« Je suis accro au sucre », « Je ne peux plus me passer du sucre », « J’ai l’impression que mon problème, c’est le sucre »… J’entends ces phrases chaque semaine en consultation. Avec, à chaque fois dans la voix, une note de désarroi, un sentiment d’impuissance. Comme si cette poudre blanche nous en rappelait d’autres désastreuses et interdites. Mais peut-on vraiment être accro au sucre ? Le débat fait rage dans la communauté scientifique depuis des décennies. Et c’est loin d’être résolu. Je vais vous donner mon avis et quelques clés pour vous aider à cultiver une relation plus apaisée avec les produits sucrés.
Un appétit naturel pour le sucre
Alix me jure qu’elle « mourrait pour une crème anglaise à la vanille ». Ce dessert régressif arrive en tête de la longue liste des produits sucrés qu’il consomme au quotidien. « Je suis comme une toxicomane, j’ai besoin de ma dose », m’explique-t-elle. Exemples à l’appui : parfois il quitte son travail pour aller à la pâtisserie, vole des biscuits dans les tiroirs de collègues et se lève la nuit pour manger du chocolat. Pour Rym l’envie est plus limitée : la jeune femme ne ressent le « besoin » de sucre que le soir, après une longue journée de travail. Mais pour elle, c’est déjà une forme d’addiction. « J’ai grandi avec du thé à la menthe sucré et des pâtisseries orientales, le sucre est essentiel pour moi », me confie-t-elle.
L’attirance pour le sucre est-elle innée ou culturelle ? Les deux vraiment.
L’attirance pour le sucre est consubstantielle à notre biologie. Le lait maternel est naturellement riche en sucres (notamment en lactose). Dès la naissance, les enfants adorent son goût sucré, qui procure un sentiment de satisfaction, mais surtout il apporte de l’énergie facilement assimilable, le carburant préféré de notre cerveau : le glucose. L’appétit pour le sucre est en quelque sorte une stratégie de survie : nos ancêtres recherchaient des aliments riches en sucre, comme les fruits mûrs, car ils constituaient une bonne Source d’énergie. Notre corps a été conçu pour stimuler cette envie de sucre. Sa consommation active ce qu’on appelle le système de récompense du cerveau et libère de la dopamine, l’hormone du plaisir. On essaie de retrouver ce plaisir le plus souvent possible, ce qui nous donne envie de répéter le comportement.
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La préférence naturelle prévaut donc sur le long terme, mais sera modulée par les expériences de vie et les habitudes alimentaires. Si comme Alix et Rym, nous avons été récompensés ou réconfortés par des aliments sucrés, nous associerons encore plus fortement sucre et réconfort. Un renforcement positif est mis en place qui facilite de plus en plus l’action.
Des effets (presque) identiques aux médicaments ?
Le même mécanisme que les médicaments ? Oui et non. En 2007, Serge Ahmed, directeur de recherche au CNRS, et ses équipes ont mené sur des rats des expériences qui ont fait grand bruit. Pendant plusieurs jours, les animaux pouvaient choisir entre une boisson sucrée et une dose intraveineuse de cocaïne. Résultat : 85% d’entre eux préfèrent le sucre ! « Une drogue agit sur le cerveau et nous pousse à répéter la consommation de cette substance. C’est le cas du saccharose (sucre blanc, NDLR), ce qui provoque un flash qui active le circuit de récompense », conclut le chercheur. En effet, la neuroimagerie a identifié que le sucre cible les mêmes zones du cerveau (notamment le striatum), les mêmes « médiateurs du bien-être » que les médicaments.
Mais toutes les autres caractéristiques liées à l’addiction sont-elles présentes, telles que définies par les classifications internationales ? Parmi celles-ci, « l’envie impérieuse et irrépressible de consommer la substance », aussi appelée « craving », semble efficace chez certaines de mes patientes, comme Alix. Ainsi que la « perte de contrôle sur les quantités et le - consacrés ». Mais heureusement ce dernier critère est encore rare : il est rare que l’on passe beaucoup de - à chercher un produit sucré. Pour beaucoup de mes patients qui se décrivent comme « toxicomanes », il suffit qu’il n’y ait rien dans les placards pour que l’affaire soit entendue.
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Par ailleurs, la question de « l’augmentation de la tolérance au produit addictif » est peu étayée. Très peu de mes patients ont besoin d’augmenter leur consommation de sucre pour ressentir le même bénéfice. Enfin, le critère de « l’incapacité à remplir des obligations importantes » est heureusement rarement rempli. La question du sevrage reste un sujet de débat : certes, certaines personnes se sentent malades après un arrêt brutal du sucre, mais l’effet ressenti est plus psychologique que physique (contrairement aux stupéfiants).
Une addiction comportementale traitable
L’addiction au sucre est donc réelle, mais sans doute plus comportementale que biologique. Bien sûr, nous sommes programmés pour aimer le sucre, mais la plupart d’entre nous savent très bien en manger avec (un peu) modération. Le sucre en lui-même ne nous rend donc pas accro. C’est un contexte émotionnel, des habitudes enracinées et un accès incroyablement facile à la substance qui peuvent conduire à une dépendance. Pas facile de résister à ce plaisir bon marché alors qu’il est présent à tous les coins de rue et que l’agro-industrie nous nourrit de sucres ajoutés dès la petite enfance.
Il est essentiel d’explorer le besoin qui se cache derrière cet appétit pour les sucreries.
Comment y faire face ? Stimuler notre système de récompense avec des produits autres que le sucre. Je propose à Alix et Rym de lister toutes les activités qui pourraient les ravir, les calmer, les réconforter… Et de les tester comme alternative aux produits sucrés. Cela peut être l’écoute d’une chanson bien-aimée, une petite sieste, quelques salutations de yoga, une infusion de cannelle, un bain aux chandelles et bien d’autres choses… il est essentiel de creuser le besoin qui se cache derrière cette envie de douceurs. . Et trouvez comment y répondre de manière plus diversifiée.
Les produits sucrés ne doivent pas être diabolisés (ce qui les rend encore plus désirables), mais ils deviennent moins systématiques. Et aussi le consommer avec plus de sérénité et en élargissant la palette des plaisirs. Je propose à mes patients des exercices de dégustation conscients. Nous nous efforçons d’apprécier la variété des couleurs, des parfums, des textures. Et je les invite à choisir une excellente pâtisserie (très chère, à tel point qu’ils ne veulent pas en acheter deux !) ou un délicieux chocolat à savourer avec délicatesse et gourmandise.
Je leur rappelle également que les repas complets, riches en protéines et en fibres, les rendent moins vulnérables aux envies sucrées. Et que les fruits entiers procurent une délicieuse sensation sucrée avec peu ou pas d’impact négatif sur la santé. Autant de petites mesures qui permettent peu à peu au sucre de devenir un plaisir occasionnel acceptable.