“A 17 ans, on ne pense pas à ça”

“A 17 ans, on ne pense pas à ça”
“A 17 ans, on ne pense pas à ça”

J’ai grandi dans une vieille maison près de Rouen, en Normandie. Mes parents l’ont acheté ensemble quand je suis né. À la mort de ma mère, j’ai hérité d’une partie de la propriété. J’avais 5 ans. Quand je suis entré en sixième année, papa est tombé malade d’un cancer. La question de l’héritage s’est toujours posée pour moi. On en parlait parfois lors des vacances en famille. J’étais en colère. Je ne comprenais pas pourquoi les gens parlaient de la mort de mon père avant qu’il ne décède. Peut-être que l’héritage est une question qu’on se pose quand on a 40 ans, qu’on a une maison et deux enfants. Mais j’avais 13 ans et je ne voulais pas y penser.

« Mon héritage était les 1 000 € que mon père m’a versé la veille de son décès »

J’étais très attaché à la maison de mon enfance. J’adorais ma chambre mansardée, juste à côté de l’atelier de peinture de mon père. C’était un endroit un peu coupé du reste de la maison, il fallait grimper sur une vieille échelle en bois pour y accéder. Papa adorait écrire et peignait depuis l’âge de 20 ans. Il avait accumulé beaucoup de tableaux, de pinceaux et de crayons qui étaient entassés sous les poutres du toit penché. C’était notre propre maison, personne d’autre n’y allait. Quand mon père s’est remarié, il y a accroché les photos et les souvenirs de ma mère. Ma mère, mon ange gardien. Quand j’étais petite, j’allais lui écrire des lettres. C’était l’endroit où je pouvais penser à elle. Et quand mon père est mort, c’est aussi là que je suis allé le retrouver.

Papa est décédé le jour où j’ai appris que j’étais admis à Sciences Po. J’avais besoin d’argent pour mes études, mais je ne voulais pas vendre la maison. Je voulais que ma belle-mère puisse rester et vivre là-bas pour faire son deuil. Mon héritage était les 1 000 € que mon père m’avait versé la veille de son décès. C’était tout ce qui lui restait sur son compte. J’avais absolument besoin d’une bourse pour pouvoir étudier à Paris, c’était ma seule option. Je me suis battu pendant cinq mois avant de l’obtenir. L’administration n’a pas compris que je pouvais être mineure et orpheline, on m’interrogeait constamment sur les revenus de mes parents ! J’étais furieux que personne ne fasse rien pour m’aider.

“J’étais seul avec moi-même pour gérer ma double licence, la succession et les difficultés financières”

À 17 ans, je devais m’occuper seule de la succession de mon père. Du coup, je suis devenu le point de contact. Je devais tout décider. Les rendez-vous chez le notaire de la maison, à la banque pour clôturer son compte, la demande d’émancipation auprès du juge aux affaires familiales… J’étais seule face à moi pour gérer ma double licence, la succession et les ennuis financiers. Chaque jour, je devais faire quelque chose ou appeler quelqu’un. J’étais épuisé, je voulais juste que ça se termine. Et je n’ai parlé à personne de ce que je vivais. À qui aurais-je pu en parler ? Je n’ai dit à aucun de mes amis que j’héritais, pas même à mon petit ami de l’époque. Et je ne suis pas sûr qu’ils y aient pensé. On n’y pense pas à 17 ans.

Deux ans après la mort de mon père, ma belle-mère m’a dit qu’elle voulait quitter la maison. Il s’agissait d’un bâtiment des années 1960, un peu humide, le vent ayant arraché quelques ardoises au toit moussu. Il aurait fallu faire beaucoup de travaux pour le conserver, c’était une charge financière pour nous. Cependant, je n’avais aucune envie de le vendre. Tous mes souvenirs avec mes parents, je les ai vécus ici, dans le grand jardin et l’atelier de peinture. Mais il fallait résoudre ce problème. À ce moment-là, c’était comme perdre mes parents une seconde fois.

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« J’ai dû faire le tri sur dix-huit ans d’existence, je ne parvenais presque à rien garder »

J’ai passé deux mois à vider la maison. Et toute la douleur que j’avais réussi à reléguer dans un coin de ma tête est revenue d’un coup. J’ai dû faire le tri sur dix-huit années d’existence, je ne parvenais presque à rien garder. Comment aurais-je pu ? Je n’avais ni appartement, ni voiture et j’allais étudier à Londres à la fin de l’été. Si j’en avais hérité à 40 ans, j’aurais pu choisir de garder plus de choses : la table que mon père a fabriquée, le grand canapé en cuir noir que nous avons eu depuis toujours, mes jouets d’enfance… J’ai même dû donner beaucoup de choses. des vêtements de ma mère que mon père avait gardés pour moi. J’en ai quand même gardé quelques-uns, dont un pull rose que je porte lors des moments importants.

Cet été-là, j’ai dit au revoir à l’atelier de peinture. Mais en partant, j’ai emporté quelques morceaux avec moi : le journal de ma mère, le chapeau de mon père, le livre qu’il m’a écrit pour mes 18 ans… Le meilleur ami de papa m’a proposé de me faire un petit espace à la maison pour que je puisse garder les livres. la bibliothèque. Cette bibliothèque était la richesse de mon père. Il m’a fait lire tous les Arsène Lupins, Le mythe de Sisyphede Camus, et son livre préféré, Petite Fadette par George Sand. Il l’a relu des dizaines de fois, au point d’abîmer les pages, jaunies avec le -. Cela m’aurait brisé le cœur de m’en séparer. A la fin de l’été, la maison a été vendue et j’ai dit au revoir à Rouen et à ma vie d’avant.

« Mon héritage est le seul filet de sécurité qui me reste »

Depuis, j’évite de revenir dans cette ville. Cela me rappelle que je n’ai plus de maison. A 20 ans, on aime rentrer chez nos parents pour se ressourcer. On aime aussi se dire que, quoi qu’il arrive, on pourra trouver refuge auprès d’eux. Je n’ai nulle part où retourner. Mon héritage est le seul filet de sécurité qui me reste. J’ai besoin de cet argent. Mais en le recevant, je l’ai vécu comme un échec. Je n’avais aucune envie d’hériter. Ma famille m’a demandé ce que j’allais en faire. J’ai choisi de ne pas y toucher. Au cas où. Je reporte le problème à plus tard. Je me sens un peu coupable d’hériter à 21 ans. Je vis de subventions, mais j’ai probablement plus d’économies que mes amis. C’est un endroit inconfortable… Je vis une phase de ma vie où je ne suis pas censé être. Alors j’agis comme si cet argent n’existait pas. Pour l’instant. J’ai dû grandir assez vite, je voulais vivre une vie étudiante normale. Et vous ne parlez pas de votre héritage autour d’un café avec vos amis.

 
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