l’essentiel
Céline Bayou, chercheuse à l’INALCO et rédactrice en chef du magazine en ligne « Regard sur l’Est », a livré à La Dépêche du Midi son analyse des annonces faites ce vendredi 29 novembre par Volodymyr Zelensky, concernant un éventuel cessez-le-feu à la guerre en Ukraine.
La Dépêche du Midi : Dans un entretien à la chaîne britannique Sky News, le président Zelenskyj a évoqué pour la première fois un accord de cessez-le-feu en Ukraine qui pourrait passer par des concessions territoriales, comment interpréter cette annonce qui pourrait passer pour une annonce de faiblesse ?
Céline Bayou : « Je pense que cela répond avant tout à une question de timing. Tout cela est étroitement lié à l’arrivée imminente de Donald Trump à la présidence des États-Unis. Volodymyr Zelenskyj est conscient qu’il faut agir très vite car il risque de perdre le soutien américain, ou du moins une partie de ce soutien. Malgré son caractère imprévisible, Donald Trump a montré, dans ses différentes déclarations et nominations, qu’il semblait prendre en considération les négociations. Zelenskyj doit donc dire qu’il vaut mieux qu’il soit le premier à mettre la question sur la table plutôt que de souffrir de l’extérieur. Essayez d’éviter quelque chose qui serait imposé par Moscou ou Washington.
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Cela signifie-t-il également que la situation sur le front devient de plus en plus compliquée pour l’Ukraine ?
Il y a évidemment une difficulté sur le terrain, mais je tiens à dire que cette difficulté n’est pas nouvelle. Il y a une difficulté en matière d’aide, mais elle n’est pas nouvelle non plus. Ce qui est vrai en revanche, c’est que les alliés de l’Ukraine s’étaient engagés à former une dizaine de brigades et, en réalité, seules deux et demie ont été formées, dont une par la France. Elle peut effectivement abaisser l’âge de mobilisation à 18 ans, mais si ces personnes ne sont pas formées, elles ne serviront pas à grand-chose.
Or, Joe Biden a récemment donné l’autorisation à son homologue ukrainien d’utiliser des armes fournies par les États-Unis pour frapper, y compris sur le sol russe, n’est-ce pas suffisant ?
Cela reste une bonne nouvelle pour l’Ukraine, mais malgré cela, je pense que le président Zelensky est réaliste. Il sait que la situation est compliquée et qu’elle risque de le devenir encore davantage. Il y a une augmentation indéniable des attaques venant de Russie. Symboliquement, l’utilisation du missile balistique “Orechnik” – utilisé pour l’attaque du 21 novembre, ndlr – qui, même s’il a sans doute causé moins de dégâts que d’autres armes, reste un message d’intimidation fort à l’adresse des Ukrainiens. Surtout, des attaques très violentes contre des infrastructures énergétiques ont eu lieu ces derniers jours. L’hiver commence, il fait froid, la population est fatiguée… Cela va être très compliqué. Même si les sondages montrent que les Ukrainiens ne veulent pas abandonner, l’objectif de Zelensky a toujours été de protéger des vies.
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D’un autre côté, que pourrait apporter la Russie à la table des négociations même si le soutien de l’OTAN à l’Ukraine a toujours été présenté par Poutine comme une ligne rouge ?
C’est toute la question. Mais je pense que nous ne devrions pas négliger le fait que la Russie ne se porte pas très bien. D’un point de vue économique, des signes tels que l’effondrement du rouble ou la multiplication des faillites montrent que la situation est très difficile. Peut-être Poutine peut-il se dire : « J’ai pris une certaine partie du territoire, c’est une victoire. » Tout dépendra des garanties de sécurité qu’offrira l’OTAN, des territoires qui nous seront concédés… Il y a de nombreux paramètres que nous n’avons pas encore et qui pourraient amener Poutine à négocier. Il ne faut pas non plus oublier que l’Ukraine occupe une partie du territoire russe – dans la région de Koursk, ndlr – qui pourrait être incluse dans les négociations. Mais il ne faut pas oublier que Poutine peut aussi profiter du cessez-le-feu pour reconstituer son industrie militaire dans l’idée de revenir plus tard en Ukraine.