Le pilier de l’extrême droite française et père de Marine Le Pen est décédé le 7 janvier 2025, à l’âge de 96 ans. De la Martinique à la Nouvelle-Calédonie, le fondateur du Front national n’a jamais réussi à percer dans les territoires d’outre-mer, contrairement à sa fille. Retour sur son parcours hors de France.
Un monstre politique a disparu. Vilnié par les uns pour ses débordements racistes, homophobes et négationnistes, adulé par les autres pour sa vision d’une France forte, chrétienne et libérée de ses migrants, la mort de Jean-Marie Le Pen, le 7 janvier 2025, marque la fin de l’épopée inachevée de le père de l’extrême droite française. S’il a su imposer le nationalisme et la nostalgie du colonialisme dans le débat public, le Père Le Pen n’a jamais su conquérir le pays. Et encore moins à l’étranger.
L’homme à l’œil de verre, né dans le Morbihan en 1928, se décrit souvent comme un aventurier. Un marin. Sa première relation avec un pays d’outre-mer relève davantage d’un récit d’aventure que de conquête politique. Dans les années 1970, Jean-Marie Le Pen prend son bateau et traverse l’Atlantique et le Pacifique, direction les îles Marquises, en Polynésie française. Juché sur son voilier, le bon marin breton passe le temps en griffonnant dans son carnet “les mondes perdus de son enfance”, comme il le raconte dans Le Figaro en 2015.
Avec qui voyage-t-il ? Depuis combien de temps est-il parti ? Le lieutenant, avocat et homme politique donne peu de détails sur ce grand voyage. Sauf que le voyage fut long et laborieux. « Quand le bateau arrive enfin en Polynésie, l’équipage est à bout de ressources »raconte le quotidien de droite.
Jean-Marie Le Pen a ensuite débarqué dans le port de Hiva Oa, juste à côté du navire de Jacques Brel, le chanteur belge aujourd’hui enterré aux Marquises. “Nous avions échangé quelques points de vue, il nous a indiqué un restaurant de homard et j’ai remarqué qu’il avait une grosse cicatrice sur la poitrine”se souvient le fondateur du Front national (FN), le parti qu’il a créé en 1972.
Au-delà de cet heureux souvenir, l’histoire de Jean-Marie Le Pen et des Outre-mer est avant tout mouvementée et conflictuelle. Il raconte surtout l’éternel bras de fer entre les anciennes colonies françaises et la nostalgie de l’Empire français. Comme tout prétendant à la fonction la plus prestigieuse de l’Etat – Président de la République – c’est d’abord en tant que candidat et représentant de sa mouvance politique que Jean-Marie Le Pen tente à plusieurs reprises de fouler les terres outremer. Mais l’opposition de la population le fait parfois rapidement reculer.
En 1987, le chef du parti d’extrême droite décide d’exporter sa campagne pour l’élection présidentielle de l’année suivante aux Antilles. Pourtant, l’ancien militaire s’est déjà fait un nom pour ses pensées xénophobes et négationnistes. Il arrive donc en territoire hostile. D’autant plus hostile que, juste avant de se rendre en Martinique, il n’a pas manqué de souligner avec force les origines martiniquaises du “tueur de vieilles dames”Thierry Paulin, qui a assassiné une vingtaine de personnes à Paris entre 1984 et 1987.
La gauche locale voit d’un mauvais oeil l’arrivée de cette bête politique. Un front martiniquais anti-Le Pen se constitue alors, regroupant le collectif « Contre le racisme et le fascisme » et le comité « Le Pen Déwo » (Le Pen out), dirigé par les indépendantistes.
Jean-Marie Le Pen, alors député européen FN, avait invité ses amis de l’extrême droite du Parlement européen à un congrès qui devait se tenir le 7 décembre à l’hôtel Méridien, aux Trois-Îlets, commune du sud de l’île.
Le 6 décembre, un employé de l’aéroport d’Orly, en France, a révélé la vérité et indiqué que le candidat à la présidence française était monté à bord d’un avion d’Air France, à destination des Caraïbes. Une foule de manifestants s’est alors dirigée vers Fort-de-France, espérant empêcher l’atterrissage de l’avion en envahissant le tarmac de l’aéroport. C’est une réussite. Le Pen fait marche arrière. Le jour de l’élection présidentielle, quelques mois plus tard, seulement 1,17 % des votants ont inscrit son nom dans les urnes. Bien loin des 14,4% perçus au niveau national.
Récit de cette journée du 6 décembre 1987 avec Martinique La 1ère :
La Martinique ne s’est jamais bien entendue avec l’homme politique nationaliste. Dix ans après le mouvement « Le Pen Déwo », en décembre 1997, le frontiste retente sa chance. Mais il est violemment agressé à l’aéroport. Officiellement, le Père Le Pen n’était sur l’île que pour transiter vers Porto Rico, sachant pertinemment qu’il n’était pas le bienvenu dans le département des Antilles. Sur place, il est harangué par des militants. Les coups et les insultes pleuvent. RFO Martinique avait capturé les images de l’altercation :
Outre-mer, si certains Ultramarines ont tendu le poing pour exprimer leur rejet du lépénisme, d’autres ont au contraire noué des relations amicales avec Jean-Marie Le Pen. C’est le cas de Maurice Brasier, Réunionnais et militant dès le début du Front National sur l’île de l’Océan Indien. Le restaurateur accueillait régulièrement chez lui l’homme politique d’extrême droite.
En 2014, celui qui est devenu président d’honneur du Front national après la reprise du parti par sa fille Marine, s’est également ému du décès de l’ancien député de La Rencontre Jean Fontaine. Entre 1984 et 1986, ce dernier rejoint le FN, devenant ainsi son tout premier représentant réunionnais à l’Assemblée nationale.
Le patriarche savait également utiliser à son avantage les personnalités politiques étrangères. Surtout quand ils défendaient l’unité et la grandeur de la France, son credo. En 2013, le sénateur néo-calédonien Dick Ukeiwë est décédé. Représentant des Kanaks favorables au maintien du Caillou dans le giron français, l’homme a ensuite reçu les hommages de Jean-Marie Le Pen.
Même si nous avions des divergences puisque nous n’appartenions pas au même groupe politique, M. Dick Ukeiwé est toujours resté fidèle à son attachement à la patrie et a défendu la Nouvelle-Calédonie française avec passion et conviction.
D’ailleurs, ce n’est qu’en Nouvelle-Calédonie que le parti breton obtient ses « bons » scores outre-mer. Nous sommes alors en 1988. L’archipel est déchiré lors des événements qui opposent indépendantistes et non-indépendantistes. Comme tout parti extrémiste, le FN surfe sur les divisions de la société pour engranger des voix. Deux jours après la prise d’otages d’Ouvéa, en 1988, les listes frontistes obtiennent 22 % des voix aux élections régionales. Un record. Le FN remporte ainsi 8 sièges au Congrès (sur les 48 que compte l’assemblée locale). La même année, 13 % des votants soutiennent Jean-Marie Le Pen au premier tour de l’élection présidentielle.
Mais, avec le tournant de la paix et la signature des accords de Matignon (1988) et de Nouméa (1998), les tensions politiques se sont apaisées. Ce qui n’arrange pas Jean-Marie Le Pen, qui perd des voix. Sa percée calédonienne n’était que temporaire.
D’une manière générale, le père Le Pen ne parvient pas à convaincre les Ultramarines lors des élections. Et pour preuve : même lors du séisme politique de 2002 – qui l’a vu se qualifier pour le second tour de l’élection présidentielle, une grande première pour un parti d’extrême droite – les territoires d’outre-mer ont affiché un rejet total. au candidat du premier tour. Dans les DOM-TOM, les scores de celui qui a obtenu 16,86% des voix au niveau national frisent le ridicule : 2,94% en Guadeloupe, 1,75% en Martinique, 4,99% en Guyane, 3,81% à La Réunion, 2,53% à Mayotte, 0,77% à Wallis et Futuna et 4,21% en Polynésie française… Uniquement en Nouvelle-Calédonie (10,84%) et Saint-Pierre et Miquelon (13,39%) dépassent-ils la barre des 10%.
Cependant, le vent s’est inversé. La barrière naturelle des Ultramarines contre l’extrême droite n’est plus aussi solide aujourd’hui. Si Jean-Marie Le Pen, figure incontestablement importante de la vie politique française, a su imposer des idéaux nationalistes et ethnocentriques dans le pays, c’est sa fille, Marine Le Pen, qui a réussi à transformer l’essai. Y compris à l’étranger.
Par deux fois, le candidat du Rassemblement national (nouveau nom donné au FN) s’est qualifié pour le second tour de l’élection présidentielle, en 2017 et en 2022. Sondage après sondage, la France vire au marron. Les campagnes et les villes moyennes ont pris le virage RN. Lors des dernières élections législatives, l’extrême droite a même réalisé une percée historique à l’Assemblée nationale. Avec 125 députés, il constitue le premier groupe au Palais Bourbon. Et compte même deux élus d’Outre-mer : un de La Réunion, Joseph Rivière, et un de Mayotte, Anchya Bamana. Du jamais vu auparavant.
Symptôme d’un désaveu croissant des populations ultramarines envers le pouvoir central, le RN devient de plus en plus attractif outre-mer. Les électeurs étrangers ignorent le passé raciste de son fondateur. Lorsque Jean-Marie Le Pen a reçu un coup de poing au visage à son atterrissage en Martinique, sa fille s’est mis des colliers de fleurs autour du cou au son de chants traditionnels à son arrivée à Mayotte. Une chose est sûre : hors de France, le nom de Le Pen ne fait plus peur.