L’ancien président américain et prix Nobel de la paix Jimmy Carter, décédé dimanche à l’âge de 100 ans, occupe une place à part dans le paysage politique américain, à jamais terni par la crise des otages en Iran sur laquelle s’est achevé son unique mandat.
Sorti par la petite porte en 1981 après sa sévère défaite face au républicain Ronald Reagan, ce président démocrate, souvent moqué pour sa maladresse – sa grande naïveté diraient ses nombreux détracteurs – fut longtemps un paria au sein de son propre parti et apporta joie des dessinateurs.
Bien sûr, je pensais que j’allais mourir très vite. J’ai prié. Je n’ai pas demandé à Dieu de me laisser vivre plus longtemps, mais je lui ai demandé de me donner une attitude digne face à la mort. Et j’ai réalisé que j’étais complètement serein face à la mort
Plus de trois décennies après son départ de la Maison Blanche, une image plus nuancée a cependant progressivement émergé.
En raison de son action d’ex-président, unanimement saluée, mais aussi d’une réévaluation de certaines de ses avancées dans une période difficile, au premier rang desquelles les accords de paix entre Israël et l’Egypte.
Représentant d’une nouvelle génération d’hommes du Sud, plus tolérants, plus progressistes sur les questions raciales, Jimmy Carter restera aussi comme le président américain qui a placé la défense des droits humains au cœur de sa diplomatie.
Ce fervent baptiste au parcours atypique — d’officier de marine à homme d’affaires, de propriétaire d’une ferme familiale d’arachide à président — a pris ses fonctions dans une Amérique encore marquée par le scandale du Watergate qui avait poussé le président Nixon à la démission.
« Je suis un homme du Sud et un Américain », déclarait ce quasi inconnu de la scène politique nationale lorsqu’il se lançait dans la primaire démocrate pour l’élection présidentielle de 1976.
Son arrivée au pouvoir est pleine de promesses pour le camp démocrate qui contrôle le Congrès et la Maison Blanche pour la première fois depuis 1968.
Les deux premières années ont commencé fort, avec des cotes de popularité supérieures à celles de Ronald Reagan ou de Barack Obama au même stade de leur mandat. Il a convaincu le Sénat de ratifier les traités sur le canal de Panama en 1978, il a avancé ses pions sur la scène internationale.
Mais l’euphorie va peu à peu s’estomper et la maladresse va prendre le dessus, sur fond de deuxième choc pétrolier en 1979. Une image de ces « années Carter » restera : celle des longues files d’automobilistes qui traversent le pays, s’approvisionnent en pressé par crainte de pénurie.
En juillet 1979, Jimmy Carter prononçait en direct à la télévision un discours que ses adversaires appelaient « le discours du malaise » et qui résumait selon eux les principaux traits d’un homme naïf, pessimiste et faible.
Dans un exercice singulier, il cite longuement certaines des critiques qui lui sont adressées quant à son manque de leadership ou de vision. Partant de la crise énergétique, il élargit son propos pour évoquer une « menace quasi invisible » qui pèse sur la démocratie américaine : « Une crise de confiance ». « Les symptômes de cette crise de l’esprit américain sont partout », affirme-t-il, dans un texte au ton particulièrement sombre.
La fin de son mandat sera plombée par le cauchemar iranien : pendant 444 jours, une cinquantaine d’Américains seront détenus après la prise d’assaut de l’ambassade des Etats-Unis à Téhéran par des militants islamistes radicaux.
En avril 1980, une opération militaire héliportée pour tenter de les libérer se solde par un échec cuisant. Les otages ont été libérés le 20 janvier 1981, le jour même de l’investiture du président Ronald Reagan.
Après la défaite, son propre parti veut oublier ces années difficiles. Sa présidence sera suivie de trois mandats républicains (Ronald Reagean puis George HW Bush). À ce jour, peu de dirigeants démocrates revendiquent son héritage.
Dans la biographie équilibrée qu’il lui a consacrée, l’historien Julian Zelizer, professeur à l’université de Princeton, souligne toutes les circonstances « extraordinairement difficiles » auxquelles Jimmy Carter a dû faire face et qui l’auraient mis en difficulté « n’importe quel président ».
Mais il souligne aussi les difficultés de cet « homme politique anticonformiste » à s’adapter au pouvoir. Pour le 39e président des États-Unis, « être un étranger à Washington s’est avéré être à la fois une bénédiction et une malédiction, une opportunité et un fardeau », écrit-il.
Moqué pour ses indécisions à la Maison Blanche, la force de Jimmy Carter a été de se réinventer après avoir quitté la capitale fédérale. À tel point que cet homme au large sourire contagieux sera souvent qualifié, non sans ironie, de « meilleur ex-président » de l’histoire des États-Unis.
Lorsqu’il quitte le pouvoir en janvier 1981, à l’âge de 56 ans, ce passionné de démocratie et de justice sociale entame un nouveau chapitre avec une énergie indéniable.
A la tête du « Carter Center » qu’il a créé à Atlanta, il supervise des dizaines d’élections à travers le monde. Voyageur infatigable, on le retrouve partout : au Mexique, au Pérou, au Nicaragua ou encore au Timor oriental. En Haïti, à Chypre, en Corée du Nord, il propose ses services, se passionne inlassablement, même si les résultats sont parfois ténus.
En 2002, il a reçu le prix Nobel de la paix pour « ses décennies d’efforts inlassables en faveur de la résolution pacifique des conflits internationaux, de l’avancement de la démocratie et des droits de l’homme ».
En août 2015, Jimmy Carter a commencé la radiothérapie pour traiter les tumeurs cancéreuses au cerveau.
A cette occasion, il a résumé son parcours unique en termes simples : « La présidence a bien sûr été l’apogée de ma carrière politique (…) mais ma vie depuis que j’ai quitté la Maison Blanche a été, sur le plan personnel, plus enrichissante.
Lors d’une célébration début novembre dans son église baptiste de la petite ville de Plains (Géorgie, sud-est) où il est né et où il a vécu la majeure partie de sa vie, il est revenu, avec beaucoup de sérénité – et un peu d’humour aussi – sur cet épisode.
« Bien sûr, je pensais que j’allais mourir très vite. J’ai prié. Je n’ai pas demandé à Dieu de me laisser vivre plus longtemps mais je lui ai demandé de me donner une attitude digne face à la mort et j’ai réalisé que j’étais complètement serein face à la mort.