En France, les enfants ont une obligation alimentaire envers leurs parents lorsqu’ils vieillissent ou tombent malades. Un devoir que Marine Gatineau Dupré, qui a poussé la loi Vignal sur le changement de nom avec son association, aimerait transformer en loi. Avec le collectif « Liens en sang », elle remet en cause cette loi du XIXe siècle qui pousse parfois les personnes victimes d’inceste ou de maltraitance à subvenir aux besoins de leurs bourreaux une fois devenues majeures.
“C’est une loi archaïque” insiste Marine Gatineau Dupré, la présidente Palavasienne de l’association Porte mon nom. Après s’être battue pour la loi sur le changement de nom avec Patrick Vignal, elle revient au combat. Les milliers de témoignages qu’elle a reçus l’ont inspirée à se lancer dans ce nouveau combat : le droit des obligations alimentaires.
Lorsque les parents vieillissent ou tombent malades, c’est à leurs enfants de prendre soin d’eux. C’est une obligation. Un devoir, pas un droit. Et même s’il peut sembler naturel de prendre soin de ses parents lorsqu’on grandit dans une famille saine et aimante, c’est un double coup dur lorsque l’on a subi des abus. “Imaginez, les personnes victimes d’inceste doivent payer la maison de retraite de leur père”déplore le quadragénaire.
Une loi de 1803
“Archaïque”ce n’est guère hyperbolique. L’article 205 du Code pénal a été promulgué le 27 mars 1803 et publié dans la section « Obligations qui découlent du mariage. » Le ton est donné. Depuis, hormis quelques modifications éparses, rien n’a changé. « A l’époque, toutes les générations vivaient dans la même maison, bien sûr il y avait une obligation d’entretien. Et les gens mourraient à 45 ans !continues Marine Gatineau Dupré.
Pour elle, il est évident que cette loi doit être réécrite et adaptée à la morale. Alors que les langues parlent d’inceste, de maltraitance, d’abandon… Pour certains parents, il est grand - de libérer les victimes de leur obligation alimentaire à leur égard. Elle a commencé à rédiger un projet de loi, avec l’aide du député Charles Alloncle (UDR).
« J’ai reçu le témoignage d’une femme de 71 ans. Elle a été violée tout au long de son enfance par son beau-père, aujourd’hui âgé de 95 ans. L’huissier s’est jeté sur elle pour lui faire payer la maison de retraite. Elle a une retraite misérable, son fils est atteint de la maladie de Charcot… Elle veut mettre fin à ses jours. Elle préfère mourir plutôt que de payer la maison de retraite de son bourreau.»
Il est possible de contester cette obligation auprès d’un juge aux affaires familiales (JAF). Il faut alors prouver « de graves manquements » parents. Vous pourrez alors obtenir une exonération totale ou partielle.
Quand on sait que seulement 12 % des victimes d’inceste portent plainte, et que parmi elles seulement 1 % sont reconnues victimes, on comprend la difficulté pour les enfants de parents défaillants de s’en désolidariser. Par ailleurs, 12% des Français déclarent avoir subi des violences physiques de la part de leurs parents. En 2023, 96 700 incidents de violences sur mineurs ont été signalés aux autorités. Autant de gens qu’il est difficile d’imaginer payer pour leurs ancêtres.
De quel coût parle-t-on ?
L’obligation alimentaire concerne les enfants, petits-enfants, gendres et belles-filles. Pas les frères et sœurs du parent concerné. Si ce dernier parvient à prouver qu’il est dans le besoin, le juge ordonne aux descendants de payer une pension alimentaire ou de payer certains frais pour leur ascendant. Le montant versé est proportionnel aux revenus du débiteur et aux besoins du créancier.
Au-delà des questions de moralité, le quadragénaire s’interroge aussi sur la partie financière. Pourquoi ne payons-nous pas de cotisations pour la maison de retraite ? Soins? De la même manière que nous contribuons à la retraite. Et pourquoi l’État ne paierait-il pas cela si nécessaire ? En échange, il récupérerait l’héritage de l’enfant séparé. La Palavasienne y voit une forme d’équilibre.
« Ce que nous demandons, c’est que le débat entre sur la place publique. Et qu’il y ait une étude financière, une étude d’impact. Dites-nous concrètement ce que cela coûte et ce que cela rapporte »insiste la Palavasienne.
La durée moyenne du séjour dans les maisons de retraite est de trois ans et quatre mois selon Dress. Par jour dans l’Hérault, il faut débourser 68 euros pour résider dans un tel établissement, selon le Fonds national de solidarité pour l’autonomie. Au total, ce sont en moyenne 81.600 euros à verser pour les enfants de personnes âgées dépendantes, hors aides.
Si les enfants refusent de subvenir aux besoins de leurs parents, ils s’exposent à une plainte pour abandon de famille. Un délit puni de deux ans d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.