«C’était un lundi. Ce jour-là, son patron est venu à la porte à 18 heures pour annoncer que notre fils était décédé. Écrasé par un mur. Elle faisait 16 m sur 4 : Franck a pris 10 tonnes sur la tête. La gorge serrée mais la mémoire claire malgré les années, Christian et Sylvie Pérennou replongent dans l’horreur du 13 octobre 2014 où leur vie a basculé. « On s’effondrait par terre, on criait… C’est une image qui restera toujours », esquisse Sylvie.
A 27 ans, Franck Pérennou vient de rejoindre une grande entreprise de BTP de la région brestoise. « Il n’avait pas de formation particulière, donc il faisait tous les travaux de démolition, les gros travaux, qui ne sont pas payés. Mais c’était un garçon courageux, déterminé, il travaillait de nuit, faisait beaucoup de travail intérimaire. Il était content d’avoir rejoint cette entreprise, car il allait gagner un peu plus, 1 700 €. Mourir pour 1 700 € brut…», souffle Christian.
Chantier de désamiantage sans amiante
Ce lundi 13 octobre 2014, Franck Pérennou travaille depuis une dizaine de jours sur le chantier du bâtiment désaffecté de l’ancienne concession Skoda, rue de l’Eau-Blanche, à Brest. Avec deux collègues, il prépare le confinement nécessaire aux futures opérations de désamiantage. Une bâche est tendue, fixée à un mur par des tendeurs. Vers 16 heures, le mur s’est effondré. Et avec lui, la vie de famille.
« Nous n’avons pu voir le corps de notre fils que le lendemain après-midi. J’ai appelé l’Inspection du travail un ou deux jours plus tard. L’inspecteur m’a dit que le mur avait été mal construit. C’est tout. La faute à la malchance », se souvient le père. « Un jour, l’employeur de Franck m’a contacté pour me dire qu’il n’y avait pas d’amiante sur ce chantier. Le carrelage avait été posé dix ans après l’interdiction de l’amiante. Cela nous a décidé à porter plainte, avec constitution de partie civile.
Ils dorment bien, continuent de construire des murs au hasard, valident les chantiers et emmènent les jeunes au casse-canalisation. Nous nous réveillons chaque nuit avec le sentiment de ne pas être reconnus comme victimes.
Neuf années d’études
Le début d’une scolarité qui durera neuf ans. De son côté, Christian Pérennou, « quarante-deux ans dans le BTP », décide de mener ses propres recherches, tandis que l’employeur de son fils a contacté un expert pour préparer sa défense. Il découvre que le mur désastreux n’a pas été construit dans les règles de l’art et sans plan concret, et qu’il montre des signes de fragilité. Il souligne également l’installation de désamiantage, « neuf tendeurs accrochés au mur pour installer la bâche et faire un sas. Quand on connaît la solidité qu’a un tendeur, le minimum aurait été de mettre des étais au mur. Mais non. Tous ces gens ont mal fait leur travail», accuse Christian Pérennou.
Sa femme embarque : « Ils dorment bien, continuent de construire des murs bon gré mal gré, valident les chantiers et emmènent les jeunes au casse-canalisation. Nous nous réveillons chaque nuit avec le sentiment de ne pas être reconnus comme victimes. Depuis dix ans.
La juge d’instruction a produit son avis de fin d’enquête le 12 septembre 2023. « Neuf ans pour entendre une dizaine de personnes », souffle le couple meurtri. A partir de cette date, le procureur
devait présenter ses réquisitions dans un délai de trois mois. Il l’a fait le… 18 novembre 2024. Et leur contenu est loin de satisfaire les parents de Franck.
“On découvre que tout a été requalifié, la moitié des procédures abandonnées.” Le parquet demande de poursuivre en justice l’entreprise qui employait Franck pour homicide involontaire, ainsi que l’entreprise qui a construit le mur, ainsi que son patron de l’époque. Sans retenir la notion de « violation délibérée d’une obligation de sécurité » initialement retenue par le juge d’instruction.
Ses deux grands-mères sont parties depuis. Deux de mes frères aussi. Des gens qui attendaient et qui nous demandaient à chaque fois que nous les voyions : où en êtes-vous avec l’entreprise ?
« Des proches sont partis sans le savoir »
Depuis le drame, le couple dresse des rapports d’audiences correctionnelles pour les dossiers liés aux accidents du travail. « Regardez celui-là : accident mortel sur un chantier à Gouesnou en 2022, procès en 2024. J’en ai plein comme ça, résolus en deux ans. Et pourquoi ne traitent-ils pas notre dossier ? Devons-nous protéger quelqu’un ? Depuis l’accident, il y a une entreprise au dossier qui n’existe plus. Le patron de l’entreprise qui a construit le mur n’est plus le même. Et le directeur de l’entreprise de notre fils a changé d’entreprise. Ils attendent qu’il n’y ait plus personne pour clôturer le dossier ? « .
Le couple, de son côté, ne compte pas rester silencieux. « Nous n’abandonnerons pas. Nous sommes prêts à faire tout ce que nous pouvons, à manifester devant le tribunal si nécessaire.» La voix de la mère se brise : « Nous sommes de plus en plus en colère, pensant que nous essayons de protéger certaines personnes. Nous avons perdu notre fils. Ses deux grands-mères, parties civiles, sont parties depuis. Deux de mes frères aussi. Des gens qui attendaient et qui nous demandaient à chaque fois que nous les voyions : où en êtes-vous avec l’entreprise ? Tous ces gens sont partis sans le savoir. Et nous devons vivre avec ça. Notre fils mérite-t-il moins que les autres ? « .
Interrogé sur cette affaire, le procureur de Brest Camille Miansoni n’a pas répondu.
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