Ce mardi 7 janvier, Jean-Marie Le Pen est décédé à l’âge de 96 ans. Figure historique de l’extrême droite en France, il avait atteint le second tour de l’élection présidentielle en 2002.
Jean-Marie Le Pen, figure de l’extrême droite française et finaliste de l’élection présidentielle de 2002, est décédé mardi à l’âge de 96 ans à Garches (Hauts-de-Seine), dans un établissement où il y avait été admis il y a plusieurs semaines.
Sa famille a envoyé une déclaration à l’AFP
“Jean-Marie Le Pen, entouré de sa famille, a été rappelé à Dieu ce mardi midi”, a déclaré sa famille dans un communiqué transmis à l’AFP.
Tribun hors pair, provocateur sulfureux obsédé par l’immigration et les Juifs, patriarche bouleversé par son propre peuple, Jean-Marie Le Pen a sorti l’extrême droite française de sa marginalité au cours d’une carrière politique qui a marqué la Ve République.
Le « Menhir » n’a jamais exprimé le moindre regret pour ses dérapages, maîtrisés ou non, souvent répétés, qui lui ont valu plusieurs condamnations judiciaires : chambres à gaz “détail de l’histoire”a « inégalité raciale » (1996), à travers l’occupation allemande »pas particulièrement inhumain» (2005) ou l’agression physique d’un opposant socialiste (1997). “Je vais te faire courir, tu verras, rousse… Pédé !”, s’en est encore une fois attaqué un militant hostile.
Éternel provocateur et pionnier de l’extrême droite européenne, Le Pen voulait-elle vraiment le pouvoir ? « On ne m’a jamais apporté ça sur un plateau», s’est-il victimisé.
Plus “au fond, il ne voulait pas gouverner.»croit surtout le journaliste Serge Moati qui a suivi «le diable de la République» depuis 25 ans à travers des documentaires et des livres.
« Le fait d’avoir été considéré comme un réprouvé, un exclu, un antisystème, l’a en fait aidé et lui a paradoxalement donné une popularité qui s’est progressivement traduite dans les urnes »décrypte le réalisateur.
« Un beau Front (national, ndlr) n’intéresse personne », résume ironiquement Le Pen : « avant les détails, 2,2 millions d’électeurs ; après, 4,4 millions ».
« Merde, magnifique »
Le plus emblématique de ses succès restera inachevé. Le 21 avril 2002, à 73 ans et pour sa quatrième candidature à l’Élysée, il crée la surprise en se qualifiant pour le second tour de l’élection.
Ce triomphe a son revers : pendant deux semaines, des millions de personnes défilent contre le racisme et son incarnation politique. Surtout, Jean-Marie Le Pen permet la réélection facile de son ennemi juré Jacques Chirac.
Il n’en demeure pas moins qu’en soixante ans de carrière et cinq élections présidentielles, Le Pen a réveillé une extrême droite française jusqu’alors disqualifiée par la Collaboration.
Né le 20 juin 1928 à La Trinité-sur-Mer (Morbihan), le Breton devient pupille de la Nation à l’âge de 14 ans lorsque son père, pêcheur, meurt en mer en sautant sur une mine.
A Paris, l’étudiant en droit, bruyant et bagarreur, privilégie le militantisme aux études. Il entretient des amitiés variées, du député radical italien Marco Pannella au cinéaste de la Nouvelle Vague Claude Chabrol, engagé à gauche, et qui verra à la tribune un “putain de merde magnifique”.
Le Pen se rend ensuite en Indochine, où il se lie d’amitié avec une future légende du cinéma, Alain Delon. De retour à Paris, en 1956, à 27 ans, il devient le plus jeune député à l’Assemblée nationale sur les listes poujadistes, dans une Quatrième République sur le déclin. Puis il repart, cette fois en Algérie, où il sera accusé de torture – ce qu’il conteste.
Anticommuniste viscéral, M. Le Pen a mené la campagne présidentielle de l’avocat d’extrême droite Jean-Louis Tixier-Vignancour en 1965, puis a été nommé en 1972 à la tête d’un nouveau parti regroupant les néofascistes : le Front national.
Le Pen, marionnette de l’Ordre Nouveau, ce groupuscule qui cherchait un «façade« respectable en la personne de cet ancien parlementaire ? Peut-être.
Mais le tribun, le visage couvert d’un bandeau après avoir perdu un œil dans un accident domestique, se révèle stratège et finit par s’imposer comme le leader de jure et de facto de cette machine électorale. Et il a choisi le même emblème que celui du MSI, le parti italien resté fidèle à Mussolini : une flamme tricolore.
«Je prends la responsabilité de tout»
Premiers succès dès les élections municipales de 1983, et un thème de prédilection sans cesse répété : «Un million de chômeurs, c’est un million d’immigrés de trop.»
L’année suivante, il frôle les 11% aux élections européennes – aidé, déplore la droite, par le président socialiste François Mitterrand qui lui a ouvert grand les portes des plateaux de télévision pendant la campagne.
Les slogans se succèdent : « Les Français d’abord », Alors “Le Pen, le peuple”, lui qui est devenu millionnaire après avoir hérité en 1976, notamment d’un hôtel particulier dans le prolongement des beaux quartiers parisiens.
Mais à côté des fastes – 15 % aux élections présidentielles de 1988 et 1995 -, celui qui gère le FN comme « une boutique familiale » et sa famille comme une entreprise politique, doit endurer les misères des divisions.
À la fin des années 1980, sa fierté est mise à mal lorsque sa femme et mère de ses trois filles le quitte brusquement avant de poser nue dans le magazine Playboy – la blague anti-lépéniste française.
Dix ans plus tard, alors que le successeur Bruno Mégret tentait en vain de prendre parti, Le Pen démentait en direct au 20 heures de TF1 la fille promise à l’héritage politique, Marie-Caroline. Sa faute ? Ayant suivi son mari mégrétiste.
C’est finalement la cadette de la fratrie, Marine, qui est choisie pour reprendre le flambeau.
Devenue présidente du FN en 2011, Le Pen se veut loyale : “Je prends toute l’histoire de mon parti et j’assume la responsabilité de tout.”
« Durafour… crématorium » –
Le passif est néanmoins lourd, Le Pen père ayant notamment fait preuve tout au long de sa carrière d’une obsession pour les Juifs. En 1958, il rappelle l’ancien chef du gouvernement Pierre Mendès France « un certain nombre de répulsions patriotiques et presque physiques ».
Condamné à la fin des années 1960 pour apologie des crimes de guerre après avoir publié un disque de chansons du Troisième Reich, c’est en 1987 qu’il compare pour la première fois la Shoah à «un détail de l’histoire« . Un an plus tard, il ose jouer sur les mots avec le nom du ministre Michel Durafour : «…crématorium!”
“Un certain nombre de juifs considèrent qu’ils ont une immunité qui est liée à ce trait et que d’autres leur doivent une sorte de révérence, certains même une prostration particulière”il a déploré en 1991.
Dans ses Mémoires, il déclare : “L’antisémitisme garantit l’homogénéité du groupe juif, les sionistes le savent.”
Mais quand en 2015, Jean-Marie Le Pen promettait un avenir »lot» À Patrick Bruel, Marine Le Pen estime que le « président d’honneur » du Front national va à l’encontre de la stratégie de diabolisation du parti.
Voiture le “la pénisation des esprits« trouve ses limites : certes, le Menhir s’est imposé dans le paysage politique français et a ouvert la voie à la montée des mouvements nationalistes et populistes en Europe. Mais ses excès l’ont inexorablement marginalisé, empêchant toute alliance, tant en France qu’au Parlement de Strasbourg.
La fille chérie a finalement exclu son père du mouvement qu’il avait fondé quarante-trois ans plus tôt – aux côtés d’un ancien Waffen-SS, Pierre Bousquet – puis a rebaptisé le parti Rassemblement national.
“Un suicide”commente Le Pen, fustigeant les purges contre les éléments les plus radicaux du mouvement, lui qui avait théorisé le rassemblement de toute l’extrême droite, des catholiques traditionalistes aux néo-païens, en passant par les nostalgiques de Vichy et même les néo-nazis inclus.
La guerre familiale, dûment mise en scène devant les médias et les tribunaux, s’estompe au fil des années. Même avec l’ex-femme, de nouveau hébergée dans l’ancien domicile conjugal, ou Marion Maréchal, la petite-fille qui avait défié son autorité en refusant de se présenter à nouveau aux législatives de 2017 : tous sont pardonnés.
« Un vacarme continu »
Depuis son bureau du manoir de Montretout ou, de plus en plus souvent, depuis le domicile de sa nouvelle épouse, Jany, à Rueil-Malmaison, à l’ouest de Paris, Jean-Marie Le Pen reçoit ces dernières années avec vengeance. Entre deux chansons fredonnées, il a laissé entendre qu’il voterait pour Eric Zemmour à la présidentielle de 2022.
Un an plus tard, une crise cardiaque l’oblige à abandonner la vie sociale. Dès février 2024, ses trois filles Marie-Caroline, Yann et Marine avaient été désignées pour gérer ses affaires courantes, dans le cadre d’une protection juridique proche de la tutelle.
Alors que le RN triomphait aux élections européennes de juin de la même année, une dissolution providentielle faisait naître la possibilité que sa fille Marine prenne l’extrême droite au pouvoir, un rêve auquel il avait enfin commencé à croire mais qui s’est à nouveau brisé. sur un « front républicain ».
La défaite s’accompagne d’un déclin inexorable de la santé du Menhir : “insuffisance cardiaque”, «profonde détérioration de ses capacités physiques et psychologiques», avaient identifié des experts appelés pour déterminer s’il pouvait se présenter à la « maxi-procès » du Front National dans l’affaire des assistants des députés européens lépénistes.
“Aucune connaissance de l’objet, du sens et de la portée de cette audience”, ont encore conclu les médecins, ne laissant répondre que Marine Le Pen et vingt-quatre autres personnalités du parti d’un vaste prétendu système de détournement de fonds européens au profit de la formation.
Pour ses obsèques, Jean-Marie Le Pen avait exigé « Le concerto en ré majeur de Beethoven pour violon et orchestre ». Lors de sa première représentation, il y a deux siècles, les critiques y voyaient une œuvre manquante.de cohérence », “une accumulation dense et disjointe d’idées » et « un tumulte continu ».