Installé dans le Luberon, il abandonne le photojournalisme pour explorer son jardin à travers des natures mortes extraordinaires. Il est décédé le 3 décembre à l’âge de 96 ans.
Figure incontournable et originale de la photographie française, le photographe Denis Brihat est décédé le 3 décembre à l’âge de 96 ans, a annoncé la BNF. Célèbre pour ses photographies en gros plans de choux rouges, de coquelicots froissés, de tulipes noires et de graines de kiwi, l’ermite du Luberon, grand admirateur du photographe Edward Weston, s’est discrètement imposé comme un grand maître de la nature morte. Ses sublimes pelures d’oignons, transparentes et froissées, ne sont-elles pas la métaphore de l’émotion artistique, des larmes que nous arrache la beauté du monde vu par les artistes ? C’est en tout cas sous cet angle que les regarde l’historien de l’art Michel Poivert, qui voit dans les photographies des ampoules des œuvres inquiétantes, susceptibles de provoquer le syndrome de Stendhal dans sa préface au livre Les oignons de Denis Brihat (Ed Bec dans l’air) : « Denis Brihat est un OVNI de sa génération car il a choisi l’isolement, la solitude et la frugalité. C’est un peu un passionné de photographie, un philosophe du domaine, mais surtout le grand-père de la photographie alternative française puisqu’il s’est distancié de la doxa du reportage, à une époque où ce genre dominait. Denis Brihat a choisi l’expérimentation. Il est l’un des premiers à parler de « peintures photographiques ».
Un prix Niépce en 1957
Né en 1928, Denis Brihat grandit à Paris et se passionne pour la photographie à l’âge de 16 ans grâce à un appareil photo que lui offre son père. Formé à l’école de la rue de Vaugirard (avant qu’elle ne devienne Louis-Lumière), il débute par des petits boulots et s’installe à Biot. “J’ai commencé à me lancer dans la photographie après une bagarre générale sur un site forestier. Dans cet environnement, les choses vont assez mal, alors j’ai quitté le site”, dit-il à Provence. A partir de ce moment il se consacre à la photographie sous toutes ses formes, photos de mariage, reportage, architecture et surtout photos d’illustration. Au volant d’une Lambretta, il traverse la Provence et rencontre Marcel Pagnol, Jacques Prévert et Picasso. Il rejoint l’agence Rapho et travaille aux côtés de Robert Doisneau, Jean Dieuzaide, Brassaï, Willy Ronis et Edouard Boubat. Des photographies prises lors d’un voyage en Inde en 1955 lui valent le prix Niepce en 1957, un an après que ce prix ait été décerné à son ami Robert Doisneau. Étrangement, cette distinction l’éloigne du reportage. Le photographe fasciné par le Luberon s’y installe définitivement. “C’était la fin du monde à l’époque et, comme partout en France, si vous n’êtes pas originaire du pays, les gens vous regardent de travers.”
Hymne pour ralentir
Installé à Bonnieux depuis 1958, il se consacre presque exclusivement à sa passion : le jardin et le potager. A Bonnieux il photographie des paysages mais aussi ses voisins et amis. Mais il concentre surtout son attention sur les fruits, légumes et fleurs qu’il a sous la main. Travaillant en noir et blanc, il innove avec des imprimés sophistiqués et utilise la chimie pour faire ressortir les couleurs. A la fin des années 1960, il colorie ses estampes selon la technique du toning, une alchimie à base d’or, de cuivre ou de sulfure. Ses clichés métalliques mettent alors en valeur la beauté des textures et des formes naturelles. « Cela s’est avéré dès le début. Il a pris les photographies d’Edward Weston ailleurs, pour moi c’est un artiste pré-visuel, ajoute Michel Poivert. Il est intéressant de voir que dans la généalogie de la photographie Jean-Marc Bustamante était l’un de ses assistants.” Dans les années 1960, Denis Brihat expose au MoMA de New York et dans toute la France. En 2019, il a fait don de plus d’une centaine de pièces – tirages d’expositions et d’études, portfolios, cahiers de recherche, etc. – à la BNF. Ses photographies sans fioritures de poires, kakis, chardons et fleurs de carottes sont un hymne au ralentissement et le manifeste d’un regard hyperlucide et extatique sur le monde végétal.