de 1986 sous l’étiquette d’un mouvement dissident.
Les trois filles rejoindront le FN, où elles retrouveront l’homme de leur vie. L’aînée, Marie-Caroline, quitte cependant le clan à la suite de la scission de Bruno Mégret en 1998. L’élément déclencheur de la rupture est aussi d’ordre familial : Jean-Marie Le Pen annonce que, s’il était déclaré inéligible aux élections européennes de 1999, , la tête de liste serait Jany Paschos, qu’il a épousée en 1991. Une véritable déclaration de guerre contre le « numéro deux » qui se voyait un jour réussir à la tête d’un pays modernisé. et une formation professionnalisée. “Il n’y a qu’un seul numéro au FN, c’est le numéro un”insiste Jean-Marie Le Pen. Un principe qui restera vrai jusqu’à ce qu’il trouve un héritier dans sa propre famille.
Des hauts et des bas avec Marine Le Pen
En janvier 2011, Marine Le Pen lui succède à la présidence du parti. La préférence familiale prévaut : le père soutient sa fille cadette plutôt que Bruno Gollnisch, avec qui il a davantage d’affinités idéologiques. Jean-Marie Le Pen ne quitte pas pour autant la vie politique puisqu’il devient président d’honneur.
Marine Le Pen succède à son père à la tête du FN, au congrès du parti à Tours, en janvier 2011. / Cyril Chigot
Sa présence contrecarrera néanmoins la volonté de « diaboliser » le nouveau numéro un. En 2015, lors du traditionnel défilé du 1er-Mai, Jean-Marie Le Pen criait “Jeanne, au secours !” » devant la statue de la place des Pyramides, à Paris. Il monte ensuite sur le podium, juste avant le discours de Marine Le Pen, en levant les bras en signe de victoire. C’est trop. Entre Le Pens, la guerre n’est plus seulement froide. Aux élections législatives de 2017, le père va même parrainer des candidatures concurrentes de celles du FN.
Au moment de sa mort, l’héritage politique de Jean-Marie Le Pen était double. D’une part, il reste toujours présent au Front national – devenu Rassemblement national – à travers le patronyme Le Pen. En revanche, ses provocations et son extrémisme se sont encore poursuivis depuis la présidentielle de 2022 à travers Éric Zemmour, nouveau représentant électoral et médiatique de l’extrême droite la plus dure.