Coco, Luz, Pelloux… Que deviennent les survivants de l’attentat de Charlie Hebdo, 10 ans après le drame ?

Luz, auteur de plusieurs bandes dessinées depuis l’attentat du 7 janvier 2015, fait partie des survivants de Charlie Hebdo (Bertrand GUAY / AFP)

Ils sont toujours debout, dix ans plus tard, pour soutenir leur « indestructible ! hebdomadaire, comme le proclame la Une du prochain numéro spécial de 32 pages de Charlie Hebdo, qui doit paraître ce mardi 7 janvier. Disponible en avant-première, le dessin présente un lecteur assis sur un fusil d’assaut, comme un témoignage vivant de une envie de faire rire et de provoquer, toujours aussi forte dix ans après le drame.

Le 7 janvier 2015, 12 personnes, dont 8 membres de la rédaction, sont tuées dans les locaux de Charlie Hebdo à Paris, 11 autres sont blessées. Le journal était la cible de menaces jihadistes depuis la publication de caricatures du prophète Mahomet en 2006. Parmi les victimes, on comptait les illustrateurs Cabu, Charb, Honoré, Tignous, Wolinski et l’économiste Bernard Maris, mais aussi deux policiers. Les frères Kouachi, auteurs de l’attentat islamiste, ont été abattus le même jour par la police alors qu’ils tentaient de s’enfuir. Derrière eux, ils laissent un pays sous le choc, des familles en deuil mais aussi plusieurs survivants. Si certains soutiennent toujours Charlie, d’autres ont pris leurs distances.

Il fut le premier abattu par les frères Kouachi. Lors du procès de septembre 2020, Simon Fieschi, le webmaster de Charlie Hebdo, était monté à la barre pour décrire l’effet d’une « balle de Kalachnikov dans le corps ». Touché par deux balles le 7 janvier 2015, Simon Fieschi était complètement, puis partiellement paralysé, et nécessitait une béquille pour pouvoir marcher, après plusieurs mois de soins intensifs.

“Je n’ai aucune envie d’offrir ma douleur à ceux qui ont tout fait pour me l’infliger, et en même temps je n’ai aucune envie de cacher les conséquences de ces actes”, a-t-il témoigné en 2020 devant le tribunal aujourd’hui, je je suis en post-traumatisme et j’y resterai toute ma vie.

Père d’une petite fille née en 2019, Simon Fieschi a été retrouvé mort à 40 ans, dans la chambre d’un hôtel parisien, le 17 octobre 2024.

Blessé par balles aux jambes, à la hanche et à l’épaule, le chroniqueur de Charlie Hebdo a survécu. C’est la deuxième fois qu’il échappe à un attentat, la première ayant eu lieu en 1985. Il ressort ensuite blessé d’un attentat à la bombe dans un cinéma parisien, lors du Festival international du cinéma juif (18 blessés). Des éclats de bombe sont toujours coincés dans son pied gauche.

Après celui de Charlie Hebdo, de nouveaux fragments ont été ajoutés au corps. Depuis, ses témoignages sont devenus rares. “Contrairement à mes amis morts qui se sont relevés et ont offert leur torse aux tueurs, je me suis jeté en arrière en tirant la table sur moi”, a déclaré devant la cour d’assises de Paris le grand reporter écologiste (anciennement Arrêt sur Images, Télérama et le Canard enchaîné). .

Ce lundi 6 janvier, dix ans après le drame, le journaliste de 69 ans a évoqué sur franceinfo “la obsédante mémoire des morts”. Celui qui travaille toujours dans les locaux désormais secrets et ultra-protégés de Charlie Hebdo dit produire le journal « dans des conditions épouvantables ».

« Me quitter serait une forme de désertion (…) Ce journal incarne un combat universel, pour tout le , pas seulement pour les petites frimousses de Charlie. On a résisté, on a tenu, on continue à dire, on a maintenu le journal envers et contre tout et qu’on le veuille ou non, c’est comme ça que Charlie est vivant.

C’est à l’épaule que Laurent Sourisseau, alias Riss, a pris le coup des frères Kouachi le 7 janvier 2015. « Dans l’ambulance, je parlais tout le temps parce que j’avais l’impression que si j’arrêtais de parler, j’allais en fait, je n’étais pas sûr d’être encore en vie », a-t-il déclaré lors du procès cinq ans plus tard. “Personne ne peut comprendre ce qu’on ressent, ce qu’on a ressenti quand on est aux portes de la mort (…) La sensation immédiate, c’est d’avoir été coupé en deux, on est dépossédé”.

Désormais sous protection policière, il a renoncé à adopter un enfant avec sa femme et a mis toute son énergie, comme son collègue Fabrice Nicolino, dans la renaissance de Charlie Hebdo – un combat pour la « liberté » selon ses propres mots. A 58 ans, il est à la fois propriétaire, directeur de publication et directeur éditorial du journal satirique, succédant à Charb. Pour le numéro hommage des dix ans, il publie des dessins de ses anciens collègues assassinés : « Je voulais montrer tout ce que nous avons perdu. Leur esprit critique qui manque et ça me manque”, explique-t-il à TF1 ce lundi.

« Nous sommes des survivants. Uni. Pour la vie», assurait Corinne Rey, caricaturiste à Charlie Hebdo et Libération, dans un entretien à Madame Le Figaro il y a un an. Depuis dix ans, elle porte à son actif la liberté d’expression. Nous sentons que nos libertés sont de plus en plus menacées. (…) Plus que jamais, nous devons nous battre.»

Il y a dix ans, les frères terroristes l’ont forcée à saisir le code de la porte sécurisée, quelques minutes avant le meurtre. « Ils m’ont dit : ‘On veut Charlie Hebdo, on veut Charb.’ attaques dans un album intitulé « Draw Again ».

Dans une interview au Monde ce 6 janvier, elle raconte comment le dessin l’a sauvée, ses débuts chez Charlie et sa vision d’un métier à risque. « Je suis sorti de la boucle infernale, mais le 7 janvier continue de me hanter en permanence. Ce qui est aussi difficile à accepter, dix ans après, c’est le sentiment d’impuissance. (…) Il y avait une disproportion dans tout. Leur haine, notre pacifisme», constate l’activiste illustrateur de 42 ans, également sous protection policière permanente.

Ses témoignages sont rares. Le jour de l’attentat, le journaliste de Libération et chroniqueur de Charlie Hebdo a été grièvement blessé au visage et a dû subir de multiples opérations chirurgicales. Quelques mois plus tard, il raconte aux Inrocks qu’il a frôlé la mort, avant de faire lui-même le mort alors qu’il était à terre. “Si je n’avais pas montré à Cabu un livre de jazz que je serais parti une minute plus tôt, je serais tombé sur les frères Kouachi à l’entrée, et je ne pense pas que je serais là pour parler d’eux.”

En 2018, Philippe Lançon racontait son histoire de reconstruction dans son livre « Le Lambeau ». Aujourd’hui, il continue d’officier à Charlie Hebdo – « une balle dans la mâchoire m’a rendu moins agressif », s’amuse-t-il sur le site du journal.

Philippe Lançon is still a journalist at Libération and Charlie Hebdo (Christophe ARCHAMBAULT / AFP)

Le chroniqueur juridique et ancien avocat se trouvait dans la salle de rédaction au moment de l’attaque. Selon son témoignage, l’un des terroristes l’a épargnée après l’avoir prise pour cible, sous prétexte « qu’elle était une femme ». Sortie indemne de l’agression, elle a raconté son traumatisme devant le tribunal en 2020 : “Dans les bars, je donne toujours un coup de pied sous le siège pour voir s’il est creux et si je peux me cacher”.

En 2018, alors qu’elle revenait de Djibouti, où elle a également passé une partie de son enfance, elle se retrouve par hasard sur le même vol que Peter Cherif, le cerveau des attentats, qui vient d’être arrêté. En septembre 2024, tous deux se retrouveront devant la cour d’assises de Paris. Elle le confronte. «J’entends votre chagrin et votre douleur. Je vous exprime ma compassion”, répond-il, évoquant également que “c’est le destin”. Depuis, pour s’éloigner des lieux du massacre, Sigolène Vinson vit près de la mer, à Martigues, lieu qui a inspiré plusieurs romans.

La romancière Sigolène Vinson a écrit plusieurs ouvrages et vit à Martigues (JOEL SAGET / AFP)La romancière Sigolène Vinson a écrit plusieurs ouvrages et vit à Martigues (JOEL SAGET / AFP)
La romancière Sigolène Vinson a écrit plusieurs ouvrages et vit à Martigues (JOEL SAGET / AFP)

La première, Luz, était absente car c’était son anniversaire. Le second, Patrick Pelloux, était occupé à ses obligations de médecin urgentiste. Leur absence à la rédaction ce jour-là leur a sans doute sauvé la vie. La semaine qui a suivi l’attentat, le dessinateur emblématique Luz a redessiné Mahomet à la Une de Charlie Hebdo, avant de quitter le journal quelques mois plus tard, après 23 ans de collaboration.

Profondément affecté par la perte de ses amis, il publie d’abord l’album « Catharsis ». En préambule, il écrit : « Un jour le dessin m’a quitté, le même jour qu’une poignée d’amis chers. La seule différence, c’est qu’il est revenu. Petit à petit. À la fois plus sombre et plus clair. En dix ans, il publie à nouveau « Indélébiles », le récit de ses deux décennies à Charlie Hebdo, et se consacre de plus en plus à la bande dessinée, pour « contrer la douleur ».

Patrick Pelloux, chroniqueur régulier du journal satirique depuis 2004, est arrivé rapidement sur les lieux du massacre, en compagnie des pompiers. “C’était un carnage” décrit-il au moment du procès de 2020. “Nos blessures physiques et psychologiques ne sont toujours pas cicatrisées et se rejoignent en souffrance”, témoigne l’urgentiste qui regrette de ne pas avoir pu sauver ses amis. Peu de temps après, il cesse sa participation au journal et poursuit son travail au Samu de Paris. En 2024, il est accusé de violences verbales et sexuelles répétées dans le cadre de son travail.

Patrick Pelloux et Luz, absents le jour de l'attentat du 7 janvier 2015 (FRANCOIS GUILLOT / AFP)Patrick Pelloux et Luz, absents le jour de l'attentat du 7 janvier 2015 (FRANCOIS GUILLOT / AFP)
Patrick Pelloux et Luz, absents le jour de l’attentat du 7 janvier 2015 (FRANCOIS GUILLOT / AFP)

D’autres membres de la rédaction de Charlie Hebdo ont survécu à la journée du 7 janvier 2015. C’est le cas du journaliste Laurent Léger, qui s’est jeté derrière une table et a pu donner l’alerte par téléphone après la tuerie. .

D’autres collaborateurs étaient absents ou non présents ce jour-là, comme le critique de cinéma Jean-Baptiste Thoret, l’humoriste Mathieu Madénian, ou encore la journaliste franco-marocaine Zineb El Rhazoui, qui se trouvait à Casablanca au moment des faits. Très engagée dans la lutte contre l’islamisme, elle a depuis quitté le journal. Ces derniers mois, elle a fait l’objet d’une enquête pour apologie du terrorisme, après ses propos sur le conflit entre Israël et Gaza.

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

PREV l’armée israélienne annonce avoir rapatrié le corps d’un otage
NEXT Denis Bertrand prend la direction de l’ESTACA