En croisant les paroles de ceux qui ont vécu les attentats de 2015, un documentaire révèle les liens qui les unissent. Rencontre avec Agnès Pizzini, l’une des deux co-réalisatrices.
By Isabelle Poitte
Publié le 5 janvier 2025 à 18h00
QQu’ont-ils fait, qu’avons-nous fait de 2015, de cette année qui s’est ouverte sur l’attentat meurtrier contre la rédaction de Charlie Hebdo et enfermé dans l’horreur des massacres du Bataclan ? Plus qu’un film commémoratif, Attentats de 2015 : ce qui nous lie, diffusé sur M6, donne la parole en exclusivité à ceux qui ont vécu en première ligne les attentats terroristes, pour en explorer l’empreinte indélébile. Réalisatrices Claire Denavarre et Agnès Pizzini (L’Affaire Outreau) a initié un échange inédit entre eux au sein de groupes de discussion, où se répondent les expériences et parcours personnels de victimes, secouristes ou policiers, révélant le lien indicible qui les unit. Agnès Pizzini revient sur le développement délicat de ce film à la résonance profonde.
Découvrez la note et l’avis
«Attaques 2015 : ce qui nous lie» : le documentaire qui tisse un lien entre ceux qui les ont vécus
La vie après
« Un producteur de la société ZED m’a demandé de réaliser un film mémoriel, qui reviendrait sur les attentats de 2015. Il m’a tout de suite semblé plus pertinent de m’intéresser à ces dix années qui se sont écoulées. Le moment était venu de rencontrer les victimes directes pour leur demander comment elles vivent ou comment elles survivent après cela. Je me suis inévitablement demandé ce qui pouvait relier un survivant de Charlie Hebdo à un survivant du Thalys ou du Bataclan… La réponse est venue dès le premier entretien. Christophe Molmy, qui était à la tête de la BRI lors de l’attaque de l’Hypercacher et du Bataclan, s’en est exprimé “quelque chose d’indicible” qui relie tous ceux qui ont vécu ces événements, les victimes directes, mais aussi les policiers, les secouristes, les membres des secours, les politiques présents sur les lieux… De là est né ce projet, né d’une envie un peu instinctif, avait du sens. »
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Témoignages inédits
« Avec ma coréalisatrice, Claire Denavarre, nous avons voulu donner la parole à des témoins qui n’avaient jamais pris la parole, parce qu’ils n’avaient pas trouvé jusque-là l’envie, la force, la possibilité de le faire. Il a donc fallu les identifier, notamment à partir des comptes rendus du procès des attentats du 13-Novembre au cours duquel de nombreuses victimes ont pris la parole pour la première fois à la barre. Il y a ensuite eu plusieurs rencontres avant le tournage. Je travaille dans la durée pour établir un lien de confiance avec les gens que je filme, pour explorer avec eux des thématiques, pour parvenir à une qualité de parole qui, je pense, se retrouve dans le film. C’est parfois après trois ou quatre échanges qu’on voit naître une confiance, une remarque inattendue qui nous frappe. »
Groupes de discussion
«C’était un pari. Le très beau film de Jeanne Herry Je verrai toujours tes visages, qui présente ce type de dispositif dans le cadre de la justice réparatrice, a été une source d’inspiration. Lorsque nous avons formulé nos demandes d’entretiens en évoquant la possibilité d’organiser des groupes de discussion, les réponses ont souvent été enthousiastes. Y compris pour des politiques comme Bernard Cazeneuve, François Hollande ou Anne Hidalgo. Nos témoins voulaient tous se réunir et discuter. Ils nous ont donné beaucoup de leur temps. Ces rencontres ont été intenses et illustrent mieux que n’importe quel discours la raison d’être du film : ce qui les lie. »
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Le fardeau du traumatisme
« Le film montre qu’il n’existe pas de voie unique vers la reconstruction. Il est intéressant, par exemple, d’entendre Riss, le directeur de Charlie Hebdo, dire que c’est encore plus dur dix ans plus tard. Nous ne pouvons pas prédire l’impact de ces événements sur chacun des survivants. Les plus touchés ne sont pas forcément ceux qu’on pense. Stéphanie Zarev, qu’on entend dans le film, a quitté le Bataclan très vite, elle n’a pas été blessée physiquement. Mais elle reste sans doute bien plus marquée psychologiquement que Gaëlle, une autre survivante, qui a été grièvement blessée au visage et à la main. »
La notion de victime
« Le statut de victime est complexe. Certains l’ont d’abord refusé, puis l’ont accepté ; chacun mène son propre voyage. Lorsque nous avons commencé à travailler sur le film, nous ne pensions pas vraiment aux policiers ou aux secouristes en ces termes. L’ancien patron de la BRI, Christophe Molmy, affirme qu’au lendemain des attentats de 2015, il ne se considérait pas comme une victime. Sa rencontre avec un pompier new-yorkais, qui avait dirigé l’évacuation des tours jumelles le 11 septembre, l’a fait évoluer sur la question. Il a été prévenu des répercussions qui pourraient survenir bien plus tard. Les pompiers de New York se sont suicidés des années après l’attaque terroriste. Intervenir dans le cadre d’une profession en se pensant préparé ne protège pas. Une prise de conscience s’est faite au sein de la police, des services médicaux et de la justice. Ces professionnels sont, je pense, mieux accompagnés aujourd’hui. »
Ce qui nous rassemble
« Le film parle aussi de l’impact de 2015 sur l’ensemble du corps social, de tous ceux qui n’étaient pas présents sur les lieux des attentats, mais qui se sont unis pour défendre des valeurs communes. L’ancien procureur François Molins l’exprime ainsi : la grande marche républicaine du 11 janvier 2015, organisée après l’attentat de Charlie Hebdoa été « la dernière manifestation d’une véritable harmonie dans notre pays ». On a peut-être un peu oublié ce moment intense où des milliers de Français sont descendus dans la rue pour exprimer leur attachement à la liberté, à la laïcité et à la liberté d’expression. Dix ans plus tard, n’est-il pas temps de s’en souvenir ? »
Attentats de 2015 : ce qui nous lie, Lundi 6 janvier, 21h10, M6